18 Septembre - Coude à coude

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Tapis dans les fourrées, un cynique tenait fermement un arc débandé entre ses mains. Il avait pris soin d'ajuster son tir, et sa cible venait d'en payer le prix fort. Dimitris chancela, et ses jambes se dérobèrent à ses pieds. Un trait de sang s'écoula de sa bouche jusqu'à son menton. Mes bras le recueillirent de justesse, et son regard, chargé d'incompréhension, se perdit dans le miens.

- Je vous avais dit qu'il y en aurait aux environs du champs de bataille ! clama le cynique.

Dans son dos, une dizaine d'autres cyniques en armures firent leur apparition. L'arme à la main, ils se mirent à avancer dans notre direction, avec la ferme intention de ne laisser aucun rescapé.

La vision de Dimitris agonisant, plongea Lucas dans un état second. Entraîné par une protestation tonitruante, il se jeta à corps perdu sur le tireur, occupé à armer une nouvelle flèche. Le pan ne lui en laissa pas le temps. Une fois à sa hauteur, il posa ses mains sur son crâne, et d'un geste net, lui rompit le cou. Désarticulé, l'archer tomba au sol, emporté par la grande faucheuse. Lucas s'empressa de saisir les poings américains suspendus à sa ceinture, et fit face au reste du bataillon. Bien que mieux équipés et plus imposants, les cyniques eurent toutefois un frisson d'effroi en contemplant avec quelle aisance ce môme venait de prendre la vie de leur compagnon. Cette hésitation ne dura qu'un court instant, et galvanisé par la haine les gangrenant, ils se jetèrent au combat.

Les mains de Dimitris tentèrent misérablement de se raccrocher à l'un de mes vêtements. Genoux à terre, je le tenais fermement contre moi, lui interdisant formellement de succomber maintenant. Étais-je maudit ? Le bonheur de nos retrouvailles n'avait pas duré plus d'une fraction de seconde, que ce monde cruel nous l'avait injustement confisqué. Pourquoi la souffrance s'accrochait-elle aussi désespérément à moi ? D'une voix fébrile, Dimitris surmonta la douleur qui l'accablait, pour me partager quelques mots.

- Lucas, aide le...vite...

Sa somation se termina en une toux grasse, qui fit gicler sur mon visage le sang stagnant dans sa bouche. Égaré dans mes pensées noires, j'avais omis que notre interminable lutte pour la survie ne s'était en aucun cas stoppée. Derrière moi, Lucas se dévouait corps et âme à repousser nos assaillants. Le premier s'était pris un crochet du droit dévastateur, avant même de pouvoir brandir son épée. Quant au suivant, c'est son torse qui dut encaisser trois frappes, dont son armure ne suffit pas à emmagasiner l'ampleur des impacts. Malgré son agilité, leur nombre le submergeait, et l'un des cyniques, armé d'une pic, profita de son allonge pour pourfendre le talon droit du jeune pan. Restreint dans ses mouvements, Lucas parvint néanmoins à saisir ce fourbe à la gorge, et resserrant sa poigne avec courroux, il activa son altération. Une plaie de mauvais augure au niveau du lombaire droit du lancier, se mit à imbiber d'un liquide rougeâtre malodorant l'armure qu'il portait. Mais plus que de simplement la faire surgir, la cicatrice se propagea sur tout son abdomen, et ne tarda pas à faire ressortir ses organes internes. Ses cris enrayés s'interrompirent lorsque ses tripes touchèrent le sol, ne laissant plus s'échapper qu'un mince filet de bave de sa bouche béante.

Cette scène horrifique fit s'éloigner de quelques pas les cyniques. Avec une nonchalance pétrifiante, Lucas laissa choir le cadavre à ses pieds. Il tenta de rester de marbre, priant pour que sa démonstration suffise à repousser les autres, mais sa détermination seule ne lui permettait plus à se maintenir debout. Si les scararmés défilant au loin lui avaient permis de réaliser cet exploit, les conséquences étaient à la hauteur de l'effort fourni. Sa silhouette vacilla, et accompagné de profondes respirations, il gagna le sol boueux.

- Regardez, il est à bout de forces, s'écria un cynique. Profitons-en pour l'achever !

Laissant s'exprimer leur nature lâche et profiteuse, les cyniques se ruèrent sur leur cible, momentanément inapte à combattre. Le premier du groupe, brandit sa masse avec sauvagerie au-dessus de Lucas. Ses traits hargneux, s'effacèrent en une giclure d'hémoglobine, lorsqu'une lance, projetée avec une force inouïe, vint traverser sa boîte crânienne, pour en ressortir ensanglantée, à l'avant de son nez.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant