13 février - Mauvaise surprise

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Comme évoqué précédemment, la nouvelle expédition était inévitable. Pourtant, alors qu'il y a quelques semaines cette idée terrifiait tout le monde, la situation n'était plus la même à présent. La famine qui guettait notre abri, avait suffi à motiver les habitants du collège. Déterminés, c'était autour de la conviction de ne pas reproduire les erreurs du passé que nous nous étions tous réunis tôt le matin dans le hall. Une fois équipés et sans dire un mot, les 21 courageux franchirent le seuil du portail, pour faire face une fois de plus à cette autre monde, empli de mystères aux allures sombres. Aucun adieu émouvant n'avait été prononcé, un simple regard en arrière avait suffi. Un regard et une promesse, adressée aux personnes qui nous étaient chères : celle de revenir en vie. Entraînés matin et soir, endurcis par les événements nous ayant affecté, nous avions été forgés dans la souffrance autant physique que mentale, et nous étions désormais prêts à faire face à toutes les éventualités. Toutes, sauf une...

La nouvelle s'était répandue comme une traînée de poudre dans l'enceinte du bâtiment. Impossible pour nous de gérer la situation, chacun réagissant à sa manière en l'apprenant. Bloquer toutes les issues, doubler les tours de garde et attendre la nuit que les esprits se calment, tels furent mes premières décisions. Sam fut immédiatement envoyé prévenir les Français, qui devaient impérativement être tenus au courant. Les mesures prises n'étaient pas disproportionnées, au contraire, elles étaient à la hauteur de la gravité de la situation. Car la découverte que nous venions de faire, allait sans aucun doute changer le cours des événements à venir.

Les adultes n'ont pas disparu, du moins pas tous.

Malheureusement, ces retrouvailles inespérées ne furent pas celles convoitées, et c'est un arrière-goût amer qu'elles nous laissèrent en retour. Un goût qui commençait à nous être familier : celui de la mort.

Relatons les faits.

J'avance péniblement dans cette nature hostile, écartant les épaisses feuilles nous barrant la route, dans le but de dégager tant bien que mal un chemin, pour moi et le reste de mon groupe. Je ne compte plus les douleurs qui parcourent mon corps, provenant de ronces me tailladant de toute part, ou bien de courbatures, souvenirs douloureux d'un entraînement particulièrement intensif. Seulement, je n'y prête plus la moindre attention, conscient que désormais, tout cela fait partie de mon quotidien, et que bien pire m'attend à chaque instant. Puis, vient une sensation bien plus insupportable que ces blessures superficielles : le sentiment d'être observé. D'un regard vif, je parcours les environs. Rien. Pourtant, impossible de me défaire de cette idée. De la paranoïa ? Une intuition ? je suis dans l'incapacité d'expliquer d'où me vient ce ressenti, mais devenu méfiant depuis la tempête, j'accélère le pas. Quelques secondes passent, puis ce frisson me parcourt une nouvelle fois le corps. D'un mouvement brusque, je fais signe à mon groupe de s'arrêter net. Le silence prend place tandis que je resserre les poings autour de ma lance. Un bruit se fait entendre au loin. Un bruit ? Non, une voix. La tension redescend alors que certains prennent conscience qu'il ne peut s'agir que d'un autre groupe. Pourtant, un détail trahit ce raisonnement : les voix sont bien trop rauques pour être celles d'adolescents. Poussé par le besoin d'en comprendre d'avantage, j'oriente alors le chemin vers les mystérieux individus. Après quelques mètres, un dédale fait de de pierres se dresse devant nous, donnant droit sur le centre de la ville qui n'a pas encore disparu sous la végétation. Les voix sont de plus en plus proches, elles se déplacent et arrivent dans notre direction. Ne sachant à quoi nous attendre, nous restons en retrait, dissimulés dans la densité de la flore. Une ombre imposante apparaît alors dans la brume matinale, suivie d'une autre, et d'une autre encore...Impossible de compter leur nombre exact, la météo nous empêchant de distinguer plus que leur simple silhouette. Mais un chuchotement derrière moi vient interrompre ma réflexion.

— Ce sont des adultes.

Avant même que je puisse rétorquer quelque chose, Tim sort de sa cachette et se précipite sur eux.

— Je savais que vous n'aviez pas disparu ! Je le savais !

Je l'entends dans sa voix, il pleure de joie. Un petit garçon séparé aussi longtemps de ses parents, caressant l'espoir de les retrouver de nouveau, qu'est-ce qu'il y a d'étonnant là-dedans ?

Pourtant cela semble trop beau, trop facile comparé à tout ce à quoi nous avons été habitués jusqu'à présent...Et mes doutes semblent se confirmer en voyant les adultes s'agiter à la vue de ce petit être fou de joie fonçant droit sur eux. Ils ne partagent pas cet enthousiasme, ils sont affolés. J'ordonne alors à Tim de faire demi-tour, mais bien trop aveuglé par son euphorie, il ne perçoit ni ma voix, ni cette flèche transperçant la brume pour venir se loger droit dans son abdomen. Sans même avoir le temps de comprendre ce qu'il lui arrive, il est stoppé net dans sa course par l'impact, avant de s'écrouler au sol sous le poids d'une deuxième flèche tirée en plein cœur. La panique commence à gagner les autres membres du groupe ayant assisté à la scène, tandis que j'entends la voix de celui qui semble commander les troupes adultes crier sur ses soldats d'un ton sévère :

— ILS NOUS LES FAUT VIVANTS !

Il n'y a aucune empathie dans sa voix. Rien d'autre qu'une froideur sans égale qui me fait frissonner de la tête aux pieds.

Que sont-ils devenus ? Pourquoi vouloir nous tuer ou nous capturer, nous, leurs propres enfants ?! D'innombrables questions viennent se bousculer dans ma tête, mais l'heure n'est pas à la réflexion. Des soldats avancent lourdement armés dans notre direction pour récupérer le cadavre de Tim. Je ne peux me résoudre à le laisser là, mais intervenir relève du suicide. Si jusqu'à présent nous avons pu nous résoudre à combattre et tuer d'autres créatures, l'idée d'en faire de même avec des adultes est inconcevable. Non, nous devons fuir pour les devancer, avertir les autres groupes de leur présence, et retourner s'abriter aux plus vite au collège.

Et nous y voilà.

J'essaye tant bien que mal de rassurer les autres, sans trop vraiment y croire moi-même. A vrai dire, j'ai la tête ailleurs. C'est la toute première fois que je me retrouve confronté à la mort. Elle, qui par le biais de simples flèches, transforme une personne, une présence, un sourire, en souvenirs effaçables par le temps. Et même si elle n'est pas venue pour moi, j'ai la sensation que cela ne sera pas la dernière fois que je la croiserais sur mon chemin.

Il est tard à présent. J'ai passé énormément de temps à me torturer l'esprit, et ce sont des sanglots étouffés dans des oreillers provenant de différents dortoirs qui m'ont ramené à la réalité. Sam vient tout juste de rentrer. Il a pu voir les Français et les tenir au courant. Nous allons partager nos armes avec eux.

Demain il faudra tant bien que mal tenter d'éclaircir tout cela, et une nouvelle fois, se préparer pour faire face à ces nouveaux dangers. Mais quoi que l'on puisse apprendre ou découvrir, nous allons prouver à cet autre monde que l'on a plus de ressources qu'il n'y paraît, et que l'on n'a pas fini de se battre pour notre survie, pour notre avenir, pour Tim.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant