15 février - L'appel de la fumée

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10h30 environ. Malgré son intensité, le vent ne parvient pas à pénétrer l'importante couche végétale qui sépare à présent le ciel et la terre. Seule la fraîcheur matinale se fait ressentir, ce qui fait régulièrement frissonner deux adolescents, tentant tant bien que mal de se réchauffer auprès d'un petit feu émettant une vive couleur blanche.

— Qu'est-ce qu'on se gèle ici...

Evan n'était pas le plus courageux, ni même le plus agréable. Pour pallier un ennui certain, il n'avait pas trouvé de meilleure occupation que de se plaindre constamment de la météo, ou de la futilité de cette mission. Du haut de ses 14 ans, il avait tout juste l'âge d'être autorisé à quitter l'enceinte du collège, et ses compétences en matière d'orientation géographique étaient essentielles au bon déroulement de l'opération mise en place la veille.

— Tu l'as déjà dit, et moi, je t'ai répondu de t'approcher du feu.

Les réflexions d'Evan commençaient sérieusement à agacer Noémia, mais elle était bien trop concentrée sur sa tâche pour s'en soucier davantage. Âgé de 15 ans, cette jeune femme aux long cheveux noirs, aux yeux verts et aux traits fins, ne manquait pas de caractère. C'était elle qui en fouillant dans la bibliothèque, avait déniché ce livre enseignant la communication par signaux de fumée. Désignée comme meneuse de cette opération, cela faisait plus d'une heure qu'elle agitait un drap noircit par l'usure, au-dessus de ce feu improvisé.

— Ouais... T'es sûr de ce que tu fais avec la fumée ?

— Le livre n'est pas trop mal fichu, c'est une question de pratique maintenant.

— Quand même, faudrait un miracle pour que quelqu'un arrive à déchiffrer le message.

— Techniquement c'est impossible, il n'existe pas de code établi. Celui-ci changeait entre chaque tribu, mais si on arrive à attirer l'attention c'est déjà ça.

— Sérieux ? D'habitude je ne suis pas pessimiste mais là.

— Chut regarde !

Comme pour leur répondre, un autre trait de fumée entrecoupé de la même façon s'élevait au loin à travers les arbres. Quelqu'un ou quelque chose venait d'être réceptif à leur appel.

— Tu vois ce que je vois ?!

— J'le crois pas, ça a marché !

— J'en était sûre, c'est super, on n'est pas seul !

Noémia se mit à sauter de joie en prenant Evan dans ses bras, qui se mit instantanément à virer au rouge écarlate face à ce contact inattendu.

— Bon allez vite le livre, je dois traduire ce qu'ils nous répondent !

— Et si c'étaient des adultes ?

— S'ils ne se rappellent pas que nous sommes leurs enfants, cela m'étonnerait qu'ils se souviennent comment communiquer avec des signaux de fumée.

Noémia s'empressa de feuilleter les pages du livre, en observant attentivement la fumée lointaine. Mais au bout de quelques minutes elle le referma.

— C'était prévisible, leurs signaux ne correspondent à rien de concret, ils essayent juste de nous faire comprendre qu'ils ont été réceptif au message. Ce qu'il faudrait maintenant c'est qu'on se voit pour instaurer un code de communication... Evan, tu serais en mesure de me dire dans quelle direction et à quel distance la fumée provient ?

— Alors laisse-moi voir... Logiquement elle provient du sud-ouest, mais elle n'a pas l'air d'être à côté. Ils ont dû se mettre en haut d'une bute comme nous. Donc s'il te faut un repère je dirais environ vers Princeton.

— Ça fait un bout de chemin, même à cheval.

— Bon alors, qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

À peine Noémia avait-elle finit sa question, que deux coups de sifflets se firent entendre dans leurs dos.

— Deux coups, y'a dû danger qui se ramène ! S'affola Evan.

— Pas le temps de rester là, rassemble tes affaires et on rentre, les trois autres éclaireurs ont déjà dû décamper en entendant le sifflet.

Tandis que le petit groupe s'empressait de rejoindre l'abri, une réunion avait dû être improvisée d'urgence. En pleine nuit, la porte de la salle des lots avait été crochetée, et de nombreux objets dérobés. Le premier réflexe fût d'inspecter les chambres pour retrouver le coupable, mais il faut dire qu'il ne fût pas celui que j'attendais. Une grande partie des biens furent retrouvés dans l'ancienne chambre de la gardienne, qui appartenait à Zac depuis notre arrivée. Ce n'était pas bien malin, je connaissais mon ami plus que quiconque ici, et même s'il avait fait plus d'une connerie dans sa vie, ce genre d'acte ne lui correspondait en aucun point. Tout cela n'était qu'un coup monté, dans l'unique but de le discréditer. Une basse vengeance cherchant à lui faire payer certaines de ses paroles. Il n'y avait aucun doute à avoir quant aux auteurs de cette mise en scène. Malheureusement, sans preuves, on ne pouvait porter d'accusations injustifiées. Zac garda son sang-froid, et pour calmer le jeu, tous les biens dérobés furent distribués aux restes des enfants et adolescents du collège. Même si la situation se calma rapidement, il restait cependant un nouveau problème que je redoutais depuis plusieurs jours déjà. Le fonctionnement de la salle des lots, le moteur de notre organisation, venait d'arriver à son terme. Il fallait mettre en place un nouveau système, et je me voyais déjà, assis des heures durant, à parler politique, gestion et organisation... Entendre le grincement d'ouverture des grilles du portail m'apparut comme une délivrance, et les nouvelles apportées de l'extérieur, comme un sujet bien plus intéressant à traiter.

Noémia et Evan nous racontèrent toute l'histoire, et il fut immédiatement décidé de dresser une équipe chargée d'effectuer l'aller-retour. Il ne restait plus qu'à trouver des volontaires.

— Je vais y aller, répondit Noémia avec l'assurance qui lui était propre. C'est moi qui suis à l'origine du projet, il est donc de mon devoir de le porter jusqu'au bout. J'emmènerai avec moi Evan si vous me le permettez, ses compétences en orientation seront plus qu'utiles pour retrouver l'emplacement exact d'où provenait le feu.

En entendant ça, Evan écarquilla les yeux. Lui qui venait tout juste de retrouver son petit confort adoré. Il s'était cependant habitué à la présence de Noémia, et il ne tenait pas à la décevoir, alors il acquiesça sans dire un mot.

— Ce n'est pas à coté Princeton, intervint Sam. Qui sait à quoi on peut s'attendre sur la route. Pour l'instant je suis celui qui connait le mieux l'extérieur, alors laissez-moi vous accompagner.

Personne ne s'y opposa. Il faut dire que les volontaires étaient rares pour une opération aussi périlleuse.

— Très bien, personne d'autres ?

— Si, moi.

Ma réponse fut si spontanée qu'elle me surprit moi-même. Le silence qui suivit mon intervention démontra clairement qu'une justification était nécessaire.

— J'ai envie d'explorer un peu l'extérieur, rien de plus.

— Mais qui va diriger l'endroit en attendant ?

— Ce n'est l'affaire que de quelques jours, je suis sûr que vous vous débrouillerez très bien sans moi ! Et puis vous pourrez toujours compter sur l'aide de Lucas en mon absence.

Donner les rênes à Lucas était une des seules choses qui me retenait encore de partir. Aucun doute que le rôle de leader lui siérait à merveille, mais cette rivalité inexistante et puérile m'obstinait plus qu'autre chose. Cependant la raison de mon départ était toute autre qu'un simple besoin d'aventure. En rangeant ma chambre, j'avais pu faire l'inventaire de mes médicaments, et le décompte fut sans appel. J'avais à peine de quoi tenir quelques semaines, tout au plus. Il fallait se rendre à l'évidence, mes jours étaient comptés, alors je voulais simplement découvrir un peu plus ce monde avant de le quitter brutalement. Ce pessimisme ne me correspondait pas, mais sans ce traitement, j'étais plus que vulnérable, et la vulnérabilité n'avait plus sa place dans ce monde.

— D'accord on ne peut te retenir, conclut Lucas. Une équipe va être envoyée pour préparer vos chevaux, quant à vous, rassemblez vos affaires et essayez de vous reposer, vous aurez besoin de toutes vos forces pour demain. Merci de votre attention, vous pouvez disposer.

Autre Monde - Journal d'un long marcheurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant