§ Chapitre treize §

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Cette lumière, ce n'est pas celle du bout du tunnel, et cette chaleur n'est pas celle des enfers. Le soleil brille et ses rayons transperce les feuilles du buisson derrière lequel je suis allongée. J'ouvre un oeil, sans oser ouvrir l'autre que je couvre d'une main. J'ai mal partout. Je tente de bouger, le plus lentement possible. Je me redresse avec difficulté, mon dos ayant mal supporté ma chute. Je lève la tête vers la fenêtre d'où je me suis laissée tomber hier soir, la voyant, les souvenirs me reviennent en mémoire. Puis une seule question me brûlait les lèvres, une question que je ne pouvais poser qu'à moi même, qui n'ait pas la réponse.

Comment se fait-il que j'ai survécu à une chute pareille ? La baie vitrée d'où je me suis jetée est si haute! Et de la façon dont j'ai chuté, je n'avais aucun autre échappatoire que la mort. J'examine mon corps, à la recherche de la moindre fracture, pourtant, rien. L'unique blessure qu'il me reste du bal masqué, est cette entaille à la main. C'est presque comme si j'avais rêvé tomber, sans jamais n'être passé par la fenêtre. Je regarde autour de moi, perdue, seule, et affaiblie. OK, normalement, la salle de réception a vu sur la mare de Browndeck Hall. Je me lève sur mes jambes à peine égratignées et observe les environs afin de me situer sur le domaine.
Je fais face à la mare et remarque le petit chemin couvert, entouré de boulots. Il mène directement aux cuisines, de là, je pourrais évaluer la situation de la résidence.
Je secoue mes cheveux plein d'herbe, sans oublier d'enlever ce foutu masque, avant de traverser le jardin. Les environs sont si silencieux, ça en est presque angoissant.

- Tu es sûr qu'elle dort Asmodéus? Fit une voix lorsque je fus près de la cour.

Je me suis alors cachée derrière un buisson et ai tendu l'oreille.

- Oui. Elle n'est pas morte. Mais elle aurait pu l'être si j'avais eu ta bénédiction. Rétorqua une autre voix masculine avec dédain.

- Elle aurait pu se tuer! Tu as vu la hauteur à laquelle cette fenêtre est située ?!

- Je m'excuse de l'avoir effrayée d'accord ? Mais tu n'as pas entendu la façon dont elle a jugé mes manières envers les femmes, qu'elle a insulté de "déplorables". Oh! Sans oublier que ce n'est pas toi qui aies les boules en compote ! Se plaignit-il.

La bête... Pourtant, je ne reconnais pas là la voix monstrueuse et glaciale de l'autre soir. J'ai dû me cogner la tête plus fort que je ne le pense. Je m'élève légèrement et discrètement, pour voir les deux personnes discutant ensemble. Je ne vois aucune bête! Il y a juste un jeune homme, sûrement plus vieux que moi, nu comme un verre, et... Dragan...

- On devrait être parti depuis plus d'une heure, au lieu de vous entendre vous chamailler comme ces enfants de riches. Râla une femme à la démarche féline.

Elle me fait penser à quelqu'un, mais qui? Une branche craque sous moi lorsque je manque de tomber sur les fesses. Aussitôt, les voix se turent et de légers bruits de pas s'approchèrent. Soudain, l'un des chats du château sortit du buisson juste à côté, et se rua vers un rat des champs qui courait entre les jambes du garçon nu.

- Satané chat! S'écria-t-il en écrasant la nuque de la pauvre créature sous son pied.

Le chat feula de mécontentement avant de miauler de douleur lorsque son agresseur mit plus de poids sur lui, la pauvre petite bête cessa de faire du bruit quand les craquements de ses os se firent entendre. Je mis mes mains devant ma bouche, pour empêcher ma respiration forte d'être audible.

- Tu n'étais pas obligé Asmodéus... Souffla, exaspéré, Dragan.

- Mmh... Je m'en fous...

- Qu'y a-t-il Thérésa ? Demanda-t-il.

- Je ne suis pas sûre que ce soit ce chat que nous ayons entendu. Il est trop maigre pour avoir fait céder une branche.

Les feuilles mortes volèrent dans les airs lorsqu'elle s'approcha de moi, le vent gonflant sa cape noire. Je vais mourir? Ou vont-ils m'emmener comme Deanna? J'entendis le bruit d'une lame qu'on sortait de son fourreau, avant que le métal froid ne rentre en contact avec la peau de mon cou.

- Ce n'est pas bien d'écouter les conversations des autres. Ta mère ne te l'a jamais appris ? Siffla-t-elle en me saisissant par le bras.

- Je n'ai jamais connu ma mère... Marmonnais-je, ne pouvant m'empêcher de haïr cette femme, seulement pour les mots qu'elle venait de prononcer.

- Alors ça c'est vraiment dommage... Fit-elle avec une moue faussement attristée.

- Thérésa ! Lâche la. Rétorqua Dragan d'un ton autoritaire.

- Attend... Ne me dit pas que c'est elle ta copine de dortoir du Berceau de la Chaire?! S'offusqua-t-elle en me jugeant du regard.

- Bien sûr que si c'est elle. Tu l'as regardée un peu? Aussi laide qu'il nous l'a dit... Rigola Asmodéus en enfilant une chemise. Et je n'oublie pas le visage de quelqu'un à qui je dois une revanche.

- Si tu penses me devoir une revanche pour tes petits bijoux de famille, c'est que tu m'estimes plus que tu ne le voudrais. Dis-je, ne pouvant retenir cette réponse qui me brûlait les lèvres.

Dragan pouffa légèrement en baissant la tête, avant de lever un regard malicieux sur moi.

- Thérésa, ne m'oblige pas à me répéter. Sur ce, elle me lâcha en récupérant son couteau. Je n'ai pas dit que tu étais si laide que cela si ça peut te rassurer.

- Je me fiche de ce que tu peux avoir dit, ou de ce qu'il pense. Rétorquai-je en faisant un mouvement de tête dans leurs direction.

Il ouvrit la bouche comme s'il s'apprêtait à dire quelque chose, puis il se résigna. À la place, il s'avança vers moi, d'une démarche gracile qui rappelle son ancienne place au sein de la famille royale. Lorsqu'il arriva à moins d'un mètre de moi, mais qu'il ne s'arrêta pas, je fis un pas de recul en espérant lui faire comprendre que je ne voulais en aucun cas qu'il m'approche. Il leva les mains, comme pour montrer qu'il ne ferait rien, et continua d'avancer, tandis que je reculais de plus en plus, avant d'atteindre un buisson.

- Arrête... Arrête toi! Criais-je.

- Pourquoi je devrais t'écouter ? Me demanda-t-il, ce qui me prit au dépourvu.

- Parce que...parce que... Bafouillais-je.

Il continua de marcher à pas lent jusqu'à moi. Cette situation me rappelle vaguement les fois où Xanford Browndeck rentrait de voyage, et passait dans ma chambre avant de se dorloter dans les bras de sa femme. Cet homme cessera-t-il un jour de me tourmenter ?

- Arrête toi... S'il te plaît... Chuchotais-je en tendant une main dans sa direction.

Comme s'il était possible que je le stoppe aussi facilement. Je ne veux pas, ou plutôt je ne peux pas me battre contre lui. Ce serait peine perdue. Mais, malgré ce que je pensais, il s'arrêta, à quelques pas seulement, le visage figé et les jambes bien droites. Il fixa ma main tendue en serrant les dents.

- Qui t'a fait ça? Demanda-t-il en pointant mon poignet.

Les cicatrices laissées par le tisonnier de l'ancien Marquis ne sont plus camouflées par le bracelet que je portais, j'ai dû le perdre. Je ne dois pas montrer la faiblesse que représente mon passif. Le meilleur moyen de s'en sortir dans ce genre de situation, c'est le mensonge.

- Moi. Je me suis fait ça toute seule. Répondis-je en levant la tête et en serrant la mâchoire.

- Vraiment ? Fit-il en fronçant les sourcils, cette même expression de rage sur le visage.

- Oui. Ma voix est mal assurée, je ne suis définitivement pas douée pour mentir.

A-t-il compris que je lui mentais? Et en quoi cela le regarde? Pourquoi tant de questions sur ces simples cicatrices ?

- Addi?! Addi où es-tu ?! Cria une voix que je reconnus.

Alfred hurlait à ma recherche, espérant une réponse.

- Je croyais que tu l'avais tué! S'emporta Thérésa.

- Mais non, c'est toi qui étais sensé t'en charger! Se plaignit Asmodéus.

- Ni pense même pas... Siffla Dragan en se tournant de nouveau vers moi.

Le regard vide d'émotion, mais le mental plein d'espérance, je courus le long du mur vers la voix d'Alfred. J'esquivai Thérésa d'un mouvement d'épaule, mais Dragan me saisit par les cheveux.

- Alf... Tentais-je de crier avant que sa main ne scelle mes lèvres.

- Au moins tu n'as pas tant changé. Tu as toujours un caractère aussi merdique Addison. Souffla Dragan à mon oreille avant de me tirer en arrière.

Carpe DiemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant