§ Chapitre cinq §

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Lorsque nous sommes arrivés au bord de l'eau, nos estomacs étaient douloureux, suite aux éclats de rires qui nous avaient secoué le corps. Une main sur le ventre, je m'assois dans l'herbe fraîche, qui semble être la seule à garder sa jolie robe verte. Esteban m'imite avant de poser son regard sur l'eau. Les environs sont si paisibles; on en oublierait presque que le temps s'y écoule. Je ne viens ici qu'avec lui. Autrefois, nous y venions avec Deanna, mais elle avait fini par ne même plus se donner la peine de sortir saluer Esteban lorsqu'il venait.

- Ah quoi ressemble Deanna aujourd'hui ? Demanda-t-il soudain, comme s'il avait vu clair dans mes réflexions.

- Elle n'a pas changé tu sais... Soupirais-je.

- Dis moi quand même. Insista-t-il.

- Et bien, ses cheveux sont toujours aussi longs et noirs, puis elle doit bien avoir pris quelques centimètres en deux ans... Par contre, intérieurement, elle n'est plus du tout la même. Elle ressemble de plus en plus à son père, et ça en pire de jour en jour. Elle a changé si vite et à un tel point, que j'ai l'impression de ne l'avoir jamais connue comme une amie. Répondis-je, les larmes voulant couler, sans jamais que je ne les laisse s'échapper.

Esteban ne répondit rien. Il n'ouvrit plus une seule fois la bouche tout le reste du temps que nous passâmes ensemble, sauf lorsqu'il fallut nous dire au revoir. Peut-être ais-je été trop honnête ? Certaines vérités sont mieux entendues dans le silence, d'autres mérites d'être modifiées, et une poignée seulement sont audibles. Mais il existe certaines vérités, qu'il vaut mieux garder pour soi, pour ne pas blesser l'autre, et dire un mensonge pour le réconforter. On appelle ça un mensonge omniscient, un bon mensonge. Lorsqu'on ment pour ne pas blesser une personne que l'on aime. C'est ce que j'aurais dû faire. J'aurais dû mentir à mon ami, pour son bien.
Maintenant, je ne suis plus la seule à être nostalgique d'une amitié qui ne renaîtra jamais de ses cendres. Au moins, lui, n'a pas à supporter cette nouvelle personne qu'est devenue Deanna. Il faudrait un miracle pour que tout redevienne comme avant, pour que nous re-devenions le trio d'amis redouté des plus vieux, et admiré des plus jeunes. Pour que nous re-formions notre petite famille, celle qu'on s'était choisi, et celle qu'on avait jurer de ne jamais abandonner. Je ne l'ai jamais explicitement dit à Esteban et Deanna, mais il fut un temps où ma famille, c'était eux. La soeur et l'amant que je n'avais jamais pu espérer avoir. Mais maintenant, que me reste t-il mis à part un ami qui n'est presque jamais là, et une ancienne soeur, aujourd'hui étrangère à mes yeux? Rien. Je n'ai rien qui n'ait de valeur pour moi. Pour les autres, je n'ai que ma robe de dame de chambre qui ne vaille quelque chose, parce que je me dois de me fondre dans ce décor onéreux et chic. Mais la vérité reste la même, je n'ai RIEN.

- Où tu étais passée Addison?! M'interpella Alfred lorsque je fus de retour dans les cuisines.

- J'étais avec...peu importe. Qu'y a t'il ?

- Ça fait plus de dix minutes qu'elle demande ta présence. Répondit-il, la panique au visage.

- Et merde! Marmonnais-je entre mes dents.

Je n'ai jamais monter les escaliers de service aussi vite que ce jour là! Je courus à travers les différents couloirs, qui se voulaient toujours plus longs. Comme si tout le bâtiment s'étirait rien que pour me tourmenter. Lorsque j'arrivais enfin à la porte des appartements de madame, je fus prise d'appréhension. Comme si mon instinct me criait de ne pas entrer. Pourtant, Deanna ne m'a jamais tenu rigueur de mes petites bavures -parce que je n'en fais que très peu- alors pourquoi devrais-je appréhender de la voir?

- Ma fille chérie, tu devrais punir tes domestiques s'ils ne t'obéissent pas en temps et en heure!

Cette voix...cette fermeté...et la crainte qu'elle inspire... Je ne peux pas entrer! Je suis incapable de faire face à cet homme qui à encore le rôle principal dans chacun de mes cauchemars. Ce serait comme affronter mon croque-mitaine en personne. Je ne peux pas faire face...à Xanford Browndeck. Pourtant il le faut. Je suis la dame de chambre de la Marquise de Browndeck Hall, donc c'est mon devoir d'être là lorsqu'elle requiert ma présence, et ce, peu importe mes peurs.

- Addison! Vous voilà enfin. Je souhaiterais que vous nous serviez le thé. Fit Deanna.

Pourquoi moi? Elle aurait très bien pu demander à Clarisse. Pourquoi me fait-elle endurer cela alors qu'elle sait ce que son père m'a fait subir... J'aimerais être une souris, bien au chaud dans le nid qu'elle se serait construit dans l'un des murs de la demeure. Oh mieux! J'aimerais être avec les Envoyés au Diable, loin de Browndeck Hall, loin du Berceau des Lumières, loin de tout, loin de lui.

Je pris le service à thé, les mains tremblantes, et la vision troublée par les larmes qui montaient. Vous saviez que lorsque votre corps doit gérer trop d'émotions en même temps, il réagit avec la première solution qui lui vient, les pleurs? Voilà pourquoi nous pleurons dans certains moments de joie, mais aussi dans des moments comme celui-ci, où la peur, l'angoisse, sont si grandes qu'elles vous submergent. J'inspire et j'expire, avant de me jeter à l'eau.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant