Chapitre 30.III

57 14 3
                                    

– 𝓚anwill ? Est-ce bien vous ?

Kan s'arrêta, soupira. Il était exténué. La soirée – plus exactement Téonal Lion – l'avait épuisé. Il avait eu du mal à se justifier face à ses questions incessantes, mais finalement, il trouvait qu'il s'en était pas mal sorti. Sa mère ne lui avait pas menti : Téonal était un maître dans l'art de la manipulation, et Kan avait été surpris en réalisant qu'il était tombé plusieurs fois dans des pièges pourtant évidents.

Mais voilà qu'alors qu'il s'apprêtait à prendre congé, que Mme Griflyn venait de l'aborder !

– Bonsoir, madame. Oui, c'est bien moi, fit-il en se retournant.

La directrice, de famille noble malgré son travail, avait bien changé depuis la dernière fois qu'il l'avait vu. Ses cheveux étaient presque blancs, les rides de son visages s'étaient approfondies. Pourtant, elle avait toujours ce doux sourire qui faisait que tous les orphelins l'adoraient.

– Que vous avez grandi ! Je n'étais pas certaine de vous avoir reconnu, j'espère que vous me pardonnerez.

– J'aurais pu vous pardonner, si vous ne m'aviez pas menti à propos de Téo. Vous savez, Téonary Naryn, l'orpheline avec qui je jouais tout le temps, celle dont vous refuser de me dévoiler le nom de sa nouvelle famille ?

Kan grimaça intérieurement. Ce n'était pas son genre, d'être aussi dur. Mais il était fatigué, et il en voulait à Mme Griflyn, qui avait pâli. Celle-ci regarda autour d'eux, vérifiant que personne ne les écoutait, avant de baisser le ton.

– Je vous l'ai déjà dit : des clauses de confidentialités m'empêchent de vous parler d'elle. Soyez cependant rassuré ; je suis persuadée qu'elle est en bonne santé.

– Vous me permettrez d'en douter.

Mme Griflyn soupira.

– Je comprends votre façon de penser, Kanwill. Je n'avais pas prévu de reparler de ce sujet avec vous, ce soir. Non, je pensais discuter d'autre chose.

– Et quoi donc ?

– Le mois dernier, quelques orphelins se sont introduits dans mon bureau – comme vous le faisiez déjà à votre époque – et ont mélangé des dossiers. En les rangeant, j'ai retrouvé dans le dossier d'une ancienne orpheline, partie le jour de votre arrivée, une feuille qui vous concernait.

– Vraiment ?

Kan était surpris, et s'arracha un bout de peau. Quand il avait fouillé le bureau de la directrice avec Téo, à l'âge de neuf ans, il avait constaté que son dossier ne comportait que les informations ajoutées lorsqu'il avait mis les pieds aux Merveilles. Il n'y avait rien sur son passé, pas même son jour de naissance.

Mme Griflyn acquiesça.

– Oui. J'avais oublié l'existence de cette feuille, étant donné que je m'occupais de l'adoption de cette orpheline. Je l'ai rangé par inadvertance dans le mauvais dossier. Kanwill, j'ai retrouvé le nom de la personne qui vous a amené aux Merveilles, il y a presque seize ans.

Kan ne put répondre. S'il le voulait, il pourrait retrouver ses parents. Comme tous les orphelins, il s'était posé cette question : d'où venait-il ? Il aimait Noal et Thyllineg, qu'il considérait comme ses parents, Téo était la seule sœur qu'il n'aurait jamais. Pourtant, apprendre qu'il pourrait savoir, cela lui fit quelque chose.

– Vous devinez que je n'ai pas cette feuille sur moi, poursuivit Mme Griflyn. Cependant, si vous le souhaitez, vous pouvez passer demain aux Merveilles la récupérer. Après tout, vous en avez bien le droit.

Même s'il lui en voulait, Kan offrit un sourire à la directrice.

– Bien sûr que je viendrai. Merci beaucoup, Mme Griflyn.

Il prit congé d'elle, bien plus heureux, décidé à aller se coucher. Lorsqu'il arriva enfin devant l'appartement qu'on lui avait attribué (celui de Noal quand elle était à Ylthenas), il faillit bondir devant l'apparition soudaine de l'Originale. Il ne s'étonnait même plus de la voir ici.

Maintenant qu'il y pensait, c'était vrai qu'il ne lui avait pas parlé de la soirée. Il ne savait même si elle avait apprécié la fête.

– Oh, Originale ! Alors, ton expérience s'est révélée intéressante ? demanda-t-il poliment.

Son ton respirait la joie. Il était bien moins calme que d'ordinaire.

– Oh que oui ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis satisfaite ! s'exclama-t-elle.

C'était la première fois qu'elle était si claire, mais aussi si heureuse. Kan se demanda quelle en était la raison, mais il n'eut pas le temps de le lui poser la question, car elle sortie une feuille de papier de sa poche, qu'elle lui tendit.

– Tiens, c'est pour toi : je suis sûre que cela va refaire ta soirée ! Même si je vois que le soleil l'illumine déjà, fit-elle.

– Comment cela ? questionna-t-il en prenant la missive et en baissant les yeux dessus.

Remarquant qu'on ne lui répondait pas, il releva la tête. L'Originale n'était plus là. Est-ce que cela l'étonnait vraiment ? Pas le moins du monde. Alors, il reporta on attention sur la feuille pliée, en se demandant de quoi il en retournait.

Décidé à satisfaire sa curiosité, il ouvrit la lettre. L'écriture, possédant de grandes boucles et légèrement italique, ne lui disait rien. Ainsi, il posa ses yeux sur la signature.

Et il eut un coup au cœur.

Il crut voir flou, et relut le nom. Mais non, ce nom, appartenant à une personne de laquelle il avait parlé, était bien celui de sa sœur. Reprenant depuis le début, il lut attentivement les premières paroles de Téo depuis des années.

Mon cher Kan,

Déjà presque cinq ans que nous ne nous sommes pas vu, mon frère ! Dire que tu me manques est un euphémisme. Et pourtant, je t'ai entr'aperçu ce soir. Quel plaisir de voir que tu es en pleine forme ! Mais bon, je n'ai pas le temps de développer, et ne peux te dire pourquoi je n'ai pas fais l'effort de te parler. Toutefois, tout ce que je peux faire, c'est te donner rendez-vous, le mois prochain à la même date, vers quatorze heures, au pont d'Opaltys. Je ne sais pas si tu viendras, mais sache que moi, j'y serais.

Avec tout mon amour, ta sœur, Téo.

Il resta immobile quelques minutes. Puis un sourire de pur bonheur apparut sur son visage. Savoir qu'elle était encore vivante était l'un des plus beaux cadeaux qu'on pouvait lui faire. Il ne manquerait pas de remercier l'Originale dès qu'il la verrait.

Ce soir, il avait reçu deux bonnes nouvelles : il allait pouvoir retrouver sa sœur, mais également ses géniteurs.

Il ne méritait pas tant de bonheur.
___
Publié le 25/09/2021

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant