Chapitre 7.II

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𝓛orsqu'elle pénétra avec Emyria dans le réfectoire, après avoir déposé son livre dans leur dortoir, Téo fit exprès de prendre l'air hautain que les autres détestaient. Elle entendit encore une fois les murmures incessants des autre Apprentis sur son compte. C'était déjà la cinquième fois qu'elle venait manger, et les autres avaient encore assez de sujets pour parler d'elle. Et à chaque fois, ils étaient différents.

Entre le fait qu'elle était nouvelle et « bourgeuse », qu'elle était très organisée dans sa chambre qu'elle partageait avec deux Apprenties, qu'elle bougeait beaucoup en dormant, qu'elle s'était cassée un bras parce qu'elle était arrivée en retard, les Apprentis avaient toujours de quoi l'enfoncer encore plus.

Et ce soir, le sujet du repas était le fait que Renard, le meilleur Espion de la confrérie et solitaire réputé, l'avait aidé en la menant jusqu'à l'Antre du Corbeau, où elle y avait passé toute la fin de son après-midi. Téo releva la tête face à cette avalanche de rumeurs en quittant Emyria et en rejoignant Wuly qui lui faisait signe.

Elle venait de prendre une décision. Ce soir, elle allait faire cesser ces ragots.

Certes, elle était restée timide et discrète sur les premiers repas, mais sa nature reprenait bien vite sa place, et elle aurait du mal à ne pas répondre violemment à ses camarades. Aux Merveilles, c'était toujours elle qui les défendait face aux autres, Kan et elle. Elle n'avait jamais eu sa langue dans sa poche.

Ce qui l'avait empêché de répondre était le fait qu'elle ne comprenait pas encore entièrement le langage populaire des autres, et aussi parce qu'elle ne savait pas si elle avait le droit de provoquer une esclandre. Mais elle avait eu l'autorisation sous-entendue par Emyria.

Et puis, de toute façon, la plus grande passion de Téo était de déroger aux règles.

— Tu vas bien ? lui demanda à un moment Wuly tandis qu'elle mordait de toutes ses forces sa cuillère.

— Potirons, épices, lardons et noisettes grillées.

Elle réfléchissait à ce qu'elle allait bien pouvoir dire.

— Pardon ? répliqua-t-il, comme pas sûr de la comprendre.

Téo laissa enfin sa cuillère en paix, avant de fermer les yeux. Elle reprit tranquillement un peu de soupe, savoura son repas, et rouvrit les paupières. Elle fixa ses iris bruns dans ceux de Wuly.

— Dans cette soupe, il y a des potirons, des épices des îles de fleurs, des lardons et des noisettes grillées, répéta-t-elle.

— Oh, étoile. Merci. Mais ça répond pas à ma question.

— Je vais si bien que je suis en train de préparer un plan pour faire taire définitivement tous ces Apprentis, gronda-t-elle.

Wuly l'observa, horrifié, la cuillère à la bouche.

— Tu peux pas les tuer ! s'écria-t-il.

Sa remarque fut si incongrue que Téo cessa deux secondes de penser à son plan, et « avala la goutte », comme disaient les Apprentis (ce qui voulait dire qu'elle eut un sacré fou rire).

— Mais non voyons ! Je ne vais tuer personne ! Je vais juste leur faire comprendre que leurs remarques m'agacent et que je ne suis pas si différente d'eux.

Wuly hocha la tête, la cuillère toujours coincée entre ses lèvres et les yeux si écarquillés que cela la fit rire de nouveau. Ah cela, il ne faisait aucun doute qu'il était un garçon à part, mais elle l'appréciait vraiment.

Tout en continuant de rire, elle réalisa qu'elle avait parlé et presque sympathisé avec toutes les personnes « étranges » de la confrérie. Elle s'entendait à merveille avec Wuly, et avait parlé avec passion avec Corbeau. Sans oublier qu'elle avait croisé Renard, qui n'avait pas été méchant avec elle, contrairement à ce qu'elle avait pensé en entendant certaines rumeurs qui couraient sur lui.

L'Astriale - Les Ombres de l'Hiver T1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant