§ Chapitre deux §

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- Madame souhaiterait un plateau de fruits de saison et une assiette d'oeufs pochés avec quelques pâtisseries. Dis-je à Alfred, l'aide cuisinière.

- D'accord, je vais prévenir Clarisse pour qu'elle prépare ça.

- Merci Alfred. Sinon, comment vas-tu ?

- Ça va plutôt pas mal. Emily est fatiguée ces temps-ci avec la naissance des jumeaux qui arrive à grand pas.

- C'est normal. Tu lui as donné le baume que je t'ai conseillé ?

- Oui bien sûr ! D'ailleurs elle te remercie. Elle avait peur que son ventre soit si craquelé qu'elle en garde des marques. Rigola-t-il en épluchant une pomme de terre. Clarisse, madame voudrait des ufs pochés avec quelques pâtisseries et un plateau de fruits de saison ! Ajouta-t-il en voyant Clarisse sortir le bout de son nez du cellier.

- Reçu cinq sur cinq! Répondit-elle en levant la tête, le haut du crâne couvert de farine.

- Je devrais y aller. Madame veut que je la re-coiffe.

- Encore?! Mais c'est la troisième fois cette semaine ! S'exclama Alfred en ouvrant de grands yeux.

- Qu'est-ce que tu veux que je te dises? Problème de riches. Souriais-je avant d'empreinter l'escalier de service.

Ces aller-retours vont finir par me tuer. Je m'essuie le front de la main. Comment se fait-il qu'il fasse si chaud à cette période de l'année? La fête des esprits est dans moins de deux semaines. Je m'attendais à un temps plus pluvieux et moins moite pour un mois d'octobre. D'ailleurs madame ne devrait pas tarder à confectionner le menu pour sa réception d'automne et à appeler les décorateurs pour embellir la salle de bal.Je réfléchis tout en marchand dans les longs couloirs du château, les yeux rivés sur mes pieds aux souliers usés. Soudain, alors que je passais, le pas rapide, je m'aperçus que la porte du bureau du marquis était entre ouverte. En allant la fermer, j'entendis une discussion entre Monsieur et un homme.

- Vous en êtes sûr?

- Tout à fait sûr monsieur. Il est encore en vie! S'exclama l'autre homme.

- Parle moins fort imbécile ! Si la rumeur qui est arrivée jusqu'à tes oreilles de fouine est vraie, cela causera ma perte. Tu en es conscient ?! Entendis-je avant que le bruit d'une claque monumentale ne retentisse.

L'autre homme, la tête fourrée sous une capuche tomba au sol près de la porte. Je me décalai de quelques pas pour m'assurer de ne pas être vu.

- Oui Monsieur...

- Bien. Tu vas me fouiller ces bois, et me ramener le Prince Dragan! Mort ou vif, comme il te plaira bougre! Maintenant, hors de ma vu! Va-t'en!

- Tout de suite Monsieur. Je ne vous décevrais pas.

- Je l'espère pour ta vie que tu ne failliras pas à ta mission vieil homme. Je l'espère vraiment. Ajouta-t-il en grinçant des dents.

En entendant des pas se dirigés vers la porte, je pris mes jambes à mon cou, sans courir pour n'éveiller aucun soupçon. L'homme vêtu de noir passa à côté de moi sans m'accorder un seul regard. Tant mieux. Je ne suis pas sûre de pouvoir inventer un bon mensonge pour justifier mes mains tremblantes.
Le Prince Dragan serait en vie? Je pensais cela possible seulement dans mon imagination, je n'y croyais pas vraiment.
Je ne peux que réfléchir davantage en marchant dans les couloirs qu'il me reste à traverser jusqu'aux appartements de madame. Mais ma réflexion est brouillée par un bruit de pas derrière moi. Quelqu'un me suit. J'en suis sûre et certaine. Je ne tourne pas la tête et continue de marcher tranquillement sans accélérer la cadence. La grande porte blanche décorée d'or apparaît devant moi. Soudain, alors que je m'apprête à enclencher la poignée, une main me saisit l'épaule et me tire vers l'arrière. Je l'attrape et la tord pour en entendre les os craquer. Un petit cri retentit. J'esquivai le coup suivant et donnai un grand coup de pieds dans le ventre de l'étranger. Un foulard était enroulé autour de son visage pour ne laisser paraître que ses yeux; ils étaient d'un noir profond. Hélas, il remarqua mon manque de concentration et en profita pour me frapper au visage, m'écorchant la pommette au passage. Je serrais les dents pour ne pas broncher. J'allais lui asséner un autre coup lorsqu'il me plaqua contre le mur, son avant bras faisant pression sur ma poitrine. J'ouvris la bouche pour hurler aux gardes de venir, mais il plaça son autre main sur mes lèvres. Il me regarda, les sourcils froncés, ce qui le rendait froid, distant, mais surtout l'air sévère. Il n'était pas vieux du tout, je dirais même qu'il devait avoir un peu près mon âge. Je ne pus m'empêcher de me demander pourquoi quelqu'un d'aussi jeune gâcherait sa vie ainsi. Si on le surprend, il sera exilé parmi les Envoyés au Diable. À moins que...qu'il ne soit déjà l'un d'eux? Je me m'y à analyser brièvement son apparence. Il portait une chemise blanche mais crasseuse, sous un grand manteau de cuir brun. Son pantalon était fait dans un tissu qui semblait très inconfortable, et ses bottes en cuir était si usées qu'elles semblaient avoir déjà vécu beaucoup. Je reportais mon regard sur son visage, toujours camouflé. Il paraissait s'amuser de la situation. Il me fit signe de me taire et enleva doucement sa main de ma bouche. J'attendis qu'il soit en confiance pour crier à l'aide.

- Gardes! Au...

- Chut! Siffla-t-il en reposant sa main avec violence, ce qui me fit me cogner la tête.

Les pas des gardes d'un couloir voisin se firent entendre. Je lançais un regard malicieux à l'inconnu, pour lui prouver que j'étais plus forte que lui. Il entrouvrit alors mon corsage, ce qui eut pour réaction que je lui morde la main. Il retint un cri de douleur et bourra un morceau de parchemin entre mes seins. Il les frôla dans son geste, ce qui me fit frissonner. Il me lâcha alors, me fit un signe de la main, et prit son élan avant de sauter par l'une des grandes fenêtres qui longeait l'aile. Il disparut dans un fracas de verre avant même que les gardes arrivent à mon secours.

- Oh! Ma pauvre Addison... Comment vous sentez vous? Demanda la marquise en regardant le médecin me panser ma plaie au visage.

- Tout va bien. Ne vous inquiétez pas madame. C'est plus pour vous que j'ai eu peur. Rétorquais-je avec une grimace lorsque l'alcool vint désinfecter ma blessure.

Elle eut un regard attendrissant, bien qu' hypocrite, avant de se tourner vers Clarisse qui venait d'arriver avec le plateau. Elle se délectait d'un petit four à la confiture, sans plus me prêter grand intérêt. Elle me surprit pourtant, car elle m'en tendit un, le sourire au lèvres. Comme quoi certains riches reconnaissent l'honneur qu'ils ont à trouver dans les sacrifices de leur bons à tout faire. La Marquise avait beaucoup de défauts, mais également de nombreuses qualités.

- Êtes-vous en état de me coiffer ? Me demanda-t-elle.

- Bien sûr madame! Répondis-je entre deux bouchées de gâteau.

J'avais beau apprécier ce petit gage de reconnaissance, je n'y voyais là qu'une récompense donnée fièrement. Comme lorsqu'on lance une friandise à un chien qui a bien fait sa roulade. Je m'essuie les mains avec le mouchoir que je porte toujours sur moi et me place derrière le siège de la coiffeuse pour brosser les cheveux de madame.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant