§ Chapitre quatre §

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Une journée bien fatigante qui touche à sa fin. Voilà une pensée qui me réconforte. Soudain, alors que je me perdais dans mes pensées, assise sur le sol si doux, je me souviens du morceau de parchemin qu'a glissé l'intrus dans ma robe. Je me mis alors à le chercher. Lorsque je l'eus enfin entre les mains, une certaine appréhension me saisit. Je ravalai ma salive avec difficulté, essayant de savoir pourquoi un inconnu m'aurait donné un renseignement qui me concerne. C'est absurde ! Sans réfléchir je le dépliai, et y lis cette simple information :

" Au Bois de la Veuve Noire"

Qu'est-ce que cela signifie? Je n'en fis rien et jeta le papier au feu. Les flammes l'avaient englouti en quelques secondes. Néanmoins, mon esprit ne resta pas tranquille de toute la semaine. Cette phrase me rendait folle. Pourquoi avoir écrit ça? Et pourquoi me l'avoir transmise à moi? Je pensais qu'en l'écrivant, ça me le sortirait de la tête, alors toute une page de mon journal est noircie par une répétition de Au Bois de la Veuve Noire. Au Bois de la Veuve Noire. Au Bois de la Veuve Noire. Au Bois de la Veuve Noire... Mais rien ne me sort cette foutue phrase de la tête!

- Attention Addison! Tu bats les oeufs bien trop vite! S'écria Alfred.

- Euh...désolée...il, il faut que je prenne l'air... Soupirais-je en sortant dans la cours.

Je pris une grande inspiration, et caressai du gras de mon pouce, la tâche dorée, camouflée sous mes bas. C'est un mauvais souvenir, mais pourtant ça me rassure de l'avoir. Elle me rappelle que son supplice fut pire que tout, et que la plupart de mes tourments présents sont beaucoup moins douloureux qu'elle. Il faut que je me concentre sur autre chose. Je pourrais me consacrer pleinement aux préparatifs de la fête? Dans une semaine, la Marquise donne son bal masqué annuel pour la fête des esprits. J'espère pouvoir faire le service en salle cette année. Servir les plus grands de la cour est un honneur certes, mais moi je veux voir la salle et sa décoration terminée. Personne mis à part les décorateurs engagés, n'a le droit de voir la salle finie avant les invités. Je ne l'ai donc jamais vue dans sa splendeur la plus grande. J'ai bien aidé à nettoyer la pièce après la réception, mais ce n'est pas pareil lorsque tout a déjà été utilisé, quand les guirlandes de fleurs on été détruites, et quand les bouteilles ont été vidées.

La liste des domestiques qui feront le service sera donnée demain ou bien mercredi. Tout ce que j'espère, c'est que mon nom figurera dessus. Je ferme les yeux et respire une dernière fois l'air frais avant de retourner à l'intérieur.

- Mademoiselle Clark-Lee, c'est un plaisir de vous voir. Fit une voix que je reconnaîtrais entre mille.

- Esteban! M'exclamais-je en lui courant dans les bras.

Il ne veut peut être plus de moi comme compagne, mais je dois avouer que le fait qu'il continue de m'aimer, même d'une manière différente, ne me déplaît pas. J'apprécie qu'il n'ait pas oublié tout ce que nous avons vécu ensemble, et qui nous raccroche l'un à l'autre. J'aime ce garçon, du plus profond de mon âme, mais si lui avouer mes sentiments une nouvelle fois, signifie perdre son amitié, alors je n'en ferais rien. Lorsque je lève mes yeux bruns vers lui, il me regarde en souriant. Ce regard... Si je n'étais pas quelqu'un de lucide, je serais persuadée de pouvoir plonger dans ce bleu océan où se déchaîne une tempête de qualités.

- Comment vas-tu Addi? Demanda-t-il en remettant une mèche rousse derrière mon oreille.

- Je suis fatiguée, mais je vais bien. Répondis-je en me détachant de lui.

- Non... Reste un peu dans mes bras.

Je ne me le fais pas demander deux fois, et enroule mes bras autour de sa taille. Je lui souris avant de poser ma tête sur sa poitrine. J'entends son coeur qui me murmure les secrets de son âme. J'avais besoin de ça, du réconfort et de la sécurité qu'il me procure. Nous restons un long moment sans rien dire, sa main passant dans mes cheveux roux et mon coeur essayant de ce poser sur le rythme du sien.

- Tu passes une dure journée n'est-ce pas ?

- Tu ne peux pas imaginer à quel point. Et ce sera pareil toute la semaine. Soufflais-je en me grattant le nez.

- Je sais que tu es capable de survivre à ce énième bal masqué. Ce n'est pas comme-ci Deanna en faisait toutes les semaines. Rigola-t-il.

- C'est vrai. Mais ne l'appelle pas comme ça. C'est Marquise de Browndeck maintenant. Rétorquais-je, la bouche lasse.

- C'est peut-être la Marquise de Browndeck aujourd'hui, mais hier elle était encore notre meilleure amie. La ténébreuse et courageuse Deanna!

- Elle me manque cette Deanna là...

- Je sais. Elle nous manque à tous. Dis moi? Tu as le temps de venir te promener avec moi? Me demanda-t-il, une lueur d'espoir dans les yeux.

- Tu sais très bien que je ne peux rien te refuser. Souriais-je.

- Dans ce cas, madame? Dit-il en me donnant son bras.

Je rigolais avant de le saisir et de le suivre sur le sentier couvert qui mène jusqu'à la mare du domaine. Voilà maintenant deux mois que Esteban n'était pas venu. Il avait tenu à importer en personne les caisses de canne à sucre vers le Berceau des Kort -le Berceau des Cartes- là où vivent une majorité d'artistes et de mécènes. L'art prend tant de place là-bas, qu'aucun terrain ne peut être occupé par des plantations alimentaires. J'aimerais y habiter. N'avoir qu'à penser à comment je pourrais transformer une feuille blanche, et ne pas avoir à m'occuper de quelqu'un d'autre que moi. C'est peut être égoïste de ma part de penser ça, mais l'indépendance et la tranquillité, sont des privilèges qui me sont étrangers.

Le chemin jusqu'à la mare est bordé de boulots et de buissons, tous habillés d'orange, de bruns et de roux. Certaines feuilles ont la même couleur que mes cheveux. Aussi rousse qu'un renard, je me fond si bien dans ce décor coincé entre le calvaire de fin de vie et la plénitude du repos éternel. Le sol est recouvert de feuilles mortes, si paisibles, que même le souffle du vent d'automne n'ose pas les déranger. J'aime les entendre craquer sous mes pieds.

C'est Esteban qui me sortit de ma fascination, en me racontant sa rencontre impromptue avec les sirènes de l'Historia, la mer la plus à l'ouest du Berceau des Lumières. Il me chanta leur mélodie enchantée, celle dont elle s'était servie pour attirer tout l'équipage du navire dans les profondeurs océaniques.

- Pourquoi rigoles-tu Addi?

- Parce que les sirènes, ça n'existe pas Esteban !

- Bien sûr qu'elles existent. Et elles sont loin d'être aussi belles qu'on le dit. Leurs dents sont aussi tranchantes que la lame d'un rasoir, leur peau est visqueuse et recouverte d'écailles ! S'exclama-t-il en sautant sur une souche, posée là. Et leurs yeux sont tellement grands, qu'on a l'impression que c'est eux qui vont nous dévorer ! Ajouta-t-il, en mimant ses propos.

- Je refuse de te croire. Rétorquai-je, sûre de moi.

- Dit celle qui croit aux foutaises du Père Amsem. Les Envoyés au Diable sont de vrais gens Addi, et ils meurent de faim. Ils ne vont pas s'accoupler avec des animaux ou bien fusionner avec les arbres. C'est absurde !

- Et bien je trouve cela plus sensé que des sirènes. Des sirènes laides en plus?! Qui ira croire ça ?

- Le Père Amsem. Répondit-il, du tac au tac.

Nos regards s'étaient croisés avant que nous ne succombions au fou rire qui nous tirait la peau des joues.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant