— 𝓐ssieds-toi là, s'il te plaît, demanda Nylo en désignant un tabouret à Téo.
Elle s'exécuta sans broncher. Elle remua ses jambes dans le vide, tout en observant Nylo faire le tour de son petit laboratoire à la recherche de quelque chose, ses épais cheveux violets souhaitant fuir l'étreinte d'un ruban. Dans le coin de la pièce, Chouette patientait tranquillement, binocles sur le nez.
Téo arborait désormais la cape bleu nuit des Apprentis — elle avait aussi apprit que, pour plus de discrétion, il s'agissait également de l'uniforme officiel des étudiants, tandis que les noires correspondaient à celui des étudiants ayant leur diplôme, et les grises à celui des professeurs de l'aile est.
Après le repas, Chouette l'avait emmenée dans le dortoir qu'elle partageait avec deux autres filles, dont Emyria, tandis que l'autre se prénommait Saleann. Ensuite, elle lui avait remis de nouveaux vêtements. En conséquence, elle avait dû délaisser sa robe pour une tunique blanche ceinturée à la taille et un pantalon marron. Puis elle avait eu le temps de ranger ses quelques affaires, de mettre en sécurité le livre offert par Mme Griflyn et les quelques thenes qu'elle avait reçu pour ses anniversaires. Elle n'avait pas eu besoin de cacher son collier, car elle n'avait pas l'intention de le quitter.
Des plantes en train de sécher — d'où l'odeur — pendaient à certains murs de pierre, tandis que des étagères où s'alignaient de multiples bocaux en recouvraient d'autres. Le sol était fait du même bois que celui dans le petit passage, derrière la porte massive, appelée « Porte des Secrets » par les Espions. La salle était seulement meublée d'un tabouret, d'une petite table, d'une minuscule bibliothèque et d'un lit pour ausculter les malades.
— Bon, bien que tu aies déjà subi les examens d'un autre toubib, je suis dans l'obligation de te faire passer tous les tests de capacités du cercle supérieur, vu que tu es précoce, sissi ? lui dit Nylo en s'approchant d'elle.
Si Téo n'avait pas demandé à Wuly, plus tôt, la signification de plusieurs mots de leur argot, elle n'aurait pas compris que le verbe « sissir » était en réalité celui « saisir ». Elle acquiesça.
Nylo posa sur une petite table des objets plus insolites les uns que les autres. Ainsi, on pouvait trouver des herbes, un morceau de verre, une carafe d'eau, un très grand bol en terre cuite, un poids qui semblait assez lourd, une souris enfermée dans une petite cage et une fléchette. Nylo commença par sortir un petit tas d'herbes, qu'elle mit juste sous le nez de Téo.
Cette dernière regarda le petit tas avec perplexité, avant d'éternuer sous l'odeur des herbes. Elle secoua la tête, tentant d'oublier l'odeur chatouilleuse des plantes, renifla.
— Tu as une vision ? lui demanda Nylo.
— Comment ? Non, pas du tout.
— Donc tu n'es bien pas bélier.
Nylo lui ordonna ensuite de soulever le poids, ce que fit Téo sans effort. Dans le coin de la salle, elle entendit sa Mentor personnelle siffler d'admiration.
Les tests s'enchaînèrent ainsi pendant encore plusieurs minutes, tous aussi négatifs les uns que les autres. Elle n'était ni gémeaux, ni vierge, ni sagittaire, ni capricorne, ni cancer, ni poisson, ni scorpion et ni verseau. Normal. Ne lui restant plus que les tests pour les lions et les balances, Nylo sortit la souris de sa cage, et la plaça devant Téo.
— Vas-y, ordonne-lui de faire quelque chose.
Téo regarda le rongeur en penchant sa tête sur le côté. Elle ne savait pas ce qu'elle pouvait lui ordonner, avant qu'un conte pour enfants lui revienne en mémoire. Il parlait d'une souris qui pouvait sauter, échappant ainsi aux griffes d'un vilain matou.
— Sautille sur la table.
Le rongeur se leva alors sur ses pattes arrière, la regardant de ses petits yeux noirs, avant de se mettre à sautiller. Téo en fut bouche bée, tout comme Nylo et Chouette.
— Alors ça, c'est pas normal du tout, et c'est très, très noir, marmonna la guérisseuse.
Puis elle sortit un couteau, et le planta dans le corps de la souris. Téo releva ses yeux vers Nylo, interloquée.
— Tu ne ressens pas d'empathie envers elle ? questionna Nylo en essuyant son poignard.
— Non. Je me demande juste pourquoi avoir fait cela.
— Bien, au moins, tu n'es pas non plus balance. Ça nous aurait fait une belle jambe dans le cas contraire.
Chouette s'approcha de Téo, avant de s'accroupir devant elle. Elle sonda les yeux pervenches de sa Mentor personnelle, attendant que celle-ci lui pose sa question. Elle-même ne comprenait pas pourquoi elle possédait le don de manipulation des Lions.
— T'est-il déjà arrivé de dire quelque chose, puis que ça se réalise ? lui demanda Chouette, après avoir jeté un regard à Nylo.
— Oui, une seule fois, avoua Téo. Un de mes camarades à l'orphelinat m'avait volé mon livre. Comme il était plus grand que moi en âge et en taille, il avait pu facilement le mettre hors de ma portée. Alors, comme je n'étais pas contente, je lui ai ordonné de me le rendre, et il l'a fait sans broncher, ce qui m'a surpris. Et après, il m'a traitée de sorcière. Ce à quoi j'ai répondu qu'elles n'existaient plus depuis longtemps.
— Tu connais tes parents ? questionna Nylo.
— Non.
La guérisseuse chercha un livre sur une de ses étagères et sortit un épais ouvrage. Elle le feuilleta quelques minutes sous les regards impatients de Téo et Chouette, avant de secouer la tête.
— Tu ne devrais même pas être encore en vie.
— Comment cela ? demandèrent-elles en chœur.
— Tu es une hybride, ma filiotte. Un étrange mélange entre taureau et lion. Normalement, tu aurais dû naître mort-née, et si tu avais survécu à l'accouchement, ta mère ou une autre personne aurait dû te tuer.
Téo sentit son sang se glacer dans ses veines. Des pièces de puzzles s'emboîtaient dans son esprit, lui donnant de nouvelles hypothèses à propos de l'abandon de ses parents. Et si sa mère avait découvert sa grossesse, sachant pertinemment qu'elle n'était pas normale ? Et si cela l'avait amené au fait qu'elle devait tuer sa propre fille à la naissance, mais qu'elle en aurait été incapable ? Et si elle l'avait confiée au temple d'Ismène pour qu'elle ait la vie sauve ?
— Téo, tu ne diras à personne ce que tu es, d'accord ? ordonna Chouette. Je ne tiens pas à te tuer, tu mérites de vivre. Officiellement, tu es une taureau, t'as sissi ?
— Oui. Mais existent-ils d'autres hybrides ?
— Étoile, mais pas dans ton genre, déclara Nylo le nez dans son livre. Tous les autres connus sont des demi-dieux, du cercle astral. Il y avait Edala du Feu, la fille de la déesse du Feu Tanwen et d'un sagittaire, mais elle est morte lors de la Guerre des Territoires, empoisonnée. Il y a aussi la reine de l'Elwiss, Chrysale de la Nuit, fille de Lilith et du roi fey. Et enfin, il y a le fils de Ray et d'une scorpion, mais on ne sait pas s'il est encore en vie.
— Absolyn du Soleil ? avança Téo.
— Absolyn du Soleil, confirma Nylo.
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Publié le 20/03/2021
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Corrigé le 19/08/2021
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L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]
Fantasy« Ils sont quatre. Certains ne se connaissent pas. Et pourtant, les fils de leur vie sont indéniablement noués entre eux. Jillan souhaite l'égalité de tous. Meilleur Espion de sa confrérie, ancien Apprenti d'une sénatrice, il reste cependant...