Chapitre 17

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Je dois avouer qu'aujourd'hui j'ai un peu la boule au ventre. Dans quelques jours cela fera deux ans. Deux ans que mon père n'est plus là. Et ce n'est pas positif comme on pourrait le croire. Ce ne sont que des mauvais souvenirs qui nous hanteront toute notre vie, ma mère et moi. L'année dernière n'a pas été tranquille en termes de cauchemars et souvenances. Cette journée avait été la pire de toute alors même si c'est la date à laquelle nous avons été délivrées de notre enfer c'est tout sauf joyeux.

Je reviens à la réalité et repousse mes pensées. Je relève les yeux vers Sandra qui est en train d'écrire un message sur son téléphone. Elle a un petit sourire au coin de ses lèvres qui me fait me sentir mieux. Sa manière qu'elle a de sourire arrive toujours à me faire aller bien. Elle a toujours réussi à prendre soin de moi, volontairement ou non.

- Il y a une raison particulière à ton bonheur ?, je lui demande alors qu'elle repose son portable sur la table.

- Je règle les derniers détails pour le stage, dans trois semaines. J'ai trop hâte !

- Je vois ça. C'est une super opportunité pour toi !

Elle hoche frénétiquement la tête et croque dans sa pomme. Je sens des frissons me parcourir me faisant tirer les manches de mon pull afin de pouvoir me réchauffer les mains. Il fait de plus en plus froid. Demain nous sommes en décembre et les températures sont assez basses. Je n'aime vraiment pas ce mois-ci, entre cette fameuse journée et le froid dehors, il n'y a rien de vraiment plaisant. Même Noël je ne sais pas ce que c'est. Mon dernier Noël "normal" remonte à mes six ans.

- Tu sais je suis hyper contente, c'est exactement ce que je cherchais. Le monsieur est très gentil et bienveillant. Il m'a tout expliqué, il m'a dit qu'il m'enverrait bientôt un planning avec tous mes horaires. Je suis plus que satisfaite car ce n'est pas avec une grosse entreprise.

- C'est mieux, il va mieux pouvoir répondre à tes questions.

- Exactement. En plus il est à son compte, c'est un illustrateur indépendant et il fonctionne par contrats. Il est polyvalent, on peut le demander pour dessiner un album jeunesse, la couverture d'un livre ou juste faire un dessin pour une marque. Il travaille même avec des gens pour des demandes de simples personnes qui veulent un poster ou je ne sais quoi d'autre.

Son enthousiasme me rend moi-même enthousiaste. Ce stage est une énorme opportunité pour elle.

- En plus ça m'aidera pour mon dossier et les planches de dessin à joindre avec. Rien de mieux que de la pratique avec un professionnel.

Sandra n'a jamais pris de cours de dessin en dehors des options et cours du lycée. Elle s'en est toujours sortie toute seule, elle a su manier le crayon et tous les outils artistiques instinctivement. Les livres de dessin, de peinture, d'art, les vidéos qu'elle parvenait à trouver sur internet ont été les seuls outils d'apprentissages qu'elle a eus.

- Je ne serais pas seule avec lui. Il y aura un homme qui a été diplômé il y a peu de temps. Et devine quoi ?

Je l'observe en souriant et l'invite à continuer.

- Cette personne a obtenu son diplôme pile dans l'école où je souhaite aller, et la même formation que je veux faire !

J'écarquille les yeux en entendant cela. Les dieux sont décidément avec elle. Ce ne sont que des bonnes nouvelles, cette personne pourra l'aider, lui donner des renseignements.

- C'est génial ! Je suis vraiment heureuse pour toi. Tu mérites de réussir.

- Merci. Tu sais j'ai tellement envie d'être prise. Si je ne suis pas acceptée, je ne sais pas quoi faire.

Je me pince les lèvres en réfléchissant. Je ne m'y connais pas en études artistiques. Toutes mes connaissances sur le sujet proviennent de ce que Sandra peut me dire.

- Je suis pratiquement sûre que tu vas être prise. Il n'y a aucune raison que ce ne soit pas le cas. Tu as vraiment du talent et un dossier en béton. Dans tous les cas, tu trouveras bien d'autres formations si jamais ça ne passe pas.

- Je verrai, je me renseignerai, je pourrais même leur demander pendant mon stage.

Je prends ma bouteille d'eau et en prend une gorgée. Je regarde l'heure sur ma montre tout en retenant un soupir. Plus qu'une trentaine de minutes avant que je retourne en cours, cette fois-ci c'est physique, une heure à devoir essayer de me concentrer.

- Thémis, murmure mon amie.

Je relève la tête et la regarde. Son regard est un peu inquiet. Elle se penche par-dessus la table et se rapproche de moi.

- Ça va aller ? Je veux dire dans quelques jours...

- Oui, merci de t'inquiéter. J'essaye de ne pas trop y penser. Cette année ça ira mieux. Je vais pouvoir contrôler.

Elle me regarde tout d'abord sceptique puis finit par se détendre et hocher la tête.

- Super alors. Si jamais tu en as besoin, je suis là. Je sais que l'année dernière c'était difficile alors voilà.

Je lui souris. Je suis vraiment touchée par cette intention. Mais ça va bien se passer. Cela fait deux ans, je vais pouvoir passer au-dessus. Nous gardons le silence pendant un peu de temps avant que Sandra prenne la parole.

- Je voulais te parler de quelque chose !

- Je t'écoute.

Intérieurement je la remercie de changer de sujet. Dans l'air planait encore notre conversation sur cette affreuse journée.

- Ce matin je suis tombée sur une œuvre d'art sur internet. Elle a été peinte par Jean-Baptiste-Camille Corot, c'est Orphée ramenant Eurydice des Enfers. Je crois que ce sont des personnages de la mythologie.

- Oui ! C'est ça. Tu connais leur histoire ?

- Justement je comptais sur toi pour me la raconter. J'adore ce tableau, il est vraiment joli. Cet artiste peint des paysages impressionnants.

Je me rappelle de cette peinture. En effet, Sandra a raison. Cette œuvre est magnifique.

- Je suis totalement d'accord avec toi. Cette peinture est féerique, c'est vraiment joli.

Mon amie acquiesce alors que je réfléchis à la façon dont je vais pouvoir raconter mon mythe. Le plus dur est de commencer, trop d'idées me passent par la tête, après lorsque je suis lancée je ne peux plus m'arrêter. De plus, je dois faire un petit effort pour Sandra, il vaut mieux que je sois claire et concise. Je sais parfaitement que la mythologie n'est pas son truc, autant aller au plus vite et éviter des détails trop précis.

- Tu as sûrement déjà entendu parler de l'histoire d'Orphée et Eurydice. Ces deux-là eurent un coup de foudre et s'aimèrent instantanément. Ils prirent donc la décision de se marier au plus vite. Malheureusement le jour de leur mariage, un serpent au venin mortel a mordu Eurydice.

- Elle est morte du coup ?

J'hoche la tête. Le fait que mon amie s'intéresse sincèrement de son plein gré à ce que j'aime me remplit d'une sorte de joie.

- Finalement, tourmenté par sa tristesse, il prit la décision d'aller aux Enfers la récupérer. Avec sa lyre, il réussit à endormir le chien qui gardait l'entrée des Enfers, Cerbère.

- Ça ne serait pas le chien qui a trois ou quatre têtes ?

- Si ! Trois têtes exactement. Il alla donc voir Hadès qui l'autorisa à ramener sa femme mais à une seule condition, il ne devait pas se retourner, regarder ou parler à Eurydice avant de retourner avec elle à la surface parmi les vivants. Pourtant à la fin il avait tellement peur qu'elle ne soit pas derrière lui qu'il voulut se retourner pour vérifier sa présence...

- Et de cette façon il perdu sa femme, termine Sandra.

J'acquiesce en ayant un petit sourire en coin. Elle tape quelque chose sur son portable puis me montre une image, ce fameux tableau.

- J'adore les paysages, regarde-moi ces arbres !

Je l'écoute alors me parler à son tour de ce qu'elle aime. 

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant