Clandestins (1) - Renwyck

82 16 6
                                    

Les choses s'enchaînèrent très vite pour Renwyck et le départ lui parut d'autant plus précipité. Alors qu'il rassemblait les quelques affaires qu'il souhaitait emporter sur la route, il lui semblait apprécier d'autant plus tous les petits détails familiers qui faisaient l'herboristerie. L'odeur des plantes et de la charpente de bois, la vision colorée du potager à travers l'arrière-fenêtre, le sifflement plaintif de l'alambic.

Les adieux furent simples mais chargés de tendresse. Renwyck aurait voulu dire tant de choses à sa mère avant de la quitter, mais les mots ne venaient pas. Tout semblait si creux. Sa langue sèche encombrait sa bouche. Quand reviendrait-il ? La reverrait-il un jour ? Et s'il lui arrivait quelque chose ?

Aiwe le serra dans ses bras et il tenta de mettre dans cette étreinte tous les non-dits. Sans doute comprenait-elle.

L'heure du départ était arrivée, c'était la mi-journée. De nombreux villageois se rendraient à l'office et il leur serait plus aisé de quitter Rivebois sans questions. Avant le départ, Aiwe lui confia une bourse de cuir remplie ainsi qu'un petit livre à la couverture usée :

— Il appartenait à ma mère, lui dit-elle d'une voix plus ténue qu'à l'ordinaire. Et à sa mère avant elle. C'est à ton tour de le compléter désormais.

Il s'agissait d'un herbier tout simple. En parcourant ses pages, Renwyck aperçut des plantes exotiques qui lui étaient inconnues. Le livre lui serait sûrement utile pour reconnaître les espèces nouvelles qu'il allait découvrir.

Après une dernière embrassade et une bénédiction, ils furent sur la route. Ils marchèrent en silence pendant un temps, contournant le village. Akhbar avançait d'un pas énergique. Il sifflotait légèrement et son bâton de marche claquait la terre avec entrain. Renwyck ne regrettait pas son choix mais ses pensées retournaient sans cesse en arrière, vers l'herboristerie. Que faisait sa mère en ce moment ? Avait-elle terminé ses décoctions ? Avait-elle pleuré après leur départ, seule dans cette grande maison qu'ils avaient habitée ensemble pendant tant d'années ?

Au bout d'une heure de marche silencieuse en direction du sud-ouest, ils atteignirent un embranchement. Vers la droite, la route s'incurvait le long d'une petite rivière pour remonter en direction de Vertoult, la ville où siégeait le seigneur local. Vers la gauche, un pont de bois enjambait le cours d'eau et la route filait ensuite tout droit jusqu'au Val de Nacre et la capitale aelloise. Akhbar s'engagea sur le pont sans hésiter. Renwyck resta un instant sur la rive, songeur. Il n'avait jamais franchi cette rivière. Il n'avait jamais été plus loin dans cette direction. Au-delà s'étendaient l'inconnu et l'aventure.

Il inspira profondément. L'air était frais, le ciel entrecoupé de lourds nuages couleur de granit. On entendait le chant de l'eau mêlé à celui d'oiseaux invisibles.

Un sourire éclaira son visage et il traversa la rivière. Il avait fait son choix, le bon choix. L'enthousiasme qu'il avait ressenti le matin-même s'emparait à nouveau de lui.

Ce nouvel entrain lui délia la langue et il décida d'en apprendre plus sur son compagnon :

— Avez-vous beaucoup voyagé, Maître Akhbar ? demanda Renwyck.

Le druide était pour lui source d'une curiosité presque enfantine. Il attendait avec avidité que l'homme lui parlât des endroits exotiques qu'il avait traversés, des mille enchantements et merveilles dont il avait dû être témoin. La réponse qu'il reçut le prit de court :

— Oh, assez du vouvoiement mon garçon ! Ta mère n'est plus là, donc fini les courbettes et les « Maître Akhbar » ! J'ai l'impression d'avoir quarante ans. La prochaine fois, ajouta-t-il d'un ton bourru, je te change en cochon.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant