Chapitre 19

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Les jambes tremblantes je pars vers ce petit jardin, celui où je croise souvent Alwin. C'est peut-être la seule chose qui me permettra d'aller mieux. Dans tous les cas, c'est le seul endroit où je veux être en cet instant.

Cela fait maintenant deux ans, deux ans que le calvaire que ma mère et moi vivions avait pris fin. Enfin ce n'est pas exact. La partie la plus dure était terminée mais la fin définitive de tout ça n'était pas encore arrivée. La preuve, si c'était le cas je ne serais pas en train de m'asseoir sur ce banc dans ce petit parc car mes membres inférieurs ne sont plus capables de supporter mon poids additionné à celui de mes émotions.

Il y a deux ans, jour pour jour, c'était la pire journée de ma vie, la pire journée de la vie de ma mère, l'une des pires que n'importe qui puisse vivre. En même temps, ça a été notre porte de sortie, ce qui nous a permis de sortir de l'emprise de mon géniteur.

Je revois les images à travers mes yeux, j'entends les sons à travers mes oreilles tout ça comme il y a deux années. C'est comme ce matin, pire que ce matin. Je sens encore le goût du sang dans ma bouche et ma tête me faire mal.

Je reste assise sur ce banc, toujours la boule au ventre, je suis incapable de parler, incapable de bouger, incapable de marcher. Si je me lève, je sais que je vais immédiatement tomber. Je ne trouverai pas la force de me redresser. Les souvenirs sont en train de me submerger et c'est quelque chose de très désagréable.

Je ferme les yeux, pliant mes paupières de toutes mes forces, comme si ça pouvait repousser les cris qui résonnent dans mon cerveau. Je serre mes bras autour de mon ventre, si seulement cette nausée pouvait partir. Cette année est moins pire que la précédente mais ce n'est toujours pas indolore. Je sais que cela ne fait que deux ans mais j'aurais préféré que tous ces souvenirs restent derrière moi.

Je sens de l'air me frôler, me signalant du passage devant moi. Je me concentre sur les bruits de pas qui s'arrêtent. Je rouvre les yeux. Je le vois, juste là, en train de me regarder, Alwin, un regard interrogatif mais doux et je dirais même presque inquiet.

On se fixe en silence, sans cligner des yeux, sans faire un seul bruit. Mais j'ai l'impression que des milliers de mots volent dans les airs, on a une conversation silencieuse. Et au milieu de cet échange insonore les larmes me montent aux yeux et je détourne enfin le regard. Une larme tombe le long de ma joue et je l'essuie de ma main aussi rapidement que possible.

J'entends le soupir du garçon qui m'observe. Ce soupir n'a rien d'agacé, on aurait même dit qu'il était rempli de compassion. Il bouge et s'assoit sur le banc à côté de moi, ne laissant qu'un petit espace entre nous.

- Ça va aller ?, me demande-t-il avec une voix posée et douce.

Une deuxième larme coule. Je la chasse du dos de ma main, je renifle bruyamment comme un enfant le fait quand il pleure. Incapable d'ouvrir la bouche je hausse les épaules pour répondre à Alwin.

- Ok, murmure-t-il.

Nous restons assis l'un à côté de l'autre en silence, sans dire un mot. Ce calme est plutôt agréable, je lui suis reconnaissante de ne pas m'avoir encore posé de questions sur la raison de mes pleurs. Je sais très bien que je ne serais pas capable de lui répondre, c'est encore trop difficile à aborder comme sujet. Je sens toujours mes cicatrices me brûler la peau, mon dos me brûle, mes jambes tout autant que mes bras.

- Tu n'es pas obligé de rester, balbutie-je entre deux sanglots.

Il ne me répond pas mais ne bouge pas. Je comprends alors qu'il ne partira pas, qu'il restera là avec moi. Honnêtement, je suis contente qu'il reste. Je n'ai pas vraiment envie de rester seule mais surtout je ne veux pas rentrer chez moi et que ma mère voit que je ne vais pas bien. Je veux encore moins appeler Sandra alors que je lui ai affirmé que tout allait bien. En vrai ce n'est pas le cas. Ça ne va pas.

- Est-ce que tu as besoin de quelque chose ? Qu'est-ce que je peux faire pour toi Thémis ?

Je serre d'autant plus fort mes bras contre ma poitrine essayant de faire partir cette affreuse sensation qui est en train de comprimer chacun de mes organes. Ma cage thoracique tremble sous mes sanglots. Un léger gémissement de douleur sort d'entre mes lèvres. Cette sensation qui me prend aux tripes est un véritable supplice.

Je sens ses doigts attraper les miens et les desserrer d'autour de mes bras. Automatiquement je les resserre sur sa main, je suis très certainement en train de lui broyer les os. Malheureusement je ne suis pas dans un état assez stable et calme pour arrêter mon geste. De mon autre main, je plante mes ongles dans ma cuisse. Immédiatement il reproduit ses gestes en l'attrapant.

- Tu vas te faire mal.

- J'ai déjà mal, chuchoté-je.

Mes cheveux tombent sur mon visage en même temps que je penche la tête en avant. Quelques mèches s'accrochent à l'humidité de mon visage sur mes joues. Je me mets à tousser, mes poumons sont écrasés par une douleur insupportable. Mon dos commence à me faire mal comme à chaque fois que je me retrouve dans cet état à force de pleurer et de contracter tous mes muscles.

J'essaye de contrôler ma respiration sans avoir de sursaut. Peu à peu, je commence à retrouver un souffle régulier. Je desserre ma prise sur ses mains me rendant totalement compte à quel point ce devait être désagréable de son côté car mes propres articulations me font mal de m'être accroché à ses mains.

- Pardon.

J'essuie mes joues et en dégage les cheveux qui sont restés collés.

- Tu veux en parler ?

Je secoue la tête. Je ne veux pas. Mais surtout je ne peux pas aborder ce sujet pour l'instant. De plus, je n'ai pas la force de tout expliquer en cet instant. C'est trop compliqué, trop épuisant et je n'ai pas envie de voir sa réaction quelle qu'elle soit je sais très bien que ça ne me conviendra pas car en cette journée rien ne passe.

Je vois Alwin bouger et chercher quelque chose dans son sac. Il finit par se tourner vers moi avec un sachet en papier à la main et me le tend.

- Prends le.

- Qu'est-ce que c'est ?

- Ce que je devais manger en dessert. Je n'y ai pas touché. C'est un cookie. Je te le donne, ça fera ton goûter.

Je souris légèrement et attrape le cookie en question tout en le remerciant. Je le sors de l'emballage et l'observe. Je le casse en deux et lui donne la moitié. Il l'attrape et nous commençons à le manger en même temps. Je m'arrête alors de déguster ce gâteau pour m'étirer et tordre mon corps autant que je le peux. J'espère que cela permettra à mes muscles de se détendre et d'ainsi de me faire moins mal.

- Ça va ?

- J'ai mal.

- Tes muscles se sont trop contractés.

Je hoche la tête et me remets à manger le cookie. Cela me fait du bien et me donne des forces. Je lui en suis plus que reconnaissante qu'il soit là, à côté de moi, avec moi, pour moi.

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant