Le feu... Voilà l'un des exemples les plus démonstratifs que ce qui est beau à l'extérieur ne l'est pas forcément à l'intérieur. Le feu est aussi l'exemple que ce qui est attirant est également néfaste. Alfred ne voulais pas que sa femme et ses enfants ne soient déposés eux aussi, dans ce trou béant creusé dans la terre, loin de chez nous. Il voulait leur offrir quelque chose de décent. Mais pour nous autres, qui manquons cruellement de moyen pour enterrer nos défunts, l'incinération est la seule autre option.
Les flammes crépitent autour du linceul enroulé sur une silhouette féminine au ventre arrondi.- C'est eux qui l'ont tuée... Sanglota Alfred, les yeux pleins de rage.
Je ne dis rien, sûrement le Berceau de la Chaire eut une bonne influence sur moi concernant les morts. Je n'ai jamais pleuré pour des au-revoir, mais je l'ai souvent fait pour des retrouvailles.
Lola, Christian, Daniel, Alfred, Clarisse et moi. Voilà les seuls gens encore en vie qu'il reste à Browndeck Hall. Le Marquis a disparu, tout comme les invités qui ont réussi à s'échapper du massacre. Nous sommes là, seuls, à attendre que le soleil se couche de nouveau. La journée a filé si vite, alors que les corps ont été si longs à mettre dans les charettes. Les allers-retours dans l'escalier de service ont été remplacés par ceux des calèches des convives jusqu'en ville, chez eux, là où bizarrement, personne ne les attendait ou ne s'inquiétait pour eux. Malgré nos efforts, des cadavres continuent de joncher le sol de la salle de bal.- Il est hors de question que je dorme de nouveau dans ce château... Siffla Lola en lâchant une larme, que je ne savais pas de rage ou de tristesse.
Peut-être a-t-elle peur finalement ? Comme nous tous. On s'imagine chaque seconde être à la place de nos amis morts, en train de brûler sur le grand bûcher des envolés. J'aime à penser que la fumée en laquelle leurs corps se transforme, n'est que le souffle de leurs âmes sensibles et aimantes, s'échappant vers le dieu de bonté que les Gardiennes du Berceau de la Chaire m'ont tant fait prier. La visible non-existence de cette puissance d'au-dessus me donne une raison de plus de haïr ces femmes davantage.
Je suis là, à serrer des mains et des gens, en n'ayant pourtant qu'une idée en tête, me rendre au Bois de la Veuve Noire. Je vais faire payer ces personnes que je hais aujourd'hui, et que jadis j'enviais. Je veux qu'il souffre tous; pour Deanna, que je ne reverrai sans doute jamais, pour Emily et ses jumeaux, qu'Alfred refuse de laisser partir, pour Missi, qui ne pourra jamais faire les études d'art dont elle avait rêvé, et pour Gwenaël, qui n'aura pas pu prendre le temps de dire au revoir à sa petite sur, qui se retrouve seule à présent, avec personne pour veiller sur elle.Ce massacre à Browndeck Hall n'apporte rien de bon. J'ai l'affreux pressentiment que ce premier acte barbare n'est que le début d'une longue série d'autres. Mais une question subsiste, pourquoi commencer à agir seulement maintenant ? Si les Envoyés au Diable prennent le risque de nous attaquer c'est qu'ils en ont les moyens, alors pourquoi avoir attendu ? Est-ce que c'est l'arrivée de Dragan parmi eux qui les a motivé ? Si c'est cela, alors je déteste ce garçon. Je le déteste et le détesterai jusqu'à la fin de mes jours, je le jure!
Dans un mouvement de rage, j'ai sorti les lettres de ma poche et les ai jetées au feu. Je refuse de toucher à nouveau quelque chose qu'il n'a, ne serait-ce que frôlé, de sa main froide et blafarde. Je promets de ne jamais abandonner mon but, et de ne jamais perdre mon objectif, Dragan McWilth va mourir, et ça de ma main.- Qu'est-ce que tu as jeté au feu Addi? Me demanda Christian.
- Rien de bien important. Répondis-je froidement, imaginant le prince exilé brûler à la place de ses lettres.
C'est ironique tout de même. Nous sommes le 1er novembre. Aujourd'hui est le jour où je suis censée fêter ma naissance, mais la vérité c'est qu'il n'y a rien à fêter parce que personne n'a la tête à ça. Personne ne va penser à me le souhaiter, et j'en suis reconnaissante. Je ne veux pas être honorée alors qu'on est censé pleurer nos morts.
- Addi...mais... qu'est-ce... qu'est-ce qu'il c'est passé ? Fit une voix que je n'eus aucun mal à reconnaître.
- Esteban... Dis-je en lui courant dans les bras, les larmes ne pouvant s'empêcher de couler.
Comment lui dire? Comment lui annoncer que je n'ai pas été à la hauteur? Comment lui avouer que je suis une mauvaise amie qui n'a pas su protéger l'une des personnes qui lui importe le plus?
Je ne suis pas une bonne personne, et je n'ai jamais été une bonne amie, ou une bonne soeur. Les Gardiennes avaient raison sur un point; si un loup solitaire comme moi cherche à entrer dans une meute, c'est seulement pour la détruire de l'intérieur. Cette perspective d'être haïe par Esteban me fend le cur, et m'oblige à penser où je pourrais bien creuser mon trou pour m'y enterrer.- Esteban...je... Bafouillais-je entre deux sanglots.
- Quoi? Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Tu vas bien? Et Deanna? S'inquiéta-t-il, les questions sortant toutes plus nombreuses à chaque seconde.
J'ai soudain eu la même impression que lorsque l'infirmière de l'orphelinat avait rendu l'âme. Elle était la seule Gardienne aimante et digne de confiance. Tous les orphelins ne faisaient que la pleurer. Ils été tous si malheureux, et les autres Gardiennes se fichaient bien de leurs pleurs. Alors j'ai essuyé mes joues humides, je me suis levée, et je me suis occupée de leur rendre le sourire, et d'être rassurante. Parce qu'il fallait que quelqu'un soit là pour montrer que la pleurer ne la ramènerait pas.
Je me dois de faire pareil pour Esteban. Je me dois d'être forte afin de réussir à le réconforter.
- On...on a été attaqué. Un groupe d'Envoyés au Diable a attaqué Browndeck Hall. Esteban, le père Ansem avait raison. Ce sont des monstres, ils...ils y en a certains qui ont des caractéristiques bestiales et...et il y en a même un qui se change en bête à cornes!
- Tu dois être sous le choc Addi... Où...où est Deanna?
Je me mordais l'intérieur des joues pour ne pas pleurer de nouveau. Je dois lui dire, c'est mon devoir.
- Une...un être mi-femme mi-cerf l'a enlevée.
- Quoi?! Mais...tu dis n'importe quoi ! Tu délires! Deanna est forcément là! S'emporta-t-il en me passant devant.
- Esteban... Esteban! Elle n'est pas là! Est-ce que tu comprends ça?! J'ai...
Il se retourna vers moi, les yeux larmoyants et la mâchoire serrée.
- Quoi? Qu'est-ce que tu as fait? Demanda-t-il d'un ton sec que je ne lui connaissais pas.
- Je...je n'ai pas réussi à les empêcher de l'enlever. C'est de ma faute s'ils ont réussi à partir avec elle... Lâchais-je d'une traite.
Je pensais que je serais soulagée de tout déballer, mais l'expression sur son visage suscitait un mépris et un dégoût qui me donnais envie de m'effondrer. Il avança vers moi à pas déterminés et rageurs.
- Tu n'as pas réussi à la sauver parce que tu es faible. Cracha-t-il. Si j'avais été là, Deanna serait encore avec nous. Mais il a fallu que ce soit toi...la triste, perdue, et insignifiante Addi... Ajouta-t-il, les yeux remplis d'une haine inégalable.
- Tu ne penses pas ce que tu dis...
- Oh que si je le penses! Tu te rends compte que ton inaction va tuer Deanna?! Tu t'en rends bien compte! Hurla-t-il en me prenant par les épaules avec force.
- Tu me fais mal... Sanglotais-je.
- Tant mieux... Souffla-t-il entre ses dents avant de me lâcher.
Je me haïssais déjà, mais là j'en viens à me mépriser. Il a raison, je suis faible, et je suis incapable de protéger ou de retenir qui que ce soit.
- Tant que Deanna n'est pas rentrée, je ne veux plus entendre parler de toi... Chuchota-t-il, la mâchoire toujours aussi serrée. Tu m'as bien compris?
- Oui... Soufflais-je.
Il fit demi-tour en laissant tomber un petit paquet emballé sur son chemin.
- Joyeux anniversaire Addi... Fit-il d'un ton méprisant avant de partir par là où il était arrivé.
Je ne l'avais jamais connu énervé, mais je ne souhaite pas revivre ça. Il m'a fait peur. Le petit garçon que j'ai connu a bien grandi, certes, mais il a aussi bien changé.
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Carpe Diem
FantasyDans le monde miroir de Dubhorror, la royauté divise les populations, les individus sont voués à eux-mêmes, et certains sont accusés à tort. Addison, une jeune fille travaillant au Berceau des Lumières, envie l'existence de ceux que l'ont nomment le...