Saltimbanques (3) - Renwyck

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Au matin, il s'éveilla tout ankylosé et le ventre serré par la faim. Les bois baignaient dans une pâle lumière vaporeuse couleur d'anis frais. Quelques oiseaux gazouillaient dans les frondaisons. Un lièvre détala non loin dans un tambourinement feutré. La mousse était douce sous sa joue et l'espace d'un instant, Renwyck contempla l'idée séduisante de ne pas bouger, de rester là. Dans la forêt, il se sentait en sécurité. C'était comme à Rivebois, comme chez lui.

Il se secoua mentalement. Il fallait partir.

L'état d'Arashi ne s'était pas amélioré durant la nuit, bien au contraire. Sa peau était devenue chaude, sinon brûlante. Le jeune prêtre suait à grosses gouttes. Il avait un teint cireux et Renwyck redouta que la blessure ne se fût infectée. Il ne pouvait cependant rien faire de plus pour le moment, aussi aida-t-il son ami à reprendre la route. En chemin, ils mangèrent quelques galettes de seigle qu'Arashi avait dans sa propre besace. Leurs provisions étaient extrêmement limitées, les outres presque vides. Rapidement, ils viendraient à manquer s'ils ne trouvaient aucun moyen de se ravitailler. Une ferme ou un village seraient l'idéal, mais leurs habitants ne risquaient-ils pas de les vendre aux soldats à leur recherche ?

Sans prévenir, les arbres s'arrêtèrent net, à la lisière d'un large chemin de halage. La route avait été conçue pour permettre à deux attelages de se croiser sans encombre. Elle était recouverte d'une terre bien tassée, ferme malgré la pluie de la nuit, qui témoignait du passage régulier de convois marchands. Au-delà s'étendaient une grande roselière, puis les eaux bleu-vert du fleuve. Des langues de brouillard léger s'étiraient par endroits et masquaient en partie la route et les berges. Ils avaient trouvé l'Hellibe ! Que faire à présent ? Devaient-ils rentrer au Château de Nacre ou bien poursuivre leur route par eux-mêmes ? Sans chevaux ni escorte, le voyage jusqu'en Isha serait long et pénible, dangereux peut-être. Les soldats s'attendraient sûrement à ce qu'ils rebroussassent chemin. Maintenant qu'ils les avaient trahis, ils chercheraient sans doute à se débarrasser d'eux définitivement, pour ne pas être dénoncés.

Plus il y pensait et plus Renwyck était tenté d'aller de l'avant. Sa propre prophétie le tirait vers l'amont du Grand Fleuve, vers les montagnes et vers Prustina. Son cœur désirait ardemment trouver le Nain Hesod et les réponses qu'il pourrait lui apporter. De plus, il lui semblait que c'était aussi la meilleure option pour Arashi dont la mission était de la plus haute importance. S'ils étaient tués en tentant de rentrer au Château de Nacre, l'échec de leur mission ne serait pas connu avant plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Un temps précieux serait perdu. Quand bien même gagneraient-ils le Château de Nacre pour repartir ensuite, quelle assurance auraient-ils de ne pas être trahis de nouveau ? Renwyck avait voyagé seul avec Akhbar depuis Rivebois, Arashi et lui pouvaient très bien faire de même jusqu'en Isha. Le printemps était bien avancé, le temps leur serait clément. Il suffisait de suivre le fleuve jusqu'à Piélogue pour gagner la frontière. Du reste, Arashi était un prêtre de Fay et la marque du culte leur attirerait une certaine bienveillance sur la route. Seuls les soldats de leur escouade représentaient un risque. Les soldats, et l'abominable créature qu'ils avaient rencontrée la veille. Mais LiUarn, lui au moins, ne leur causerait plus d'ennuis. Pourtant, l'image du corps sans tête titubant entre les tombes hantait l'esprit de Renwyck.

Il fut tiré de ces pensées effroyables par la lente percussion de sabots à travers la brume. Des chevaux approchaient

— Ne devrions-nous pas nous cacher ? interrogea Arashi.

Sa voix était faible. Il était parcouru de frissons réguliers. Il faudrait rapidement s'occuper de lui, mais où ? L'eau ne manquait pas ici, mais Renwyck avait besoin d'un feu, d'une marmite, de récipients pour moudre et pour mélanger. Comment faire ?

— Restons à la lisière des arbres, suggéra Renwyck, juste au cas où. Je ne pense pas qu'il s'agisse des gardes. On dirait des animaux de trait. Un peu d'aide serait la bienvenue.

Ils attendirent pendant de longues minutes avant de voir émerger de la brume deux ombres imposantes. Peu à peu, elles dessinèrent la forme de deux roulottes colorées, tirées par de gros percherons pommelés aux crinières tressées de rubans. Des forains ! Le convoi avançait paisiblement sur la route, remontant vers eux depuis l'aval. Sans hésiter, Renwyck quitta le couvert des arbres pour avancer à leur rencontre, suivi péniblement par Arashi.

Arrivé à leur hauteur, le premier attelage fit halte. Il était conduit par une femme à la peau couleur d'argile rouge et vêtue d'un chemisier bariolé. Ses cheveux noir de jais étaient lâchés en une crinière hirsute ornée de bijoux et de plumes. Lorsqu'elle les vit, sa bouche forma un « Oh ! » de surprise avant de s'étirer en un large sourire narquois.

— Ça alors ! s'exclama Srâna. Si je pensais vous retrouver ici !

L'Herboriste - Les Thaumaturges IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant