Chapitre 20.II

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  – 𝓜ais voyons, Originale, tu ne peux pas te présenter ! s'exclama Kan.

Il s'était tourné brusquement vers l'étrange personne (aujourd'hui rousse), manquant de peu de faire tomber les livres qu'il rapportait à la Bibliothèque. Maintenant, il comprenait enfin pourquoi l'Originale le suivait depuis ce matin, elle qui passait la plupart de son temps dans un endroit inconnu de tous (enfin, cela, c'était ce qu'elle disait, mais Kan la soupçonnait en réalité de créer des ennuis dans Monocle).

Il devinait que cette déclaration aurait dû être entendue par Noal, mais la sénatrice était partie pour Ylthenas, sur ordre de la dirigeante Fanie Bélier, et ne reviendrait que la veille des élections. Ainsi, la sénatrice n'étant pas présente, l'Originale se rabattait sur lui.

– Et pourquoi pas ? Que me reproches-tu, Kan-ular ? répliqua-t-elle, pour une fois un minimum claire.

Kan se sentit rougir. Il ne voulait pas la vexer, mais si elle se présentait, jamais elle ne se ferait élire, cela, il en était certain. Il essaya de se souvenir des conditions pour se présenter, mais ne les ayant jamais vraiment étudiés, il ne savait pas comment la contredire.

Il aurait au moins dû les lire une fois ; avec son don de mémoire absolue, il aurait été capable de s'en rappeler. Parfois, il était vraiment stupide.

– Eh bien, tu n'es pas originaire de l'Astriale, dit-il, prit d'une inspiration subite, en se remettant à marcher.

– Oirjak Kreb était originaire de Îles de Glace, et pourtant, il était l'aigle de la Cité d'Argent, il y a vingt décennies, rétorqua-t-elle.

Raté. Kan avait oublié que l'Originale, sous ses airs de fou, était une personne très cultivée. Elle se souvenait de tout, savait tout, et devinait tout.

Et pourtant, elle n'était ni vierge, ni bélier.

Kan réfléchit de nouveau à un autre argument. L'étrange personne dut sentir qu'il était perplexe, car elle attrapa son bras. Elle le tira d'un coup, avec une force qui faillit l'arracher à son tronc. Il poussa un petit cri surpris, toujours pas habitué à ces accès de violence, avant de tourner d'un coup.

– Moi, je vais te dire pourquoi ton esprit te fait dire de telles choses, Kan-arie, affirma l'Originale. Je suis différente, je le sais, et pour vous tous, je ne suis pas normale. Pour vous, « fou » et « normal » sont des antonymes. Mais pas chez moi. Si je me présente, tu penses que je ne serais pas élue – ce qui est très possible. Toutefois, si je n'essaie pas, jamais je ne le saurais. Comment l'oiseau apprend-il à voler ? En essayant de battre des ailes. Ma phrase te disant que j'allais me présenter ne terminait pas par un point d'interrogation, mais par un point « normal ».

Gêné, il bredouilla quelques excuses. L'Originale secoua la tête, avant de le regarder, déçue. Lire ce sentiment dans les yeux vairons de cette étrange personne lui donna un coup au cœur. Il ne pouvait s'empêcher de l'apprécier, malgré les avertissements d'Isebell (qui s'était enfin vengée, et avec qui il s'était réconcilié) et d'Ynaseriam.

– Je ne voulais pas te vexer, dit-il. Tu sais, je t'aime bien, et c'est pour cela que je crains qu'on se moque de toi. Aujourd'hui, et depuis toujours, les gens sont ou peuvent être méchants. Et les politiciens sont les pires. Ce sont des menteurs, des calomniateurs, et ils n'ont aucun honneur. Si tu te présentes, tu pourras être sûre qu'ils vont fouiller dans ta vie privée, décortiquer le moindre détail, et trouver tout ce qui pourras te faire plonger. Même les Espions auraient plus de respect pour ton intimité.

Était-ce du doute qui planait désormais sur le visage de l'Originale ? Il n'en savait rien. Pourtant, il était persuadée qu'elle était en train de méditer ses paroles. Elle finit par acquiescer, avant de sourire. Visiblement, elle ne lui en voulait plus.

– Quand tu parles avec ton cœur, tes mots sonnent plus justes que lorsqu'ils sont prononcés par ton esprit. Tu as été honnête avec moi, alors à mon tour de l'être avec toi. Je n'y avais pas pensé, c'est vrai. D'où je viens, on ne retrouve pas le chien du voisin dans sa maison, c'est comme cela. Même mon amie la plus proche n'y penserait pas, et pourtant, les dieux savent à quel point elle peut être mauvaise. Je suis ce que je suis, et je ne veux pas qu'on me reproche mes extravagances. Je vais y réfléchir. Merci bien, Kan-iche. Spontanéité et sincérité sont parfois plus justes que réflexion et gentillesse.

L'Originale jeta à coup d'œil derrière lui, et il se retourna pour voir ce qui avait attiré son attention. Quand il voulut demander ce qui avait intéressé l'étrange personne, il réalisa qu'elle avait disparu.

Il soupira, avant de reprendre sa marche vers la Bibliothèque.
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Publié le 17/07/2021

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant