§ Chapitre quatorze §

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Il emprisonnait ma taille de son bras libre tout en continuant de me trainer vers l'arrière.
La mère de Deanna, femme forte et sévère, nous avait appris à toutes les deux, que le meilleur moyen de nous défendre était de nous montrer dociles avant d'attaquer par derrière. Une technique qui s'est toujours avérée efficace.
Je me suis alors d'étendue, et me suis laisser tirer par Dragan, loin de l'unique personne capable de me venir en aide. Il me lâche peu à peu.

- Évite de me faire le même coup que la dernière fois. J'ai eu du mal à retirer les morceaux de verre de mon bras. Siffle-t-il en me libérant de sa prise.

Je n'avais même pas remarqué le bandage qui ornait son avant bras. C'était lui en personne alors? Il était auteur, et messager des missives que je recevais.
Il me suit du regard, un rictus glaçant sur les lèvres. On aurait dit qu'il voulait me sauter dessus pour me dévorer. Ses prunelles noires laissent peu de place au passage de ses émotions et c'est bien dommage. L'ancienne Marquise de Browndeck Hall m'a toujours dit que j'étais douée pour manipuler les gens; je le faisais sans même m'en rendre compte. Mais si je ne sais même pas ce qu'il ressent, comment suis-je sensée le comprendre et le manipuler ? Me voilà déjà à réfléchir à la manière dont je pourrais duper le monde.

- On devrait s'accorder de vrais retrouvailles ? Tu ne crois pas? Fit-il en ricanant.

- Les retrouvailles sont faites pour les amis, ce que l'on n'est vraisemblablement pas. Sauf si, bien sûr, tu me ramènes Deanna.

- La Marquise?! Qu'elle importance peut-elle bien avoir pour toi?

- En quoi cela te regarde?

- Cesse de répondre à mes questions par d'autres. S'énerva-t-il. Tu devrais me remercier plutôt. Tu n'es plus obligée de rester à Browndeck Hall, tu peux aller où bon te semble. Ajouta-t-il, d'un air assuré.

- Je ne compte pas partir!

- Tu as l'intention de faire la lessive d'une morte?

Tu as l'intention de faire la lessive d'une morte? Cette phrase tambourine l'intérieur de mon crâne de toutes ses forces en éloignant toute autre pensée. J'ai du mal entendre?

- Tu as perdu ton sens de la répartie ? Rétorqua-t-il, ce qui me sortit de ma torpeur.

- Deanna n'est pas morte... Tu mens! M'exclamais-je.

Il plaqua de nouveau sa main sur mes lèvres. Je tentais de m'éloigner. Je voulais crier, crier jusqu'à ce que mort s'en suive. C'était ça. Je voulais mourir et tant qu'à faire, je voulais les emporter tous les trois avec moi dans la tombe. Pour me retenir, il saisit ma taille, je lui martelais alors la poitrine de coups. Je voulais qu'il souffre, qu'il souffre autant que moi, si ce n'est plus. Il n'y a rien que je puisse plus souhaiter que sa douleur.

Mais en réalité, c'est encore moi qui ressent le mal. Ma tâche dorée se retourne, elle aussi contre moi, tout comme le temps, et les vieilles connaissances. Elle me fait si mal que j'en hurle de douleur. Par pitié, enlevez moi se poids du corps, bénissez moi et faites cesser cette malédiction !
Puis, il se produisit une chose des plus étranges. Dragan me lâcha en hurlant de douleur lui aussi. Il arracha le masque qu'il portait depuis hier soir et plaqua sa main sur son arcade sourcilière.

- Dragan! S'inquiéta Thérésa, tandis que lui et moi étions pris d'une forte douleur.

- Et! Mais qu'est-ce qu'il leur prend? S'interrogea Asmodéus en s'accroupissant près de moi.

- Ma tâche! Hurlais-je.

Tous restèrent muets jusqu'à ce que mon supplice et celui de Dragan fut terminé. Nous nous sommes regardé l'un et l'autre. Je fus surprise de voir qu'une tâche couleur bronze, semblable à la tâche dorée au creux de mon rein, ornait son visage, le marquant d'un long filament sur toute la tempe et frôlant son oeil. Je suis prête à parier qu'il aurait pu en devenir aveugle. Lorsque je posais ma main sur ma malédiction, mes doigts furent au contact du métal. Elle avait fait bouillir mon sang, et avait concentré cette chaleur pour mieux brûler le tissu de ma robe. Ma si jolie robe, aujourd'hui guenilles.

- Oh la vache... Fit Asmodéus en regardant l'or de ma peau.

- Putain c'est quoi ce bordel ? S'offusqua Thérésa, tout aussi dubitative.

- Comment as-tu eu cette marque? Demanda Dragan.

- Je pourrais te retourner la question. Rétorquai-je en me relevant. Mais je crois qu'on ne se fera jamais suffisamment confiance pour se répondre. Ajoutais-je.

Il ne répondit pas. Il ne fit que me regarder de bas en haut, en s'arrêtant sur mon fardeau. Thérésa émit un sifflement agacé, ce qui le sortit de sa rêverie. Il fit un signe de tête à ses deux complices, qui montèrent à bord d'une carriole à peine capable de tenir sur ses roues. Le bois craqua sous leur poid, d'un craquement sinistre et glaçant, tout comme eux.

Dragan s'approcha de moi, sans que je ne recule cette fois. Il glissa une main sous sa veste, et en sortit un papier cacheté, semblable aux autres. Celui-ci était néanmoins plus épais. Le cachet de cire rouge était marqué d'une marguerite en fleur.

- Lit ceci lorsque nous serons partis, et n'en parle à personne, ni ne renseigne quiconque sur notre présence ici à cette heure.

- Seulement si vous laissez Alfred tranquille en partant.

- L'aide de cuisine? Très bien. Mais si il se met en travers de notre route, je ne me poserai aucune question, et aucun remords ne me submergera. Me suis-je bien fait comprendre ?

- Oui... Hésitais-je avant de saisir le morceau de parchemin.

- Je ne pense pas que ce soit la dernière fois que nos chemins se croisent.

- Ce n'était pas non plus la première. Dis-je en le regardant dans les yeux.

Ses yeux d'un noir plus profond que celui de son âme parlent d'une colère froide et calme, qui n'attend qu'une occasion propice pour surgir. Un peu comme l'Historia, calme, et douce, sauf lorsqu'un navire a l'audace de la traverser et de faire couler par le fond l'un de ses semblables. Une mer de plénitude se déversant dans un océan de rage méprisante, que malgré moi, je trouve d'une sublime harmonie.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant