Chapitre 19.I : L'Ombre Blanche

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Ce fut en 1425 qu'on estima que la Guerre des Cercles – ou Troisième Grande Guerre – avait débuté. Oh, pas directement comme les deux Grandes Guerres précédentes, non, mais plutôt sous une forme cachée, qui cherchait à affaiblir l'Astriale.
Chroniques d'Upsylone, de Mestalime Dirdan, an 1501.

  𝓙illan observait sans mot dire Omâhn Djêtyhous, les doigts posés à plat sur la table. Lui n'avait rien commandé, tandis que l'homme déjeunait tranquillement, sans s'offusquer de son regard.

Jillan s'était pourtant juré de ne plus jamais avoir affaire avec Omâhn. Il avait tenu plus d'un an. Il était même certain qu'il aurait oublié – ou fait semblant d'oublier – cette nuit où Omâhn lui avait parlé de ses origines, s'il ne l'avait pas aperçu dans Opaltys.

Il n'était pourtant pas curieux. Mais bon, il était comme tous les orphelins ; il avait besoin de savoir d'où il venait.

Jillan cilla une fois. Il n'avait pas adressé la parole à Omâhn, car il savait que ses intentions étaient claires. Il ne lâcherait pas l'homme tant qu'il n'aurait pas des réponses.

Omâhn termina son ragoût, récupéra le jus avec sa mie de pain.

– Décidément, tu es bien silencieux.

C'était l'euphémisme de l'année.

– Je ne vais pas gaspiller ma salive à parler du beau temps avec vous, répliqua Jillan en articulant.

– Tu n'as pas tord. Les gens parlent bien trop pour ne rien dire. Si seulement ils allaient directement au vif du sujet ! Cela ferait gagner du temps à tout le monde.

Jillan ne répondit pas, mais lui lança un regard appuyé. Omâhn bailla à s'en décrocher la mâchoire, sans aucune gêne. La pièce était bruyante – après tout, c'était l'heure du déjeuner, et les clients ne faisaient aucun efforts pour être calmes – et sentait une multitude d'odeurs, entre celles délicieuses de la nourriture, et celles écœurantes de la crasse et de la sueur des personnes présentes.

  – Bien, bien. J'ai compris, reprit Omâhn. Tout ce que tu souhaites, c'est connaître mes secrets, enfin surtout ceux qui te concernent, avant de me rayer de ta vie. D'accord, je vais te parler de tes origines. Sans contre-partie. Je me sens d'humeur généreuse, aujourd'hui.

Cela sentait le piège à plein nez. Même une cervelle de souris s'en serait rendu compte. Et Jillan y mettait les deux pieds. Mais il était Espion, il savait très bien qu'il s'en sortirait sans mal. Omâhn était un Sethrek, cela ne faisait aucun doute, et la plupart des Sethreks étaient humains. Face à un capricorne, il ne faisait pas le poids, même avec ses étranges ombres qui effrayaient Jillan bien plus qu'il ne l'aurait voulu.

Voyant qu'il ne répondait toujours pas, Omâhn soupira.

– Je connais très bien ta mère. Ton père un peu moins ; je l'ai rencontré une fois, lors d'un de mes voyages en Astriale.

– Et qui est-ce qu'ils sont ?

– Patience, j'y viens. Ton père s'appelait Mowee Lejiner. C'était un capricorne de Buulo, charpentier. D'ailleurs, à part les yeux, tu lui ressembles beaucoup. Lui aussi était élancé ; il avait les même cheveux blonds légèrement ondulé, le même grain de beauté au dessus de sourcil, et je crois même que ta peau a la même teinte que la sienne. Si mes souvenirs sont bons – quand je l'ai rencontré, tu venais à peine de naître, donc ça remonte il y a bientôt vingt ans maintenant – il avait un don de glace assez puissant, très utile dans son métier.

Omâhn fit une pause, le temps de boire un verre de vin. Jillan resta silencieux. Il écoutait, bien qu'il ne croyait pas sur parole l'homme – il aurait était une sacrée cervelle d'oiseau, sinon. Toutefois, il notait mentalement ces informations ; il pourrait toujours les vérifier lorsqu'il irait à Buulo, au Jowel.

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant