Clandestins (5) - Tys'Naïa

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Cinq jours après leur départ de Zannen, Tys'Naïa, Naarn et Niédar étaient aux portes de Kordo. Ils avaient traversé la vallée sur une route bien entretenue par les populations nomades. En enjambant les méandres des fleuves sans subir de longs détours, le voyage avait été rapide et sans troubles. Ils n'avaient croisé que quelques éleveurs, les saluant de loin. À chaque fois, Tys'Naïa et Naarn avaient recommandé à Niédar de se dissimuler sous un capuchon, pour que personne ne vînt questionner sa présence dans les terres.

Dans la ville, un tel stratagème ne fonctionnerait pas longtemps. Ils devraient tôt ou tard affronter le regard des leurs sur un étranger qui n'inspirait pas la confiance au premier abord. Ni au second. Tandis qu'ils franchissaient le muret qui ceinturait les terres agricoles, Tys'Naïa sentit l'appréhension grandir en elle. Cette frontière symbolique délimitait la zone d'influence directe de Kordo. Une route en terre battue bordée de petites pierres rondes et blanches traçait tout droit jusqu'à la véritable entrée de la ville, se divisant à mi-chemin pour devenir une sorte de circuit de ronde.

— Que dois-je savoir avant d'entrer dans cet endroit ? demanda Niédar avec raideur.

Tys'Naïa n'aimait pas le ton de l'Iwisien. Il parlait comme si toute la civilisation aranéenne ne lui inspirait que du mépris. Naarn lui répondit avant qu'elle ne pût remettre la porcelaine à sa place. Sans doute avait-il en mémoire leur dernière altercation.

Il expliqua que la ville était sous l'autorité d'un chef, comme à Zannen, mais que leur zone d'influence était évidemment plus importante. Ce chef prélevait un impôt sur tous les échanges des éleveurs, producteurs et marchands à l'intérieur de son territoire, en échange du maintien d'une protection armée.

— Une garde ? Que craignent-ils ?

— Des bandits surtout, des voleurs de bétail qui revendent les bêtes aux nomades dans la vallée. Il existe un trafic de marchandises entre la ville et la vallée, qui parfois peut escalader en violences entre les habitants de Kordo et les tribus extérieures. Ce sont évidemment les voleurs qui en profitent.

Ils approchaient de la limite du chemin de ronde, un carrefour matérialisé par quatre statues rudimentaires en pierre blanche. Elles figuraient deux chèvres et deux chevaux, de la taille d'un enfant. Tys'Naïa sentit un poids se loger au creux de sa poitrine. Kordo avait le don de raviver en elle des sentiments qu'elle parvenait à refouler la majorité du temps.

Elle ne fit plus attention à son frère ni à Niédar qui continuaient à discuter de l'organisation de la ville, laissant leurs voix se placer à l'arrière-plan du fil de ses pensées. Les images défilaient, déformées par le temps. Elle se revoyait bien plus jeune, lors de son premier voyage vers cet endroit. C'était après la séparation de ses parents. Sa mère avait décidé de partir seule, mais elle n'avait pas découragé ses enfants de venir lui rendre visite quand ils le souhaiteraient. Tys'Naïa avait vécu le départ de sa mère comme un abandon. Il lui avait fallu tout son courage et toute la colère qui dormait au fond de son cœur pour entreprendre à l'époque le voyage depuis Zannen. Maintenant qu'elle était plus âgée, elle s'en rendait compte, elle pouvait mettre des mots sur les tornades d'émotions de l'époque. Tys'Naïa avait été choquée de se rendre compte que leur mère, Istrees, était plus heureuse sans eux. Elle ne les avait jamais rejetés mais, pour Tys'Naïa, c'était tout comme.

Et Bergys s'était immiscée dans leurs vies à Zannen.

Ils approchaient de l'enceinte de pierre qui délimitait la zone d'habitation. Après réflexion, Tys'Naïa et Naarn pourraient bénéficier de l'hospitalité familiale pour un jour ou deux, le temps de se séparer de Niédar. Istrees résidait tout près de la halle commune où se tenait le grand marché. Tys'Naïa y profiterait de la vie citadine et des animations de Kordo.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant