§ Chapitre un §

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On sous-estime souvent ceux qui ont le plus de valeur. On ne s'attend pas à ce qu'ils nous dépassent, ni à ce qu'ils nous surprennent dans un acte que nous serions nous même incapable d'accomplir. Dans ce monde, on estime les gens à leurs classe sociale et au montant de leurs fortune. Une bien piètre échelle de mesure.
Dans ce dilemme incessant de quête de valeur, nous avons vite oublié qu'au fond de nous, nous étions tous les mêmes. Aucun apparat ne vous changera intérieurement, mais les autres si. Du moins, ils chercheront à vous changer, à vous modeler selon leurs critères de perfection. Les premiers à faire cela sont les parents. Avides êtres de la vie, que la vieillesse abîme. Même si nous décidons de nous détacher de cette pression familiale, il nous faudra toujours un exemple à suivre. C'est ceci que les parents oublient un peu trop vite, les qualités tout comme les défauts de leur progéniture, n'est que le fruit d'observation enfantine. Ils répètent les gestes et les paroles parentales machinalement, sans forcément en comprendre le sens.

Je suis de ces êtres dits insignifiants, inférieurs, et que l'on sous-estime, les domestiques. Ou bien les bonnes, ou encore esclaves, appelez nous comme bon vous semble. Nous sommes sûrement les premières personnes à ne pas être appréciées à nôtre juste valeur. Pourtant, certains diront de nous, que nous sommes les mieux placés pour tirer les ficelles. D'un côté, nous sommes supérieur à nos maîtres, de par notre empreinte sur leur vie. Nous les nourrissons, les enrichissons de faux compliments, et nous devons nous contenter de leur baiser les pieds comme seul dû. Mais d'un autre côté, la façon dont certains nobles nous traitent, finit quelques fois par nous faire croire qu'ils nous sont bien supérieurs, et que nous ne sommes rien. Judith, mon ancienne compagne de chambre, s'est jetée de la fenêtre qu'elle astiquait. Ce qui montre qu'au delà de la pression familiale qu'est le foyer dans lequel nous avons grandi, il existera toujours des gens et des endroits qui vous pousseront jusqu'aux extrêmes, non sans vous avoir roulés dans la boue avant.

Cette société inégalitaire dans laquelle nous vivons, est constituée de castes, toutes bien différentes les unes des autres. Notre Grand Roi nous a divisés en cinq castes. La plus haute et la plus puissante constitue la Monarchie, les bonnes gens qui ont tellement d'or dans les poches qui ne savent pas comment le dépenser, et n'ont aucune tâche ou corvée à accomplir. Les Hauts Fonctionnaires, sont là deuxième caste la plus puissante, elle se constitue principalement de ministre ou de petits nobles ayant fait fortune en tant que notaires. Ensuite, il y a ma caste, celle des Travailleurs, ceux qui gagnent leur pain à la sueur de leur front et la force de leurs bras. Juste après nous, il y a les Artistes, une caste à laquelle une part de moi-même appartient. Et en dessous, les derniers, les laissés pour compte, les Sans-Caste, aussi appelés Les Envoyés au Diable. Simplement parce que tout le monde les rejette. Ils meurent de faim car les commerçants refusent catégoriquement de leur vendre leur marchandise. De quoi les plaindre encore plus. Les gens racontent que leur seule alimentation découle de chasse, de cueillette, de pêche, mais également de vols. Néanmoins, je les admire pour leur éternelle fougue et leur audace. Ils n'ont jamais peur de rien, ou du moins ils savent comment le dissimuler.

Je ne les envie pas, je les plains pour la plupart. Mais je me suis surprise plusieurs fois à espérer échapper à la lessive ou à la cuisine, en courant les rejoindre dans les bois. Ce que je leur envie n'est qu'un petit détail de rien du tout, leur liberté. Ils sont libres de penser ce qu'ils veulent, libres de vivre comme il leur plaira, à partir du moment où cela ce passe en dehors de la ville. On raconte un tas de chose sur eux. Comme quoi ils auraient fusionné avec la végétation, tant leur exil fut long. Même le Père Amsem dit avoir vu un Envoyé au Diable avec des cornes sur la tête, des oreilles aussi pointues que des piques, des sabots à la place des pieds, et un costume de lierre qui lui collait la peau. Que de foutaises et de divagations futiles, et trop tirées par les cheveux pour que les citoyens du Berceau des Lumières ne les prennent au sérieux.

Je me retrouve pourtant fascinée par ces histoires fantastiques et romanesques. Je m'imagine souvent avant d'aller dormir à quoi doit ressembler ceux qui on disparut des esprits. Comme le Prince Dragan qui était l'un des fils adoptifs du Grand Roi Tuncayn, il fut exilé par son propre père qui ne donna aucune explication au peuple. Aucun de nous n'a jamais su ce qu'avait fait le Prince au point de se faire exiler, et personne ne sait ce qu'il est devenu. J'aime penser à cet avenir qui n'est pas le mien. Savoir s'il est encore vivant, ou bien si le destin en a choisit autrement. Pourtant je ne l'ai jamais vraiment connu personnellement, mais je me plais à imaginer son quotidien maintenant qu'il n'est plus à la Cour de Saphir. Cela me réconforte de savoir que quelqu'un avec qui j'ai grandi dans le même orphelinat a finalement trouvé la liberté après avoir connu le luxe, la richesse, et le respect.

- Addison?! M'appela la Marquise de Browndeck.

- Oui madame...? Demandais-je, la respiration haletante après avoir gravi l'escalier de service au pas de course, dès que la cloche de sa chambre ait tintée.

- Je voudrais que tu demandes à la cuisinière de me préparer des ufs pochés, avec quelques pâtisseries et un plateau de fruits. Des fruits de saison, il va s'en dire.

- Bien madame. Il vous fallait autre chose? Dis-je en esquissant une révérence.

- Oui. Il faut refaire mon lit. Un ami est passé et...

- Vous n'êtes pas obligé de me fournir une explication madame.

- Vous avez raison. Juste...

- Je ne dirais rien à Monsieur et je vous re-coiffe. Récitai-je.

Elle me lança un sourire entendu et m'envoya porter sa commande à la cuisinière. La Marquise a l'habitude de recevoir nombre d'hommes dans ses appartements dans le dos de Monsieur. C'est un trait de caractère sur lequel je ne peux la juger. Certains hommes ont bien faim de femmes, pourquoi l'inverse n'existerait pas? Madame Deanna Browndeck a toujours été très bonne avec moi. Elle ne m'a jamais donné de coup et ne m'a jamais commandé d'ordres ingrats. Si elle n'était pas aussi riche et si elle ne s'en vantait pas tant, peut-être l'aimerais-je davantage aujourd'hui. Mais il y a une chose que je hais chez elle, du plus profond de mon être, son mari. Le Marquis de Browndeck est un horrible personnage tout comme la plupart des hommes de ce siècle. Il est d'une violence que peu de personnes sont capables d'appréhender. Tout comme sa dame, le sexe est une vertu qu'il s'entête à entretenir, même s'il doit empoigné la force. Nombre de femmes de chambre se sont succédées avant moi, toutes ne donnèrent aucun motif à leur départ. Mais Gylia, la précédente dame de chambre, a tenu à me tenir informée des avances que pouvait faire le Marquis, alors depuis son arrivé au domaine je ne l'ai presque jamais vu. Je l'évite le plus possible pour ne pas m'attirer d'ennuis, et survivre.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant