Chapitre 1.II

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𝓛e regard de la jeune Téo se perdit dans le paysage glacé que lui offrait l'orphelinat des Merveilles. L'épaisse couche de poudreuse recouvrait tout, de l'esplanade herbeuse du jardin immense, aux branches du grand chêne centenaire dans lequel elle aimait grimper en été, en passant par le chemin pavé menant au manoir. Quelques fleurs d'hiver, comme les lys de neige, parvenaient à percer la croûte blanche, ici et là, même si elles avaient triste mine.

Du haut de ses dix ans et demi (et bien loin d'être stupide !), elle se rendait déjà compte que le fait que la neige tombe au plein milieu du mois de Saginer était mauvais signe. La petite fille remonta ses jambes contre elle, prise d'un frisson soudain. Elle avait froid. Et elle était agacée.

Sa patience – ou le peu de patience qu'elle pensait avoir – était mise à rude épreuve depuis déjà une heure. Pourtant, elle s'efforçait de garder bonne mine, bien qu'elle fut seule. Personne n'en avait rien à faire de savoir ce qu'elle pensait.

Croyant entendre un bruit de serrure, Téo tourna brusquement la tête, entraînant une horrible douleur sur son crâne. Elle porta sa main au deux bosses, semblables aux tas de neige qu'elle faisait parfois. Elle les possédait depuis quelques jours, et elles l'élançaient du matin au soir. Cela restait supportable. Sauf quand elle bougeait trop vite la tête. C'était comme si le moindre courant d'air fort ravivait la souffrance, pour une raison inconnue.

Elle n'était pas du genre à se plaindre — « une dame ne se plaint jamais : elle garde le silence et subit », lui avait-on dit —, mais la douleur ne passait pas. Elle avait fini par en parler à son frère, Kan. Elle pouvait lui faire confiance, car jamais il ne la jugeait. Il lui avait conseillé d'en parler à madame Griflyn, la vieille directrice de l'orphelinat, qui avait pris rendez-vous pour un test de capacités auprès d'un verseau pratiquant la médecine.

Normalement, Téo n'aurait pas dû se présenter à cette consultation avant ses onze ans, elle le savait très bien. Mais Mme Griflyn avait jugé préférable de lui faire passer en avance – à six mois près, ce n'était pas trop grave, selon elle. Téo appréhendait légèrement ce moment, de peur de découvrir d'improbables choses sur elle.

« Ne t'en fais pas, ce n'est pas douloureux », lui avait affirmé son frère aîné. Cela faisait déjà un bout de temps qu'il avait passé son test, qui lui avait révélé qu'il était vierge. Cela n'avait guère étonné Téo. Elle avait déjà remarqué qu'il possédait l'intelligence et la beauté caractérisant cette psylina, l'essence composant chaque être vivant.

Ainsi, elle avait fini par atterrir dans le petit salon du très grand manoir. Elle jeta un nouveau coup d'œil dehors, apercevant ses camarades. Elle chercha Kan, en plissant les yeux. Il s'amusait à construire un bonhomme de neige. Seul. Téo et son frère avaient tous deux toujours fait bande à part. Sitôt la consultation terminée, elle irait le rejoindre.

Elle entendit la porte s'ouvrir — elle ne s'était donc pas trompée en pensant avoir entendu le bruit d'une serrure —, et pivota vers la personne qui avait passé sa tête dans l'entrebâillement de la porte.

– Téonary ? demanda Mme Griflyn.

– Oui, madame ? répondit-elle en remettant une de ses mèches couleur de miel derrière son oreille.

La mèche, vicieuse, retomba devant ses yeux. Elle fronça le nez, souffla dessus pour l'éloigner. Elle ne se laisserait pas faire. Ah cela, il en était hors de question !

– Le docteur Trintyam ne va pas tarder à arriver. La tempête à dû le ralentir.

– D'accord, madame.

La vieille femme lui adressa un sourire qui réchauffa le petit cœur de Téo, avant de refermer la porte. Le salon redevint alors froid, vide, et la fillette observa de ses grands yeux bruns la pièce où elle se trouvait, cette pièce qu'elle avait pourtant vu des centaines de fois au cours de sa courte vie.

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant