L'Herboriste - Les Thaumaturges I

Saltimbanques (10) - Renwyck

Le voyage aux côtés de la Fabuleuse et Fantastique Compagnie des Airs se révéla aussi rocambolesque que Renwyck l'avait escompté, sinon plus encore. Chaque instant était prétexte à une ritournelle, une cabriole ou une tirade. On ne s'arrêtait de chanter que pour danser ou jongler ou pour se chamailler. Lorsque la troupe traversa le premier village, Renwyck comprit que cette routine ubuesque avait pour objectif de travailler les spectacles tout en voyageant. À vrai dire, ses nouveaux compagnons de route ne tombaient silencieux que lorsque le sommeil les prenait. Ce n'était d'ailleurs pas tout à fait vrai si l'on considérait les ronflements sonores de Gracemorel — un sujet tabou que même Srâna se gardait bien d'aborder.

    La route suivait le cours du Grand Fleuve qui remontait inlassablement vers le nord, s'étendant à l'infini. Orpe la connaissait sur le bout des doigts, il l'avait arpentée à de nombreuses reprises. Il savait exactement à quel moment descendre des roulottes pour aider les chevaux. Il suffisait parfois simplement de marcher à leurs côtés, mais lorsque la pente se faisait trop forte, il fallait alors pousser ou bien activer le frein, que l'on fût dans le sens de la montée ou bien dans celui de la descente. Seul Arashi, encore convalescent, était autorisé à rester à bord.

    L'expérience de Renwyck avec le Secret avait fonctionné : Arashi survécut à sa blessure. Le premier soir déjà, son souffle était devenu paisible et la fièvre était tombée. Le jeune prêtre avait ouvert les yeux le lendemain, encore trop faible pour marcher, mais avec le sourire. La blessure avait entamé son processus de cicatrisation. Avec des soins attentifs, il s'en remettrait complètement.

Le voyage fut une période bien remplie pour Renwyck. Dès l'aube, il fallait démonter et ranger le campement qu'ils installaient pour la nuit. La route reprenait et il s'entraînait à chanter sous la tutelle exigeante et loufoque d'Orpe. L'exercice était d'autant plus ardu qu'il se tenait le plus souvent en marchant et Renwyck peinait à répartir efficacement son souffle entre les deux activités. Mais accompagné de la harpe de Srâna ou de la flûte de Gracemorel, il sentait qu'il faisait des progrès. La troupe s'accordait une halte à la mi-journée puis une autre le soir. Avec Renwyck à la direction des cuisines, le quotidien alimentaire de la troupe s'était considérablement amélioré. Ceci, plus encore que tout le reste, facilita son intégration pleine et entière à la Compagnie des Airs.

Ils traversèrent de nombreux villages en chemin. Rivebois était éloigné des grandes routes commerciales, si bien que Renwyck n'y avait jamais croisé de troupe de forains. Tout juste un ménestrel passait-il de temps à autre, mais c'était fort rare. Ici en revanche, de telles apparitions étaient habituelles. Les enfants accouraient à la rencontre des roulottes colorées et Orpe se mettait alors à jongler. Marvin envoyait Srâna voler dans les airs tel un oiseau en de fantastiques acrobaties et Gracemorel dansait dans un tourbillon de rubans ou bien faisait tourner des assiettes colorées en haut de longues baguettes de bois. Les villageois les accueillaient avec enthousiasme le temps d'une courte représentation et les gratifiaient de quelques couronnes de bronze.

Les villages au bord du fleuve différaient de ceux de la région du Vertoult où Renwyck avait grandi. La pierre avait la couleur jaune pâle du beurre frais et les toits n'étaient pas fait de chaume mais de petites tuiles oscillant entre le brun et le rouge. Les clochers d'églises arboraient pour la plupart une forme octogonale que coiffaient des toits très pointus, comme des fers de lance. Les gens s'habillaient aussi dans un style différent, mais qui lui restait pourtant familier.

La compagnie ne dormait jamais en ville ni à l'auberge malgré le bon accueil qui leur était réservé. Ils dressaient chaque soir de grandes tentes de toile, de préférence au milieu d'une prairie herbeuse, et allumaient un feu au centre de l'espace délimité par les roulottes et les tentes.