28 août - Une vie de cynique

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Anciennement long marcheur, il était dur de constater que c'était l'arme à la main que je marchais désormais aux côtés des cyniques, ennemis par le passé, compagnons d'arme aujourd'hui. La froideur de mon cœur m'avait poussé à en arriver là. Un désir de vengeance me consumait, et ce n'était qu'en combattant dans les rangs de ces tueurs fanatiques que je me savais apte à l'assouvir.

Les regards qu'on m'adressait n'étaient cependant pas des plus amicaux, et traduisaient chez eux une très nette envie de m'égorger, tout comme ils avaient déjà dû le faire à une centaine d'autres pans par le passé. Mais malgré cela, je restais imperturbable : l'esprit uniquement tourné vers la guerre à venir, vers la vision de moi enfonçant ma lame dans les corps frêles de ces êtres détestables de par leur candeur et leur insouciance. Sans m'en rendre compte, j'avais fini par couver une haine féroce contre ce peuple, que j'avais pu diriger et côtoyer il y a de cela plusieurs mois. Leur naïveté juvénile n'avait plus sa place en ce monde, qui n'inspirait que souffrance et désolation. Le souvenir de leurs rires refusant d'affronter la réalité dans cet endroit qu'ils surnommaient « le salon des souvenirs » ne faisait que renforcer ma détermination à incendier leur pitoyable ville.

Au bout d'une interminable marche, notre escouade se présenta aux portes d'une forteresse remarquable. Érigée entre des falaises escarpées, cette solide construction en pierre faisait office de barrage en plein cœur de la passe des loups, marquant ainsi une véritable frontière entre le territoire des pans, et celui des cyniques. Du haut des tours, des archers étaient à l'affût, et des sentinelles parcouraient les murailles, s'assurant qu'aucun danger n'était à signaler à l'horizon. Même une embouchure permettant la traversée du fleuve était contrôlée par une herse des plus résistante. Rien ni personne ne semblait en mesure de s'emparer de cette forteresse ; la bataille paraissait gagnée d'avance.

Ce raisonnement prit encore plus de sens à l'approche de la première grande ville cynique, quelques jours de marche plus tard. Devant cette dernière, des tentes étaient installées à perte de vue, et ce, jusqu'à aux abords de la forêt. Je compris bien vite qu'il ne s'agissait là que de la première armée de Malronce, la reine que les cyniques adulaient. Au total, quatre autres armées étaient prévues pour cette invasion, en plus d'une composée des gloutons, que les cyniques avaient recrutés et équipés. Très brièvement, un pincement au cœur me surpris, à l'instant où je pris conscience que le destin des pans, et donc de ce fait, de certains d'entre eux que j'avais côtoyé, était d'ores et déjà scellé. Je m'empressai de me secouer la tête, afin de chasser toute trace de regret. J'avais choisi mon camp, et il était trop tard pour faire demi-tour.

– Bienvenu à Babylone, m'indiqua Isaac, le seul m'ayant adressé la parole du voyage. Sans perdre plus de temps, je vais te conduire au ministère de la reine. Là-bas, tu passeras une batterie de tests afin qu'on puisse s'assurer que tu ne te retournes pas contre nous au dernier moment. Et quand tout ça sera bon, on te fournira un brassard, et tu seras assigné à l'une de nos armées.

– Un instant ! Intervint l'un des cyniques de notre régiment. Ce mioche a quand même tué l'un des nôtres, alors je demande qu'on le présente au buveur d'innocence avant, et ce n'est que s'il n'en veut pas, qu'on lui laissera intégrer nos rangs.

– Ah ouais, ça c'est bien ça, ahahah !

Les autres soldats se mirent à glousser grassement à l'évocation de ce curieux personnage. Isaac, sous l'insistance de ces hommes, dut de se plier à leurs exigences.

– Très bien, que l'un d'entre vous aille le chercher, qu'il puisse évaluer si la marchandise vaut le coup.

On me fit par la suite patienter. Le cynique ayant proposé cette idée, ne cessait de me fixer d'un sourire sadique. Je ne savais rien de cet individu au nom si peu attrayant, mais ce qui était sûr, c'est qu'il n'avait pas intérêt à interférer dans mes désirs de vengeance.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant