Chapitre 54

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J'observe mes cheveux et passe ma main dedans. C'est étrange. La sensation est bizarre. Je vais mettre quelques jours à m'y faire. Je me demande encore pourquoi je l'ai fait sans réfléchir. Je crois que d'un coup j'étais de nouveau en colère et triste, trop pour pouvoir me contrôler. Par conséquent j'ai attrapé cette paire de ciseau et j'ai coupé juste au-dessus de mes épaules. Ma mère m'a vu faire puis a fait la même chose. Je pense que c'est une façon pour nous de se libérer de nos derniers tracas, nos derniers mauvais souvenirs. C'est comme si en coupant ces cheveux que mon père nous attrapait toujours on se libérait définitivement de son emprise, en même temps qu'on l'a laissé partir. Ça nous a fait du bien. Enfin, moi je sais que je me sens mieux mais je pense sincèrement que c'est aussi le cas de Maman. Je crois que j'ai besoin de changement. J'ai besoin de lâcher prise et prendre un nouveau départ.

Je me regarde une dernière fois dans le miroir puis me retourne vers Alwin et Sandra qui m'observent.

— T'es très belle avec tes cheveux courts, Pégase.

— T'arrêtes avec tes mignonneries là. Laisse moi encore croire que t'es un connard fini un peu Alwin.

Je ne peux m'empêcher de pouffer. Sandra essaye de faire connaissance avec Alwin, la première fois qu'on s'est retrouvés tous les trois c'était le lendemain de la mort de mon père. Comme prévu Sandra était venu le lendemain, je n'allais pas forcément bien mieux. Mon copain était toujours là et ils sont restés tous les deux pour moi. Ils ne se sont même pas pris la tête. Depuis deux semaines on est souvent tous les trois, ils font un effort, s'apprivoisent petit à petit. J'ai l'impression que ça va mieux de jour en jour. Je sais qu'ils resteront toujours un peu hostile l'un envers l'autre, juste par principe, mais je ne doute pas qu'ils finiront par s'entendre tout de même bien, dans quelques temps.

— T'es en manque d'amour ou tu veux juste me saouler ?

— J'ai un copain.

Mes yeux font des allers-retours de l'un à l'autre.

— Et où est-ce qu'il est alors ton copain ?

— En vacances à l'autre bout du pays.

— T'es en manque d'amour.

Je vais être obligée d'intervenir.

— Vous pouvez rester tranquille, s'il vous plait, et éviter de vous crêper le chignon ?

Ils se taisent tous les deux sans ajouter un mot. Au moins quand je leur demande ils s'arrêtent c'est déjà bien.

— Ça te va vraiment bien les cheveux au carré, t'es magnifique, commente Sandra.

Je détourne le regard et chuchote un merci. Je ne sais pas réagir quand on me fait des compliments, je suis très gênée. Je dois quand même avouer que je m'aime bien comme ça.

— Tu pourras plus te cacher derrière tes cheveux maintenant, annonce Sandra.

Elle n'a pas tort, je dois avouer qu'avant mes cheveux me faisaient sentir plus protégée, et j'avais tendance à me cacher dedans. Mais d'une certaine façon cela me permet de me sentir plus libre.

— Vous avez commencé à remplir vos vœux pour les formations dans les études ?

Je viens de détourner le sujet aussi rapidement que possible. Je ne veux plus penser au passé. Maintenant, tout ce que je souhaite c'est regarder devant moi et construire mon futur. Je ne vais pas rester dans le déni mais je pense qu'il est grand temps d'aller de l'avant et ne plus laisser le passé empiéter sur le présent et le futur.

— J'ai envoyé mes portfolios dans des écoles, depuis quelques mois.

Ca j'étais au courant. Sandra a déjà fait toutes les démarches pour toutes les écoles d'art du pays je pense. Elle a fait un travail monstre, elle m'impressionne.

— Toutes les licences de droit y sont passées.

— Que du droit ? s'étonne Sandra? T'as pas envie de faire autre chose ?

— J'ai mis des formations de gestion ou lettres mais je n'ai pas envie de faire ça. C'est mon plan B. Et puis tu peux parler t'as postulé que dans des écoles d'art.

— Non ! J'ai mis des licences de design, d'art, d'histoire et de psychologie au cas où.

D'après ce qu'elle m'a raconté c'est à cause de sa mère. Elle a préféré qu'elle ait plusieurs possibilités si jamais elle n'était pas prise dans une école d'art. Mais je crois bien que Sandra ne fera pas d'autres études que de l'art.

— Waouh ! Je t'applaudis !

Je m'assieds en ramenant mes genoux contre ma poitrine et les fixe en silence.

— Oh si tu pouvais te taire deux secondes !

— Vous devriez tous les deux arrêter de parler si c'est pour vous prendre la tête, ça serait parfait, j'ironise.

Les deux se tournent en même temps vers moi, étonnés que je dise ça. Je ne fais pas souvent ce genre d'humour.

— Elle prend du caractère, il faut faire gaffe, hein, se moque Sandra.

Je rigole et secoue la tête.

— Vous voulez pas qu'on sorte acheter des trucs pour ce soir ? propose Alwin.

J'avoue que nous n'avons rien de prévu alors qu'on doit faire à manger. Ma mère est chez Georges ce soir, par conséquent, Alwin et Sandra passent la soirée avec moi. Ma meilleure amie partira vers minuit. Elle ne voulait pas rester dormir si Alwin dormait ici aussi. Elle est persuadée qu'on ferait des choses dans son dos et refuse d'être là. J'ai beau avoir tout fait pour la convaincre, elle ne veut pas me croire.

— C'est une bonne idée.

Nous nous levons en même temps afin de se préparer pour sortir. Je pars dans l'entrée alors que Sandra récupère le contenu de son sac éparpillé un peu partout dans ma chambre.

— Il faudra qu'on choisisse un film aussi.

J'ai déjà peur de cette étape, je sens que ça va être la guerre. Aucun de nous trois n'a les mêmes goûts pour les films. Quand je suis avec Alwin on arrive souvent à faire un compromis mais avec Sandra dans l'équation ce sera plus compliqué cette fois.

— Ah ! Vous avez intérêt à ne pas vous toucher pendant le film, pas de bisous ou je ne sais quoi ! s'exclame-t-elle depuis l'autre bout de l'appartement.

Alwin me regarde avec un petit sourire amusé. Délicatement, il pose ses lèvres sur mon front avant de se décaler. Finalement Sandra nous rejoint.

— J'avais presque envie d'embrasser Thémis lorsque tu revenais juste pour t'énerver.

— Sans façon, merci.

Je soupire tout en riant et les entraîne à l'extérieur de l'appartement.

C'est ça qu'il me fallait depuis des années. Ces changements que j'ai connus ces derniers mois, j'en avais besoin, c'était vital pour me permettre de vivre. Et c'est bien ce que je compte faire à partir de maintenant. Vivre et ne plus survivre.

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant