Clandestins (15) - Renwyck

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Hatyāri ? Torska ? Que se passait-il ? Ils venaient de parler de la Porte Est, celle par laquelle devait fuir Erigone. Une embuscade ?

À cet instant, les regards des trois nouveaux venus se posèrent sur eux. La surprise fut réciproque et ils restèrent tous stupéfaits. Seul le garde ne semblait pas comprendre la situation.

— Qui êtes-vous ? Que faites-vous ici ?

Les cinq Magians l'ignorèrent, figés dans une posture d'attente crispée. Mallaus fut le premier à lancer les hostilités.

D'un geste souple, il jeta la fiole qu'il tenait à la main en direction de Hatyāri et Torska puis il manipula les Toiles avec une dextérité déconcertante. L'explosion s'ensuivit aussitôt, mais la préparation avait été créée pour attirer l'attention et non faire des dégâts. Elle dégagea un panache de fumée âcre, beaucoup de bruit, mais rien de dangereux.

— Les traîtres ! enragea Akhbar en serrant les poings.

Torska répliquait déjà. Elle fit un geste et des dards de glace acérés fusèrent vers eux. Renwyck n'évita l'assaut que de justesse. Les projectiles heurtèrent le mur dans leur dos pour y laisser de profondes entailles. Il ne s'agissait pas d'une plaisanterie.

— Il faut prévenir les autres ! s'exclama Akhbar. C'est un piège !

— Je m'en charge ! répondit Renwyck.

Il courut en direction de la rue mais Torska tenta de lui barrer la route. Sans réfléchir, Renwyck porta la main à sa ceinture d'ingrédients et lui jeta au visage le contenu du premier compartiment venu. Du sel. Dans un mouvement de recul à la limite de l'hystérie, elle poussa un cri de rage tout en portant les mains à son visage.

— Petite ordure !

Renwyck la contourna et se précipita vers le porche. Sous ses yeux, des pierres jaillirent du néant pour combler l'ouverture. Il était pris au piège ! Dans la cour, Torska avait repris ses esprits et un combat faisait rage entre Hatyāri et elle d'un côté et Akhbar et Mallaus de l'autre. Renwyck n'avait jamais assisté à une telle démonstration de force : les Toiles vibraient et résonnaient de toutes parts autour d'eux. Le chef des gardes, quant à lui, avait disparu.

À la suite d'une manipulation complexe, Akhbar déforma la Toile des Terres si violemment que Renwyck cru voir de minuscules filaments lumineux envahir la cour. L'instant suivant, le druide s'était changé en un sanglier gigantesque, plus gros qu'un bœuf. Il fonça sur leurs opposants. Prodigieux !

Mais Renwyck n'avait pas le temps de s'émerveiller. Il devait à tout prix rejoindre le groupe d'Erigone et les prévenir du piège qui leur avait été tendu. N'était-il pas déjà trop tard ? Devant lui se tenait un mur de pierre, là où se trouvait auparavant l'ouverture du porche. Renwyck posa la main dessus et constata qu'il était bien réel : la surface était froide, dure, rugueuse. Comment était-ce possible ? Il réfléchit un instant à ce qu'il savait du Secret, très peu en somme. Torska était élémentaliste et manipulait la glace. Le mur devait être l'œuvre de Hatyāri. Dans ce cas, ce n'était qu'une illusion ; fort réussie certes, mais une illusion tout de même.

Renwyck ferma les yeux et inspira profondément. Le mur n'existait pas. Il devait s'en convaincre. Il pouvait passer. Sans regarder, il avança d'un pas décidé. Lorsqu'il rouvrit les paupières, il se trouvait de l'autre côté du mur, dans la rue. Il observa les étoiles, repéra la direction de l'est et se mit à courir sans plus attendre.

Comment retrouver les autres ? Était-il déjà trop tard ? Il devait trouver la Porte Est, c'était sa meilleure chance. Ses amis avaient dû prendre un chemin détourné pour éviter les patrouilles de soldats. Peut-être était-il encore temps.

Renwyck courait à perdre haleine sur le pavé mouillé. L'air froid de la nuit lui brûlait la gorge mais il était décidé à ne pas s'arrêter avant d'avoir atteint son but. L'angoisse et la peur lui donnaient des ailes. Akhbar et Mallaus allaient-ils s'en sortir ? Et pourquoi Hatyāri et Torska les avaient-ils trahis ? Cela n'avait aucun sens ! Hatyāri n'avait-il pas insisté sur la nécessité de protéger Erigone ? Avait-il été motivé par l'appât d'une récompense ou nourrissait-il un dessein plus complexe ? La situation le dépassait.

Renwyck finit par gagner une longue artère qui s'achevait, très loin, sur une haute porte de pierre. Au loin, le son des cloches d'alarme résonnait encore. Le sol humide glissait sous ses pieds et il manqua de trébucher à plus d'une reprise. Soudain, il aperçut quatre silhouettes sombres sortir d'une venelle pour s'engager en direction de la porte. C'étaient eux ! Il reconnaissait la large carrure de Vills et la démarche maladroite d'Erigone. Renwyck aurait voulu crier pour les interpeler mais le souffle lui manquait.

Il les vit disparaître par la Porte Est et le temps d'y parvenir lui-même, ses amis s'étaient déjà engouffrés dans les écuries du petit poste de garde qui se trouvait là. Haletant, Renwyck poussa la porte et entra à son tour. Erigone, les mains levées, s'adressait à voix basse aux chevaux. On aurait dit une lente psalmodie. Aucun animal ne semblait effrayé. Bakalar et Vills prenaient des selles, Hègre avait attrapé des brides pour équiper les chevaux. Tous le dévisagèrent avec stupéfaction.

— Renwyck ?

— Fuyez ! lâcha-t-il hors d'haleine. C'est un piège !

Renwyck s'approcha de Vills et vit du coin de l'œil un mouvement dans la paille. Un éclat métallique scintilla dans la lueur de la lune, puis un nuage passa et ils furent plongés dans le noir.

— Partez ! cria de nouveau Renwyck en sentant le piège se refermer sur eux.

Des gardes jaillirent de toutes parts, armes au poing.

Un cheval hennit de terreur et rua dans son enclos, brisant la légère barre de bois qui le retenait.

— Erigone, va-t-en !

C'était la voix de Vills. Renwyck entendit des sabots frapper le sol mais il ne put se retourner pour voir ce qui se passait dans son dos. Les gardes étaient sur eux. Il saisit contre le mur une fourche providentielle, bien décidé à se défendre autant qu'il le pourrait. À ses côtés, Vills semblait sur le point de faire appel au Secret, mais le soldat le plus proche en décida autrement. Renwyck entendit le coup plus qu'il ne le vit, suivi d'un hoquet de stupeur.

— Vills ! cria-t-il, lâchant la fourche et se précipitant vers lui.

L'élémentaliste était blessé à mort. Il y avait du sang partout sur sa tunique.

Renwyck tenta de soutenir le géant pour l'empêcher de s'écrouler. Il avait du sang sur les mains, sur le visage. Le poids de Vills l'écrasait. Il fallait l'allonger, faire bouillir des linges propres, de l'essence de ciste, de l'argile verte...

Vills s'agrippa à Renwyck avec fébrilité :

— Renwyck, laissa-t-il échapper dans un gargouillis immonde.

— Ne parle pas, lui dit Renwyck. Économise tes forces, je vais m'occuper de toi.

Mais Vills semblait déterminé à lui dire quelque chose. Dans un effort visible, il lâcha ses derniers mots :

— Ma prophétie... La princesse était pendue à son cou.

Son corps s'affaissa de tout son poids et Renwyck ne put l'empêcher de tomber dans la paille gorgée de sang. Il resta un instant hébété. Un violent coup asséné à l'arrière de son crâne le plongea dans les ténèbres.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant