§ Chapitre douze §

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Il me tendit sa main, à la peau aussi blafarde que le marbre des marches d'entrer. Je l'ai regardé de nouveau dans les yeux. Dans notre société, on ne tient la main d'un homme, que lorsqu'on y est fiancée, sinon, on se déplace à son bras. Il regarda sa main et aussitôt se redressa en roulant des yeux, avant de me tendre son bras, les yeux fixés sur un point invisible dans l'autre direction. Je le saisis, et suivis ses pas jusqu'à la piste de danse. Je regarde les autres danseurs pour tenter de savoir où mettre mes mains.

- Qu'y a-t-il ? Demanda l'Inoubliable.

- Euh...rien. Souriais-je faussement, me demandant ce qui avait bien pu me traverser l'esprit pour accepter cette invitation.

- Mettez votre main gauche sur mon épaule et donnez moi votre main droite. Chuchota-t-il.

Je suivis ce qu'il me dit, ne m'attendant pas au contact de ses doigts sur ma peau. Ma robe étant ouverte dans le dos, et ses doigts étant si longs, le contact fut directe. Sa main serra la mienne au moment où je levais la tête vers lui. Qu'est-ce qu'il est grand... Pensais-je. Il se rapprocha de moi, nos visages à quelques centimètres à peine, et me souleva du sol, pour me reposer sur ses pieds. Je fus surprise de me retrouver aussi près de lui. Je ne le connais ni lui, ni son nom, et je lui accorde la toute première danse de mon existence. Il replaça sa main sur ma hanche et commença à suivre le rythme de la musique. Comme tous les couples qui tournoyait autour de nous, nous fûmes accueillis sur la piste par un soufflement de pétales de roses. Le blanc et le rouge se mélangeaient au noir de nos deux tenues respectives et se coinçaient dans nos cheveux. Soudain, une rose d'un rouge plus foncé que les autres, tomba entière d'une des lianes et atterrit entre nous. Nous nous arrêtâmes de danser, et la musique cessa d'être jouée.

- Oh non... Entendis-je souffler l'Inoubliable.

- Nous avons nos Amants de la Mort messieurs et mesdames ! Cria haut et fort le valet en nous pointant du doigt.

Qu'est-ce que c'est que ça encore? Je ne connais pas cette tradition, ou peut-être l'ai-je connue étant plus jeune? Je me baisse, et ramasse la jolie rose, lui évitant d'être piétiner. Malgré le fait que je ne connaisse pas ce rituel, je ne voyais rien de mal au rôle que les convives nous avaient attribué. Que pouvait-il bien arriver de si grave? J'ai cherché Deanna du regard, et l'ai trouvée pétrifiée, les yeux emplis de terreur.

- Maintenant, jeunes Amants de la Mort, retirez vos masques, comme la coutume l'exige ! S'empressa de réciter le valet.

Quoi?! Comment ça retirer mon masque?! Le Marquis est présent à cette soirée, et risque fortement de me reconnaître, je serais alors bafouée et renvoyée à l'orphelinat du Berceau de la Chaire, ou bien pire. La Marquise n'est accompagnée que de noble, pas de sa dame de chambre! Ne trouvant aucun soutien chez Deanna, je reviens à l'Inoubliable, qui me fixait également, néanmoins, aucune once de peur dans son regard, seulement de l'arrogance et de la déception. J'ai vite compris qu'enlever son masque pour lui, était une mauvaise chose, mais pourquoi ? Était-il dans la même position que moi? Risquait-il, lui aussi, d'être puni? Il s'approcha de moi, si près que je pus sentir son haleine dans mes cheveux. Il se pencha a mon oreille. Sa respiration sur ma nuque me donna des frissons que je ne pus contrôler.

- Dragan McWilth. Oh! Et j'allais oublier, on ne refuse pas l'une de mes invitations sans en payer le prix. Chuchota-t-il avant de se redresser.

Nous échangeâmes un dernier regard, juste avant que tout ne devienne que noirceur. Une noirceur encore plus sombre et impénétrable que celle du Lac d'Or. Dans l'obscurité, les grandes baies vitrées de la salle de bal éclatèrent en milliers d'éclats de verre. Les invités se mirent à crier et courir dans tous les sens. J'étais sous le choc de cette duperie, et des centaines de questions me parcouraient l'intérieur du crâne. Mais il fut une chose plus importante que mes réflexions. Deanna... Et si sa punition pour moi était de s'en prendre à elle? Dragan McWilth me connait visiblement mieux qu'il ne le laisse paraître. Et dire que sa vie, que dis-je, qu'il me fascinait. Il n'a pas intérêt à la toucher! Comment une soirée peut elle se terminer de cette façon ? Voilà que je sillonne la foule, à la recherche de la seule personne qui ne me tarde pas de perdre. Je commence à paniquer lorsque je remarque l'intrusion de plusieurs individus, qui foncent dans la foule tout en s'arrêtant pour égorger ou frapper les convives.

- Oh mon dieu... Soufflais-je entre mes dents avant de continuer mon chemin, de plus en plus stressée par la perspective de perdre Deanna.

Les gens se poussent, se marche dessus, pour avoir une chance de s'enfuir. Des Envoyés au Diable, voilà qui sont nos envahisseurs. Ils brandissent épées, masses, longs couteaux, machettes, et faux. Ils cris au loup avant d'abattre leurs armes sur le riche peuple. Je suis éclaboussée par le sang d'un Duc qui se fait sauvagement assassiner à quelques centimètres de moi. Je stoppe net en laissant échapper un cri de terreur. Son corps se met à convulser alors qu'il tend une main désespérée vers moi. Une aide que je ne lui accordai pas avant que la mort ne l'emporte.

- Salut ma jolie! Ricana une voix derrière moi.

Je me retournais, aussi tremblante qu'une feuille avant de lever les yeux sur une bête. Elle était si grande! Elle me surplombait de plus d'un mètre. D'énorme cornes ornaient sa tête d'homme, et ses jambes, aussi longues soient elles, étaient recouvertes d'une fourrure épaisse qui cachait a peine les sabots sur lesquels la bête marchait. Le Père Amsem avait raison... Pensais-je, ne voulant y croire qu'à moitié. Dans mon imagination, je voyais un petit garçon perdu, mi-homme, mi-chevreuil, pas cette monstruosité égale à un tas d'angoisse. Dans ma torpeur, j'entendis crier une voix au dessus des autres.

- Addi! Hurla Deanna, alors qu'un être mi-femme, mi-cerf, traversait la pièce en courant à toute vitesse, mon amie sur l'épaule.

- Deanna! Criais-je à mon tour.

Tandis que je m'apprêtais à courir à son secours, une main puissante me saisit le bras. La bête me tenait fermement, et n'avait pas l'air de vouloir me lâcher.

- Alors c'est comme ça qu'on traite les femmes chez vous?! Le provoquais-je avant de lui donner un grand coup de genou dans l'entre jambes en criant: et bien c'est déplorable !

Sur ce, il n'eut d'autre choix que de me lâcher. Je me suis alors ruée à la poursuite de la femme cerf sans me soucier du reste. Je ne pensais même pas être capable de courir aussi vite avec des talons pareil. J'ai réussi avec la plus grande peine du monde à les rattraper. Elle sauta par l'une des fenêtres brisées, et déploya des ailes grandes comme les nappes de buffets. J'ai alors attrapé la main que Deanna tendait dans ma direction, et j'ai bloqué mes pieds au cadre en bois. Je tirais du plus fort que je pus.

- Lâche la! Criais-je à plusieurs reprises.

- Addi... Me fit Deanna en me regardant dans les yeux.

- Non...non! Je ne t'abandonnerai pas! Plus jamais! Hurlais-je, comprenant qu'elle s'apprêtait à lâcher ma main.

- Retrouve moi, d'accord ? Dit-elle.

- Je t'en prie ne fais pas ça... Deanna...tu as dit qu'on durerait... Rétorquai-je les yeux embués.

Elle me sourit, et laisse glisser sa main sur la mienne. Je manquai de tomber de la fenêtre, mais me raccrochai au dernier moment à un carreau de verre à moitié brisé, ce qui m'entailla la main. Pourtant, la seule douleur que je ressentais était celle causé par le vide et la solitude, non pas par celle physique. Je ne suis pas forte, je ne suis pas courageuse, et je ne suis même pas capable de sauver quelqu'un que j'aime du danger. De nous deux, je suis sûrement la pire aujourd'hui.

- Et? Toi! Cria une voix forte, rauque, et effrayante.

La bête me fait face, à quelques mètres à peine. Je la fixe, les yeux remplis d'un mélange surprenant de rage, de peur, et de tristesse. Elle racle le sol d'un de ses sabots et dévale sur moi. Si je dois mourir ce soir, ce sera de ma main. Je lâche le carreau de verre, monte sur le cadre de la fenêtre, et me jette en arrière, laissant la gravité faire son travail. Je vois la tête de la bête, de haut, admirer la fin de mon histoire avant que la noirceur épaisse ne m'accueille de nouveau dans ses bras si peu étrangers à mon esprit.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant