La plupart des conflits séparant des gens, des familles, des pays, ne sont rien comparé à ceux qui brisent une amitié. Et pourtant, ce sont les actes les plus simples mais sincères, qui en réparent les conséquences.
Je n'ai jamais été très sociable, et j'avoue que les autres n'ont jamais vraiment essayé d'apprendre à me connaître. Il m'arrive de penser que je suis devenu proche de Deanna et Esteban par nécessité, comme-ci, pour être normale, j'avais besoin que quelqu'un tienne à moi. Après tout, un être peut se sentir seul, malgré l'amour des autres, si il n'est le "préféré" de personne*. J'ai toujours été leur préférée, du moins c'est ce qu'ils me disaient, et c'est ce qui m'a fait tenir jusque là, ce qui m'a fait me sentir aimé de la même façon que les autres. Je n'ai jamais cherché à demander plus, et je me suis toujours contenter de ce que j'avais. N'est-ce pas comme cela que les grandes personnes éduquent les plus jeunes? Mais l'amour n'est pas une chose dont on doit se contenter. C'est un être que chaque personne a besoin de croiser un jour, un être auquel il faut demander de l'affection, et auquel il faut donner de l'attention en retour. Comme quoi, chacun a bien un prix.Mais revenons aux conflits. Quel mal de crâne ils peuvent vous donner nom d'un chien!
- Addi ? Ça va?
Est-ce une question sérieuse ? Non je ne vais pas bien. Non, je refuse d'ouvrir les yeux. Non, je refuse de me lever! Puis dans tous les cas, comment suis-je sensé me sentir bien, alors que j'ai failli être abusé encore une fois par cet homme barbu, vieux, et à la bedaine pendante? Sans oublier cette haleine putride qui rappelle celle d'un Köttätare -dévoreur de chair- de la Foire aux Monstres de la Cour de Saphir. Lorsqu'on s'y rend, cette même odeur embaume chaque rues durant des jours, c'est insoutenable. Xanford Browndeck est un Köttätare, car en plus d'être pestilentiel, il est également d'une laideur inconditionnelle. Pour donner une image, un Köttätare est une sorte de gros mollusque croisé avec un dragon et un chien en décomposition. C'est un affreux mélange que les gens aiment approcher juste pour se faire peur. Leur seule alimentation provient des cadavres de fosses communes que les villes creusent dans les bois, loin de leurs frontières. Souvent, les citoyens employés à jeter les corps sans vie partent par groupe de quinze et reviennent généralement à sept ou cinq. Rares sont les marchands de la Foire aux Monstres à avoir l'audace de se frotter à eux, on comprend pourquoi.
- Addi, il faut que tu te lèves! Tu es sur la liste des domestiques qui vont servir au bal! S'exclama Clarisse en me tirant ma couverture.
Voilà un mercredi matin dont je me souviendrai. Toute ma vie de servitude ne tournera qu'autour de cet évènement éphémère. J'ignore si cela a un rapport avec la soirée de lundi, mais je ne m'en plaindrai pas. Je sais me contenter de ce qu'on me donne. Je saute de mon lit et me rue sur le petit morceau de papier accroché à un clou à la poutre des cuisines. J'explose littéralement de joie lorsque je lis mon nom. Mon nom en toute lettre, Addison Clark-Lee. Par contre, je ne saisis pas le sens du rôle qui m'est attribué pour la soirée. En face de mon nom est écrit ACCOMPAGNATRICE. Qu'est-ce que ça veut dire? Missi, Brian, Lola, et Gwenaël ont tous marqué SERVICE en face des leurs.
- Tu es chanceuse cette année Addi. Me félicita Georgette, l'aînée des serviteurs de Browndeck Hall.
- Merci. Souriais-je. Mais je ne comprends pas à qu'elle place je suis.
- Oh! Mais tu vas avoir l'honneur de participer aux festivités ! S'exclama-t-elle.
- Oui. Mais dans quel sens?
- Tu y es conviée, et non serveuse ma chérie. Souria-t-elle en me pinçant légèrement la joue avant de retourner à son ballet.
J'y suis conviée ?! Je ne savais pas cela possible! Je pensais servir du punch et des toasts de saumon, et non danser! Je ne sais même pas comment on fait. Il faudra que j'en parle à Ma...Deanna. Je ne comprends pas ce privilège auquel j'ai droit. Cette faveur est trop grande pour que je l'accepte.
Soudain, Alfred me tape sur l'épaule et lève un doigt vers l'horloge. Il est huit heures moins le quart. J'ai juste quinze minutes pour me préparer ! J'ai peut-être trop glandé devant la feuille, et ai donc été trop rêveuse pour voir le temps passé. Je cours dans ma chambre et enfile ma toilette avant de monter l'escalier de service. Je ralentis le pas car ma jambe me fait mal. Satanée tâche dorée! Je grimace en posant une main dessus et la masse tout en marchand.J'aime assez les matins ici. Ils sont tranquilles et la plupart du temps, mon rôle est de réveiller les gardes qui se sont assoupis. Ça les empêche d'être renvoyés ailleurs.
- Allez debout les gars!
- Mmh... Vas-y plus doucement la prochaine fois...
- Tu sais très bien que ce n'est pas dans mes habitudes Daniel. Souriais-je.
- Mmh... Rien est doux chez toi... Ronchonna Christian.
- Alors la tu exagères! Aller, Clarisse a fait du café et il reste des croissants d'hier.
- Tu es la meilleure ! Crièrent-ils en chœur.
Au fur et à mesure du temps, nous prenons des habitudes que l'on pensait ne jamais avoir. Ce sont de petits détails, et pourtant elles sont là. L'habitude de Clarisse c'est de me tirer mes draps, celle d'Alfred est de me rappeler que rêver c'est à faire en dormant, et celle de Georgette, est tout simplement d'être la grand-mère de tout le monde. Elle est si vieille, qu'on penserait même qu'elle est née ainsi.
J'arrive enfin devant cette porte, cette maudite porte! Je frappe et entre, une main continuellement accrochée à ma robe.- Addison! S'exclama Deanna en souriant.
- Vous êtes bien matinale ce matin.
- Mesdemoiselles, veuillez nous laisser. Dit-elle aux habilleuses et à la modiste. Je me fais faire une nouvelle robe pour vendredi. Ça fait plus d'un mois que Madame Robert travaille dessus. Pourtant...je ne sais pas...j'ai l'impression qu'elle ne me représente pas. Qu'en penses-tu ?
- Oh! Euh...je n'ai pas beaucoup de goûts en matière de mode madame.
- Par pitié Addi, recommence à m'appeler Deanna. Ça m'a toujours mise mal à l'aise que tu me parles de cette façon. J'avais tout le temps l'impression de te prendre de haut. Alors que nous savons très bien toutes les deux qu'on est au même niveau.
- Non. On ne l'est pas, madame. Rétorquai-je, d'un ton bien trop sec.
- Addi... Soupira-t-elle en descendant de l'estrade.
Le bas de sa robe, d'un blanc immaculé, contrastait parfaitement avec le rouge rosé du corsage. La traîne glissa sur le sol lorsqu'elle marcha jusque sur le canapé. Elle croisa ses bras sur sa poitrine et me regarda.
- Quelle coiffure aujourd'hui ? Demandais-je.
- Bien... Choisie. Répondit-elle, impassible.
Deanna n'a jamais accepté qu'on lui refuse quelque chose, et encore moins qu'on lui donne tort. Je m'attends au pire...
*Citation de Anne Franck
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Carpe Diem
FantasyDans le monde miroir de Dubhorror, la royauté divise les populations, les individus sont voués à eux-mêmes, et certains sont accusés à tort. Addison, une jeune fille travaillant au Berceau des Lumières, envie l'existence de ceux que l'ont nomment le...