𝓢a consultation terminée, Téo s'empressa d'aller enfiler quelques vêtements plus chauds. Elle était encore en train de nouer sa longue cape autour de son cou, alors qu'elle courait dans les escaliers, le doux tissu volant derrière elle. Elle était plus que pressée de tout raconter à son frère.
Elle arriva tout essoufflée devant la grande porte en bois de l'orphelinat, et l'ouvrit d'une main excitée, avant de s'engouffrer dans l'air froid et mordant de l'hiver. À peine mit-elle un pied à l'extérieur, qu'elle dut plisser les paupières pour ne pas recevoir de flocon dans les yeux. Elle les cligna rapidement pour dégager ses cils. Puis elle se dirigea à grand peine vers ses camarades, et prit tant de temps à les rejoindre, qu'elle finit par ne plus sentir son nez.
Enfin, elle reconnut la silhouette de son frère, Kan, à l'écart des autres, construisant un bonhomme de neige. À moins d'un mètre de lui, elle l'appela, et il se retourna vers elle.
– Téo ! Te voilà enfin ! s'exclama-t-il d'un ton enjoué. Alors, comment s'est passé ton test ?
Il fronça le nez dans une mimique inquiète. Téo lui offrit un sourire rassurant. Plus besoin de s'inquiéter ! Elle n'avait, au final, rien de bien grave !
– Je vais bien, ne t'inquiète pas. Je suis taureau. Mes maux de têtes viennent du fait que mes cornes sont en train de pousser.
Il soupira, une main sur le cœur. Elle n'avait pas réalisé que son état le préoccupait tant. Il releva la tête, la secoua, tout en s'esclaffant. Kan avait toujours eu un joli rire qu'elle aimait.
— Ouf ! J'avais peur que tu aies quelque chose de mortel. Je me sens tellement plus léger !
— Carrément ? s'étonna-t-elle.
– Tu avais vraiment une mauvaise mine, affirma-t-il sérieusement, avant de reprendre : Combien de chance y avait-il pour que l'on soit tous les deux du cercle supérieur ?
– Pas beaucoup, c'est vrai !
– Une taureau et un vierge... nous faisons un beau duo !
Téo s'esclaffe, ramassa de la neige.
En réalité, Kanwill Melym n'était pas son frère, ni par le sang, ni par le papier. Cela se voyait en un coup d'œil : Kan était un très joli garçon grand et mince, avec de magnifiques prunelles bleues comme un ciel d'été au Jowel. Il avait toujours ses cheveux ébène dans les yeux, mais refusait résolument de les couper.
Alors qu'elle, elle n'était même pas qualifiable de « jolie » avec sa petite taille et son léger embonpoint. Elle était blonde aux yeux bruns comme la plupart des Luniennes – ce qui n'était guère original.
Enfin, cela, c'était l'avis des autres sur sa personne. Personnellement, elle aurait pu admirer son reflet pendant des heures. Elle était ronde ? Cela faisait plus d'elle à aimer. Elle n'était pas belle ? Foutaises ! Les autres allaient devoir revoir leurs critères de beauté.
Au niveau caractère, Téo et Kan étaient aussi différents : autant l'un restait silencieux, timide, n'avait aucune autorité et respectait les règles, autant l'autre adorait faire des bêtises. L'un avait les pieds sur terre et l'esprit cartésien, l'autre semblait avoir sans cesse la tête dans les nuages avec les idées qui partaient dans tous les sens. Ces différences ne changeaient rien pour Téo, et elle savait que Kan la considérait aussi comme sa sœur.
Ensemble, ils renforcèrent le bas du bonhomme de neige. Puis Kan sortit une carotte et quelques cailloux pour finaliser son œuvre. Il recula dans le haut tapis de poudreuse, avant de la contempler.
– Je reconnais que je suis assez fier de moi, avoua-t-il.
– C'est vrai que je le trouve bien sympathique, ce bonhomme.
Bon, Téo se devait de le reconnaître : le bonhomme de neige n'avait pas les yeux au même niveau, et possédait un sourire un peu de travers, mais cela faisait son charme. Et son originalité. Elle aimait beaucoup l'originalité.
– Celui de l'an dernier n'était-il pas plus haut ? demanda-t-elle tout de même.
– Je n'en sais rien : je n'avais pas encore mon don de mémoire.
Les vierges avaient une mémoire absolue : ils n'oubliaient jamais rien, se souvenaient de tout, et relevaient sans mal les incohérences. Encore un don bien pratique, bien que cela les faisait parfois passer auprès du cercle inférieur pour des personnes orgueilleuses et qui savaient tout sur tout (ce qui était le cas, en soi, pour ce dernier point).
– Après, rajouta Kan, il est aussi possible que tu aies enfin grandi un peu.
– Hum, non, je ne pense pas que ce soit cela. À mon avis, c'est juste parce que je n'étais pas présente lors de la conception des bases de ce bonhomme de neige, et que tu n'as pas pu recevoir mes merveilleux conseils ; tu es un architecte médiocre, Kan.
Si cela n'avait pas été son frère qui la taquinait, Téo aurait certainement répondu quelque chose de bien plus dur.
Puis elle tira la langue à son frère, qui fit mine d'être choqué. Il se baissa, et ramassa une poignée de neige. Il était encore en train de peaufiner sa boule de poudreuse, lorsqu'il en reçut une en retour ! Relevant la tête de son travail, les cheveux pleins de neige, Téo ne put s'empêcher de rire. Comme d'habitude, elle était plus rapide que lui, et la force qu'elle utilisait pour son tir ne l'étonnait désormais plus – si elle était taureau, cela s'expliquait facilement.
– Je crois que tu as un peu de neige dans les cheveux, pouffa-t-elle.
Kan porta sa main à ses mèches d'ébène, et en retira un bon morceau de neige. Il fusilla sa sœur du regard (bien que cela lui donnait tout au plus l'air d'un inoffensif chaton en colère), avant de lancer sa boule inachevée. Téo esquiva son tir, avant de pouffer de plus belle, et de reconstituer ses munitions.
Tandis qu'elle s'amusait ainsi avec son frère, elle sentit leurs camarades, eux-mêmes occupés à faire leur bonhomme de neige, les observer. Elle avait beau faire bande à part, elle savait que son excellente entente avec Kan faisait souvent des jaloux parmi les autres, et ce serait mentir de dire qu'elle n'en jubilait pas, même si c'était indigne d'une dame.
Essoufflé, elle vit Kan poser ses mains sur ses genoux, en lui faisant signe qu'il faisait une petite pause. Elle se retint en conséquence de lancer sa boule de neige, et son regard tomba sur les orphelins qui les surveillaient. Téo avait beaucoup de défauts : elle était agaçante, entêtée et même orgueilleuse, mais elle aimait partager, même avec des personnes qu'elle n'appréciait pas forcément. Décidée à ne pas laisser ses camarades les envier plus longtemps, elle s'approcha d'eux, sans quitter ses pieds des yeux.
– Voulez-vous venir jouer avec nous ?
Les autres Merveilleux se consultèrent entre eux, avant d'acquiescer. Ainsi, tous se répartirent en deux équipes, et firent l'une des plus belles batailles de boules de neige qu'on n'avait jamais vues à Ylthenas depuis longtemps.
Et même si Téo aimait rester seule avec Kan, elle devait bien avouer qu'elle aimait aussi la compagnie des autres enfants.
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Publié le 01/01/2021
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Corrigé le 13/06/2021 grâce à MarieSomville
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L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]
Fantasía« Ils sont quatre. Certains ne se connaissent pas. Et pourtant, les fils de leur vie sont indéniablement noués entre eux. Jillan souhaite l'égalité de tous. Meilleur Espion de sa confrérie, ancien Apprenti d'une sénatrice, il reste cependant...