§ Chapitre trois §

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- Addison, savez-vous si mon époux est rentré?

- Il était dans son bureau il y a un instant madame.

- Parfait! J'espère donc que s'il arrive en retard au dîner il aura une bonne excuse! S'emporta-t-elle. Aïe!

- Pardonnez moi... Dis-je avant de me remettre à brosser ses longs cheveux noirs.

Elle parlait sans cesse pendant que je lui coiffais la tignasse qu'elle avait. Elle critiqua une nouvelle fois Lady Philippa et son époux, sur le fait qu'ils n'avaient pas attendu leur lune de miel pour partager le lit. Elle répéta une bonne cinquantaine de fois que ce n'était pas approprié, et qu'elle pensait que la grossesse de Lady Philippa était sûrement à l'origine de cette union. Grotesque ! Pourquoi se marier pour un enfant? Il faut dire qu'à 17 ans, ma conception de l'amour et de la vie commune ne peut pas être bien développée. Je suis peut-être naïve? Je ne pense pas. On m'a toujours dit qu'il fallait attendre le mariage pour se livrer à des pratiques sexuelles, pourtant les prostituées des bas quartiers du Berceau des Lumières ne se sont jamais mariées avec leurs clients, et ils n'ont vraisemblablement jamais demandé leurs mains. Puis, on m'a aussi appris que l'adultère était un péché. Pourtant Madame de Browndeck le pratique quotidiennement. Il y a là de quoi se perdre. Tout le monde dit les mêmes choses, mais personne ne les pense. Où mettre sa confiance si tout le monde ment ainsi ?

- Faites attention avec les épingles. Vous m'avez piquée la dernière fois.

- Bien sûr madame, toutes mes excuses. Soufflais-je en épinglant une mèche de ses cheveux dans son chignon.

Les riches et leur douleurs et ennuis imaginaires! J'ai l'impression qu'elle se plaint de tout. Néanmoins, ce n'est pas vraiment mon cas. J'ai conscience que par rapport à d'autres j'ai de la chance. J'ai conscience que par rapport à d'autres, ma douleur est silencieuse. J'ai conscience que par rapport à d'autres, je vis.

- Quand je descendrais dîner, veillez à ce que ma chemise de nuit ait bien été lavée. Il ne manquerait plus que nos domestiques ne soient plus aussi efficaces.

- Oui madame. Répondis-je, en me retenant de lui tirer les cheveux.

Après avoir vérifier que mes doigts de fée avait assurément mit sa nuque en valeur, elle se leva, et descendit se régaler des différents plats qu'avait concoctés Clarisse. J'aime bien me retrouver seule dans la grande chambre de la Marquise. Quelques fois je m'imagine être à sa place, et je m'assois devant la coiffeuse. Les crépitements du feu dans la cheminée m'apaise. Les appartements de la marquise sont si luxueux, que même la moquette nous tend les bras pour s'allonger sur elle. En réalité, j'observe le luxe et la richesse, sans les consommer. C'est un supplice affligeant, mais pourtant, je ne peux que l'identifier à cette douleur intense qui n'est que plaisir et délice. Je peux toucher ce lux du bout des doigts, et l'épouser des lèvres, sans qu'elle ne soit mienne. Un peu comme Esteban, le fils du fermier. Nous nous sommes aimé jadis, un temps, longtemps.

Nous nous sommes rencontrer pour la première fois lorsque nous avions tous deux 12 ans, c'est à cette époque que je fus retirée de l'orphelinat par Xanford Browndeck, le père de la marquise. L'orphelinat du Berceau de la Chaire, là où j'ai grandi, a connu une forte remonter d'adoption suite à celle de Dragan McWilth - le Prince exilé de la Cours de Saphir. J'ai alors eu le malheur d'être repérer par l'ancien Marquis de Browndeck. À la différence de sa fille qui était très réservée, lui était un être extraverti et pervers. Je pense que c'est en partie pour cela que Deanna Browndeck a toujours été plus ou moins agréable avec moi au fil des années. Peut-être aussi que le fait que quand je sois arrivée au domaine je n'avais que 12 ans et elle 15 ans, a aussi joué en ma faveur, et nous a quelque peu rapprochées. Notre relation à elle et moi, est fondée sur une amitié précaire, qui m'a permise de rester ici. Nous jouions souvent dans la cour adjacente aux cuisines, et qui était réservé aux domestiques. Néanmoins, comme Deanna était la future propriétaire des lieux et du titre de son père, il en valait de soit qu'elle pouvait aller où bon lui semblait. C'est dans cette même cour, durant l'été de la même année, qu'il s'est rendu sur le domaine des Browndeck pour la première fois. Esteban Whillma, fermier de père en fils, et futur propriétaire des parcelles de champs de canne à sucre les plus grandes de toute la ville. Avec Deanna et Esteban à mes côtés, la vie à Browndeck Hall semblait être un paradis bien différent de l'enfer qu'était l'orphelinat.

Vers l'âge de 14 ans, je me suis rendu avec mes deux meilleures amis au Lac D'Or. On racontait que les oiseaux qui venait se baigner dans son eau finissaient statufiés et recouvert d'une fine couche d'or. Dès que nous avons entendu cette histoire, nous fûmes fascinés par ce lac entouré d'un merveilleux danger. Nous y sommes donc allés, comme les enfants stupides et aveuglés nous étions. Arrivés là-bas, nous fûmes surpris de constater que tous les vieux fous des bas quartiers disaient vrai. De grands oiseaux étaient plantés en plein milieu du lac, et brillaient comme mille soleils. Nous en étions presque éblouis, tant leur splendeur était grande. Nous nous sommes émerveillés devant se spectacle resplendissant de noirceur. Bien cachées derrière cette beauté, le lugubre et le macabre de cette scène était loin d'être effrayant. Pourtant, nous aurions dû ne pas oublier l'atrocité de la magie du Lac D'Or, ce que nous n'avions vraisemblablement pas fait. Esteban s'est avancé et a trempé le bout de sa botte dans l'eau. Celle-ci devint instantanément d'une jolie teinte jaune et brillante.

- Je pourrai offrir une nouvelle pouliche à mon père rien qu'avec mes souliers trempés! S'exclama Esteban, le sourire aux lèvres.

- Et moi, je pourrais rendre le miens encore plus riche! Avait ajouté Deanna.

- Et bien, moi je pense que je... Non. Je ne saurais que faire de cet or si je l'avais entre les mains. Avais-je souffler.

- Tu pourrais t'acheter une quantité exorbitante de robes, toutes cousues dans des tissus raffinés? M'avait suggéré mon amie.

- Ou bien tu pourrais garder l'or de côté, et attendre d'être en âge pour t'offrir un beau mariage ? Avait répliqué Esteban, en m'envoyant un sourire malicieux.

C'est vrai que je pourrais avoir tout cela, tout ce dont je rêve... Mais je ne préfère pas jouer avec le feu, je n'aimerais pas me brûler. La magie est une chose avec laquelle je refuse catégoriquement de jouer. Elle est dangereuse et imprévisible.
Esteban trempa alors son deuxième soulier avant de le ressortir d'un geste brusque. J'ai alors poussé Deanna sur le côté, afin de lui éviter l'eau, qui éclaboussa ma robe, juste au creux de mon rein gauche. L'endroit mouillé me piqua la peau, et je crus recevoir un grand coup, puis une forte pression, comme-ci on m'écrasait.

- Addison! S'inquiétèrent Esteban et Deanna, tout en se penchant près de moi.

La douleur était de plus en plus vive et me lançait fortement. J'avais l'impression d'avoir été battue à sang et ça seulement sur une partie de mon corps. J'avais l'impression qu'on me recousait une plaie. J'avais l'impression de geler. J'avais l'impression de mourir. Heureusement que l'eau ne toucha qu'une zone de mon anatomie. Sinon je n'aurais pas survécu. Depuis ce jour, une tâche dorée orne le creux de mon rein gauche, et m'empêcher de lever la jambe de plus de trente centimètres du sol.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant