Si un Mentor personnel se retrouve indisposé, et ne peut continuer l'enseignement de son Apprenti, alors un autre Espion sans Apprenti doit être nommé Mentor de remplacement, le temps de la convalescence.
Règle 26 de la Charte des Espions.– 𝓒'est officiel : je déteste – non, je hais – être alitée. J'ai l'impression d'être un poids mort, et c'est insupportable, grogna Ydalt en claquant ses cartes sur le plateau face à elle.
Dytal rassembla les cartes de sa sœur. Assis en tailleur sur le lit de cette dernière, ces parties de cartes lui rappelaient celles qu'il faisait avec elle quand ils étaient encore enfants. Enfin, les caprices d'Ydalt en moins.
Quand celle-ci s'était aperçue qu'il la laissait gagner, elle avait failli le frapper avec le plateau. Et maintenant qu'il jouait normalement, et qu'il avait gagné, elle semblait encore pique-rouge.
Il s'avérait que sa convalescence mettait Ydalt de très mauvaise humeur, et qu'elle était désormais très susceptible.
– Tu es passée à deux doigts de la mort, lui rappela Dytal. Laisse à ton corps le temps de récupérer.
– Mais ça fait déjà deux semaines que j'ai interdiction de bouger ! Si toi, Emren ou Téo ne veniez pas me voir pour me divertir, je jure au nom de tous les dieux que j'aurais préféré que le Faucheur garde mon âme !
– Ne dis surtout pas cela ! rugit-il en se tournant vers elle.
Il la fusilla du regard, et pendant dix secondes, ils se dévisagèrent, voyant lequel allait céder le premier. Finalement, Ydalt détourna les yeux en soupirant, ajusta ses binocles.
– C'est cet endroit ; ça me rend fa'dingue de voir le même paysage en permanence, avoua-t-elle, lasse. J'ai l'habitude de travailler tout le temps, et d'être à l'arrêt me tape sur les nerfs. Quand je pense que je suis obligée de stopper la formation de Téo, alors qu'elle s'améliorait si bien ! En plus, ça lui a mit un sacré coup au moral, et elle refuse de toucher à un poignard.
– Je sais, souffla Dytal en se souvenant la mine maussade qu'affichait en permanence Téo.
Cela faisait si longtemps qu'il ne l'avait pas entendu rire, ou parler avec passion d'une chose qu'elle avait découvert dans un livre, qu'il se demandait si elle n'était pas décédée en même temps que ce garde. Il pensait que cela s'améliorait lorsqu'elle serait sortie de sa convalescence – suite à sa fugue, elle avait halluciné pendant un jour et une nuit – ; il s'était trompé.
Mais le pire n'était pas là. Ce qu'il n'avait pas dit à sa sœur, de peur qu'elle devienne pique-rouge, c'était que Téo avait été punie. Quand elle s'était sentie en meilleure santé, sa fièvre tombée, Olalo l'avait convoqué.
Emren et Dytal n'avaient pas été mis au courant. Sinon, ils se seraient tous les deux opposés au châtiment qu'elle avait reçu. Ils étaient arrivés trop tard. Quand Dytal avait compris quelle punition elle avait subi, Olalo, qui respectaient toujours à la lettre les règles de la confrérie, en avait déjà terminé avec elle.
Dytal avait vu Téo sortir de bureau du Mentor, grimaçant, en marchant avec difficulté. Elle semblait souffrir le martyr, et Dytal savait que, s'il avait demandé à voir son dos à cet instant, cinq grandes lignes rouges dues au fouet orneraient sa peau.
Téo n'avait pas été punie pour avoir tué un Garde — c'était un accident, même Olalo l'avait reconnu. Elle avait été punie parce qu'elle avait fugué de l'Académie, et le châtiment était cinq coups de fouet. Même si elle semblait aller mieux depuis, elle marchait encore avec raideur. Dytal se doutait qu'Emren s'en voulait terriblement, car il était à l'origine de sa fuite.
Aucun des deux n'avaient osé dire à Ydalt que son Apprentie avait été fouettée. Mais ils savaient qu'elle entrerait dans une colère noire quand elle l'apprendrait.
– Mais pour sa formation, il n'y a pas de problème pour l'instant, reprit-il. Souris a estimé qu'il serait intéressant de faire travailler Wuly avec elle, pour voir leurs réactions. Qui plus est, Téo et Wuly s'entendent bien.
Cependant, Ydalt ne l'entendait pas de cette oreille. Claquant des doigts fortement, elle accentua par ce mouvement la lumière produite par les globes-lumineux – seul luxe qui démarquait la chambre d'un Espion de celle d'un Mentor.
– Mais Téo reste mon Apprentie. De plus, Souris ne peut pas gérer Leohnas, et deux adolescents, surtout que Wuly passe son Espionnage en Tauriner prochain, rétorqua-t-elle. Selon la Charte, je dois choisir un Espion sans Apprenti pour prendre mon relais. Je t'aurais bien pris toi, mais tu as eu l'excellente idée de prendre ENFIN un Apprenti. Donc je ne sais pas qui prendre. J'aurais bien choisi Emren, mais lui aussi a un Apprenti.
– Il suffit de faire de la logique, répondit-il en claquant à son tour des doigts, moins fort, pour diminuer la luminosité. Qui n'a pas d'Apprenti, et qui aurait les capacités de s'en occuper d'un ?
– 'Sais pas.
– Tu ne fais pas d'effort, Yda, la gronda-t-il gentiment. Arrête de te comporter comme une gamine, et réfléchis.
– Eh bien, on a Aigle, mais avec Leohnas, je serais un sacré cœur de Tenebris. Il y a aussi Olalo – après tout, ça fait un petit bout de temps que Tigresse est Espionne – mais j'ai peur qu'il soit un peu trop sévère et trop carré pour elle (Dytal se retint de grimacer pour ne pas lui mettre la puce à l'oreille). On a Lièvre, mais lui, je ne lui fais absolument pas confiance. Ah, mais il y a Renard ! Étoile, mais non, il est trop solitaire...
– Stop !
Ydalt le dévisagea, ne comprenant pas. Il put lire le chemin que prenait ses pensées sur son visage, et son expression s'illumina quand elle réalisa.
– Mais étoile, c'est vrai ! Renard aide déjà Téo à côté. C'est pour ça qu'elle s'est si vite améliorée : parce qu'elle avait une double formation ! Et en plus, il paraît qu'ils s'entendent comme souris dans le foin. J'avais oublié que ça m'avait stupéfié quand je l'avais appris. Étoile, étoile, je vais faire ça. Dyta, tu veux bien aller me chercher Renard, s'il te plaît ?
Il sourit en hochant la tête. Il préférait mieux la voir dans cet état que d'humeur grognon.
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Publié le 24/07/2021
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L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]
Fantasía« Ils sont quatre. Certains ne se connaissent pas. Et pourtant, les fils de leur vie sont indéniablement noués entre eux. Jillan souhaite l'égalité de tous. Meilleur Espion de sa confrérie, ancien Apprenti d'une sénatrice, il reste cependant...