Je suis toujours dans les bras d'Alwin dans son lit. Il observe le plafond.
— T'es passionnée par la mythologie. Alors dis moi, quelle est ton histoire préférée.
Je réponds sans hésitation.
— Celle à propos des âmes-sœurs.
Il tourne la tête vers moi, me caresse du regard.
— Raconte-moi.
— Ça vient de Platon. La légende raconte qu'au tout début de l'existence de notre espèce, les humains auraient été des êtres avec quatre bras, quatre jambes et une tête de deux visages.
— C'est un peu glauque ça.
Nous rigolons en chœur.
— Attends que j'ai terminé, tu verras. C'est vraiment une belle histoire.
— Alors continue.
— Ils vivaient leur vie, heureux et dans la plénitude. Ils n'avaient besoin de rien, ne manquaient de rien. La paix régnait, ni guerre, ni chaos. Ils formaient un tout. Sauf que sans connaître la frustration, sans jamais vouloir et manquer de quelque chose, ils commencèrent à ignorer les dieux, les négliger, ne plus penser à eux et les honorer. Zeus les punit de ces péchés et redoutant leur puissance, il coupa tous les êtres en deux créatures. Ils étaient divisés et n'avaient plus qu'un seul visage, deux bras et deux jambes, des humains comme nous sommes.
Je frissonne. Alwin caresse la peau de mon dos, là où se trouve mon tatouage. Il le détaille en silence, tout en m'écoutant conter l'histoire.
— En faisant ça, Zeus fit souffrir ces êtres d'une des pires sensations : se sentir incomplet. Maintenant chaque être ressentirait le manque de sa moitié perdue et serait persuadé qu'en cherchant il trouverait cette personne : son âme-sœur. Elle serait aussi à un endroit sous la même forme. En la retrouvant il y aurait alors la possibilité de retrouver sa forme originelle, et ne plus jamais souffrir de solitude.
Un léger silence se fait pendant quelques secondes. Je tourne la tête vers Alwin. Il a ce regard doux sur moi qui me fait fondre. Je plonge dans ses yeux. Je l'aime vraiment. Chaque trait de son visage me plaît, chaque aspect de sa personnalité aussi.
— C'est joli comme histoire, j'aime beaucoup, chuchote-t-il.
Je lui souris et pose ma tête sur son épaule.
— Et t'en penses quoi de cette histoire ? Par rapport à la vraie vie.
Je ne réponds pas immédiatement et laisse le silence revenir. Si je dis ce que j'ai sur le cœur et qu'il ne le pense pas, je me sentirais affreusement mal. Mais au fond si ce n'est pas réciproque autant que je le sache et arrêter de vivre dans l'illusion. Alors il faut que je lui dise, car je l'aime vraiment. Je suis persuadée que cette histoire nous correspond.
— Je pense que t'es mon âme sœur. Je...
Je déglutis, me retourne, mon menton posé sur son torse, un bras autour de son ventre et le regarde, plonge dans ses yeux émeraudes.
— Je t'aime, je le coupe avant qu'il puisse dire quoi que ce soit..
Il affiche un petit sourire en coin et attrape une mèche de mes cheveux avec laquelle il joue nerveusement. Sa pomme d'Adam remonte et redescend lentement. Il entrouvre les lèvres.
— Je... Je t'aime aussi Thémis.
— Est-ce que c'est sincère Griffon ?
— Oui c'est sincère. Tu sais que je ne joue pas avec les sentiments des gens, surtout quand je sais à quel point on peut souffrir.
Il passe sa main dans mes cheveux ce qui me décoiffe.
— Et à propos des âmes-sœurs, tu as raison. Je nous reconnais là dedans. Je vais mieux depuis que t'es là, grâce à toi.
— C'est réciproque.
Il repousse mes cheveux derrière mon oreille, satisfait.
— Il faut que je t'avoue quelque chose Alwin.
Je porte ma main à ma bouche et mordille la peau de mon pouce. Ça va casser toute l'ambiance mais je dois lui dire quelque chose d'important. Si je l'aime vraiment et lui aussi alors à un moment ça va être un problème. Il a déjà entendu parlé de ma mère et sait qu'elle n'est pas au courant pour notre relation mais il ne sait pas pourquoi.
— Dis-moi.
— Ma mère ne sait pas qu'on sort ensemble. Elle ne sait pas que je reste souvent avec toi.
— Je le sais déjà.
— Je voudrais vraiment lui dire mais je ne sais pas comment m'y prendre. Elle a entendu les rumeurs sur toi, m'a fait promettre de ne pas m'approcher mais c'était trop tard à ce moment. Et depuis mon père elle a peur de plein de choses et de personnes. Elle m'a répété de faire attention à toi, de rester loin. Elle pense que tu représentes un danger pour moi.
Il hoche la tête.
— Elle sait ce que j'ai fait ?
— Non, uniquement des rumeurs toutes aussi bêtes. J'aime pas qu'elle les écoute.
— Tu ne peux pas lui en vouloir, quand tout le monde dit la même chose de quelqu'un il y a forcément une part de vrai.
— Sauf qu'elle sait que je suis passée par là il y a deux ans après être revenue de mon hospitalisation. Malgré le fait qu'il y a souvent une partie qui est vraie, ce n'était pas tout. Je ne m'étais pas juste faite tabassée par un homme, que ce soit un violeur ou pas. Je me suis faite battre par mon père comme pendant les cinq années précédentes. Il y a toujours une explication.
Alwin se contente de hausser les épaules avant d'ajouter.
— Tu lui diras en temps voulu. Ce n'est pas pressé.
Je soupire. J'aimerais que tout soit plus simple.
Mais pour l'instant je vais me contenter de changer de sujet. Il y a quelque chose de plus important dont nous devons parler.
— T'as eu une réponse de ton père ?
Je sens Alwin se tendre. Il ne répond pas immédiatement. Je le vois déglutir et fuir mon regard. J'espère que ça s'est bien passé. Sa réaction ne m'en donne pas l'air.
— Je...
Il s'arrête avant d'avoir vraiment commencé sa phrase.
— Je me suis dégonflé, admet-il. Après que tu m'ais convaincu de le faire, j'ai écrit deux mails, un pour mon père et Martha, un pour Gaëtan. J'allais les envoyer puis j'ai arrêté avant d'appuyer sur le bouton.
— Alwin...
Il sourit et me coupe.
— Je l'ai fait. J'ai repensé à ce que tu m'avais dit et je l'ai fait. J'ai envoyé ça aujourd'hui.
Je ne peux m'empêcher de lâcher un soupir de soulagement.
— Mieux vaut tard que jamais, le rassuré-je.
— Je te dirai quand j'obtiendrais une réponse. Merci de m'avoir poussé à le faire.
— Avec plaisir, c'est normal. Je suis contente pour toi. Ça va t'aider à tourner la page.
Soudain se fait un blanc. Mais c'est un silence lourd, ce n'est pas un de ces moments calmes où l'on se comprend. Alwin me regarde avec insistance. Est-ce que j'ai dit quelque chose de mal ? Ses yeux ne reflètent pas de la délicatesse, de la douceur ou une quelconque expression habituelle. Ses pupilles m'envoient un message que je n'arrive pas à comprendre. Peut-être que ce que j'ai dit était maladroit ?
— Je n'aurais pas dû dire ça ?
— Si. T'as totalement raison. Je devrais tourner la page grâce à ça.
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Cicatrices Lunaires
RomanceRomance ********* Etant très introvertie, Thémis, se réfugie dans sa passion pour la mythologie et ses livres. Elle ne parle qu'avec une toute petite poignée de gens : Sandra sa meilleure amie, sa mère, son professeur de Grec et Irène sa psychothéra...