Oracles (5) - Niédar

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Quelques enjambées à peine après la Forteresse Hantée, la nature reprenait ses droits et les pieds de Niédar foulèrent une herbe verte et grasse. L'isthme toucha à sa fin, s'ouvrant sur les terres inconnues de la Nouvelle-Aranée où poussait une forêt de bouleaux et de conifères odorants. Niédar s'y engouffra sans hésiter, heureux de la dissimulation que lui apporterait le couvert des arbres.

Il progressa aussi vite que possible entre les fûts noirs et blancs, conscient qu'il se trouvait encore très proche de la frontière et de ses gardes. Les créatures allaient-elles se lancer à sa poursuite ? Pour le moment, il n'avait pas l'impression d'être suivi mais mieux valait prendre ses distances. Son corps était trempé de sueur et dans la lumière déclinante du crépuscule, il fut parcouru d'un frisson. Il sentait le ruissellement poisseux du sang sur son crâne et y plaqua la main pour tenter de stopper le saignement. La tête lui tournait et sa gorge était sèche, mais son outre pendait désormais contre son flanc, déchirée, vide.

Rapidement, il fit trop sombre sous les frondaisons pour continuer à avancer. C'était la première nouvelle lune du printemps et la nuit brumeuse était froide et noire. Il se couvrit d'une fine couverture de laine qu'il transportait dans son paquetage mais n'osa pas allumer un feu. La menace des Morts-Vivants de Tarak'Enny était encore bien trop présente à son esprit. La plupart de ses provisions étaient défraîchies mais il trouva quelques biscuits de sarrasin et un peu de fromage à manger. L'eau lui manquait cruellement. N'y avait-il donc aucun cours d'eau potable dans les environs ? Les animaux avaient besoin de boire tout comme lui, songea-t-il avec raison. Il trouverait une source au matin.

Le froid le fit greloter toute la nuit, l'empêchant de trouver le sommeil mais il dut finir par s'endormir car il fut réveillé en sursaut par le son grêle d'un cor à la lueur de l'aube. Niédar fut sur pied en un instant. L'avait-on retrouvé ? Il voulut dégainer son arme mais il fut pris d'un vertige et s'appuya à l'arbre le plus proche. Il se sentait fébrile. Un combat ne tournerait pas à son avantage. Heureusement, personne ne vint et à y bien réfléchir, Niédar songea que ses assaillants de la veille ne l'auraient pas prévenu ainsi de leur arrivée. Non, comprit-t-il soudain, c'était le son d'un cor de chasse qu'il avait entendu. Il y avait un village à proximité ! Galvanisé par cette idée et par la perspective d'y trouver de l'eau, il se remit en marche.

En peu de temps, il parvint à un sentier entretenu entre les arbres, puis à la limite d'un village aranéen. C'était une petite bourgade primitive, entourée d'une palissade de troncs taillés en pointe. Il salua le garde en faction, les mains éloignées de ses armes. Il attendit qu'on l'invitât à entrer. La sentinelle était inoffensive. En temps normal, il aurait pu s'en débarrasser sans sourciller mais il était blessé et affaibli par la soif. Il avait besoin de l'aide de ces gens.

Le garde s'adressa à lui dans un dialecte très accentué. C'était incompréhensible. Niédar inspira profondément. On lui demandait sans doute son nom. Le sang battait à ses tempes.

— Niédar Elras d'Uvel, lança-t-il.

Il se racla la gorge pour poursuivre :

— J'aimerais rencontrer votre chef.

Sa demande déclencha du mouvement derrière la palissade. Nerveusement, il s'assura que ses vêtements couvraient toujours la majorité de sa Marque. Avant d'en être bannis un siècle plus tôt, les Aranéens avaient vécu en Iwis. Ils connaîtraient sûrement la signification de ses tatouages.

Quelques minutes plus tard, une vingtaine de personnes s'étaient rassemblées à l'entrée du village. Niédar fut surpris de constater qu'il y avait peu de guerriers pour l'accueillir. On comptait des femmes aux longues jupes plissées qui portaient de jeunes enfants ou des paniers tressés, et quelques hommes plus âgés que lui. C'étaient bien des Elfes mais leur apparence le déconcerta au plus haut point. Ils portaient des vêtements étranges, mélange de cuir ou d'étoffes allant du bleu métallique au vert-de-gris qui se fondaient dans les teintes de la forêt. Les hommes avaient les cheveux presque rasés sur les côtés du crâne et longs et tressés sur le dessus. Tous avaient la peau de la couleur de l'ébène.

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant