Chapitre 27.IV

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  𝓛e jour où Jillan rentra à Opaltys, il pleuvait des cordes. Sous la violence des gouttes d'eau, des feuilles aux couleurs rouges, jaunes et oranges se décrochaient, pour tomber au sol.

Les pavés du chemin menant à la porte de l'Académie étaient glissants. Corbeau et lui avaient dû descendre de leur monture pour ne pas leur donner du poids supplémentaire, et les faire trébucher. Il n'empêche, leurs vêtements étaient trempés, et Jillan détesta entendre le « plic ploc » qu'il produisait quand il fut dans l'entrée de l'Académie.

Corbeau avait monté les escaliers menant à l'étage, et accessoirement au salon où se retrouvaient les Mentors, sans un mot pour Jillan. Celui-ci en avait déduit qu'il devait patienter, tant qu'ils délibéraient à son sujet. En attendant, il se rendit à sa chambre, pour se changer.

Une fois dans celle-ci, il se sentit nostalgique. Ce serait la dernière fois qu'il dormirait ici. Demain, soit il partirait parce qu'il aurait échoué, soit il prendrait une chambre à l'étage, dans les quartiers des Mentors.

Il n'eut même pas la force d'aller dîner – quand Emyria et Zym allaient apprendre qu'il était rentré, et qu'il n'était même pas passé les voir, ils lui feraient sa fête – et s'endormit comme une pierre.

Lorsqu'il se réveilla le lendemain matin, à cause de la violence de l'averse et des gouttes de pluie contre la vitre, il ne put s'empêcher de repenser au mois passé. Après les premières appréhensions, il trouvait que tout s'était très bien passé entre lui et les élèves. À part avec deux d'entre-eux.

Déjà, la jeune Isebell Noiselas, qui ne lui avait pas pardonné l'humiliation du premier jour. C'était toujours de mauvaise grâce qu'elle venait en cours, et travaillait. Le second n'était autre que Kanwill Melym, qui nourrissait des soupçons à son encontre, depuis qu'il avait surpris Jillan en train de discuter avec Corbeau.

Il pensait qu'il serait tranquille, dans cet endroit interdit au public. Il ne s'attendait pas à ce que ce gamin ait le droit d'y venir. Enfin, depuis cet épisode, il n'avait cessé de constater que Kanwill Melym le suivait, se pensant discret, tout en posant des questions sur son sujet.

Jillan avait bien cru se faire démasquer. Heureusement, il l'avait échappé belle, et quand Mme Vyllas était revenue, ils avaient pu partir tranquillement.

Il fit une toilette rapide, avant de sortir de sa chambre. Désormais, son estomac grondait ; il mourait de faim. En se rendant au réfectoire, il entendit quelqu'un l'appeler.

– Renard ! Aïe, mes cheveux ! Renard, attends-moi !

Il se retourna, et leva un sourcil en reconnaissant Téonary, qui portait sur ses épaules le petit Leohnas, le fils de Souris et Aigle. À l'aspect des cheveux de Téonary, Jillan se dit que l'enfant adorait tirer dessus, surtout aux deux poignets qu'il avait.

– Ahu, fit-il, amusé. Tu peux m'expliquer ce qu'il se passe ?

– Ahu ! Eh bien, Aigle est en mission, et Souris est malade – avec le temps qu'il fait, elle a attrapé froid – du coup c'est moi qui garde Leoh quand je ne suis pas en cours. Sinon, c'est Nylo qui s'en occupe. Mais ne change pas de sujet : on dit que tu as passé ta dernière épreuve, alors ?

Ils se remirent en marche. Jillan se décala d'un pas quand Leohnas essaya d'attraper ses cheveux en babillant « Jaune ! Jaune ! Jaune comme Éo ! ». Il supposait qu'« Éo » était « Téo ».

– Qu'est-ce que j'en sais ? répondit-il. Les Mentors ne m'ont pas encore dit la réponse. Eh, mais d'ailleurs, comment tu sais que c'était ma dernière épreuve ?

Téonary s'esclaffa, avant de sourire, malicieuse.

– C'est juste de la déduction. Aucun d'entre-nous ne sait en quoi consistait ton épreuve, mais tu es parti longtemps, avec Corbeau, sans oublier le fait que Sal t'ait vu avec une énorme pile de feuilles avant ton départ. Et comme tu ne sortais pratiquement plus après cela, nous en avons déduit qu'il y avait une épreuve dans l'air. Ce n'était pas bien compliqué.

Elle haussa les épaules, ce qui fit rire Leohnas, qui tira de plus belle sur ses cheveux.

– Leoh, nous avions dit que tu devais arrêter de faire cela ! râla-t-elle. Enfin voilà. Je tiens à te dire que je suis persuadée que tu as réussi. Car si tu as raté, c'est que les épreuves sont vraiment insurmontables.

– Quelle idée tu as encore en tête ?

Il connaissait cette façon qu'elle avait de plisser légèrement les yeux. Quand elle faisait cela, elle allait lui sortir une de ses phrases atypiques.

– Rien. Enfin, si, je me disais que si tu réussissais, je pourrais me vanter en disant aux autres : « Vous voyez ? J'ai été entraînée par lui, c'est pour cela qu'il a réussi : parce qu'il m'a eu moi comme élève, et que je suis une excellente élève ».

– J'aurais dû m'y attendre, venant de ta part, fit-il en secouant la tête tandis qu'elle ricanait, fière d'elle.

Il sourit doucement, avant qu'ils ne se séparent, elle pour rejoindre la table des Apprentis (elle installa Leohnas à ses côtés), lui pour rejoindre celle des Espions. Il s'assit à sa place habituelle, en face de Zym et à côté d'Emyria. Immédiatement, ils lui reprochèrent de ne pas leur avoir dit qu'il était rentré.

À leur grande frustration – et à celle du reste de la tablée – il ne répondit à aucune de leurs questions, ce qui lui valut plusieurs insultes. Pour une fois, Jillan était assez de bonne humeur. Il devait bien reconnaître que l'ambiance de la confrérie lui avait manquée. La façon qu'avait Emyria de toucher sa tâche de vin, les sous-entendus de Zym, et même l'humour particulier de Téonary.

Tout cela lui avait manqué, quand il était à Monocle.

Le petit-déjeuner passa bien vite. Comme il l'avait prévu, il fut convoqué dans le bureau de Fennec juste après, où il retrouva tous les Mentors.

– Bon, tu sais pourquoi tu es là, déclara Loup en croisant les bras.

Jillan acquiesça, sérieux. Son avenir était en train de se jouer. Fennec réajusta son bandeau rose fuchsia.

– On a pris notre décision, fit celui-ci.

– Si j'étais toi, je préparerais mes affaires, avança Corbeau.

Jillan cilla dans sa direction, pas certain de comprendre. Avait-il raté ? En tout cas, il voyait un vrai amusement dans les yeux de couleurs légèrement différentes de Corbeau.

Chouette grogna avant de frapper les trois autres Mentors à l'arrière de la tête.

– Vous êtes de vrais cœurs de Tenebris ! C'est pas sympathique de le faire tourner en bourrique (Chouette se tourna vers Jillan, soupira). Écoute pas ces trois masques ; bien sûr que tu as réussi ton Supérieur, Renard. On voulait seulement te dire que la cérémonie aurait lieu ce soir.

– Je n'ai pas menti ! s'offusqua Corbeau. Je lui ai dis de préparer ses affaires, et c'est vrai ! Il faut bien qu'il change de chambre, désormais !

Tandis que les deux Kiplik se disputaient, Loup fit signe à Jillan de le suivre. Ils sortirent du bureau, montèrent à l'étage.

– Tu verras, même si en apparence, on essaye de rester sérieux, quand on est qu'entre-nous, on arrête pas de se charrier, expliqua Loup. Là, voilà ta chambre. Tu peux déjà commencer à déplacer tes affaires. Sois à l'heure.

– D'accord. Merci, Loup.

Celui-ci se retourna, haussa un sourcil.

– De quoi ? C'est toi qui as fait tout le travail. Tu mérites bien d'être Mentor.

Loup ne le vit pas, mais Jillan lui sourit, tant il était heureux.
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Publié le 04/09/2021

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant