Chapitre 24 - Sandra

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SANDRA

Assise à table, dans l'atelier où je fais mon stage, je repense à Thémis. Elle est étrange en ce moment, je ne saurais pas trop comment la décrire mais elle est loin de se comporter comme d'habitude. Elle me parait encore plus dans son monde mais tout en ayant le sourire. Il y a une lumière sur son visage que je n'avais jamais pu voir auparavant. Je ne sais pas trop ce qu'il se passe mais je suis sûre qu'il y a quelque chose.

Si ce n'était pas mon amie, la Thémis que je connais, j'aurais dit qu'elle avait rencontré une nouvelle personne, que ce soit juste une amie, ou même un garçon avec qui il se passe plus que de l'amitié.

— Tu penses à quoi comme ça en remuant tes pâtes ? D'ailleurs elles doivent être froides depuis le temps.

Je relève la tête et regarde Paul, le garçon qui a eu son diplôme il y a peu de temps dans l'école d'art où je veux, m'observer un rictus aux lèvres. Nous nous entendons parfaitement. Il m'a appris plein de choses que je ne savais pas et s'est même proposé pour m'aider à constituer mon dossier d'inscription auquel je dois joindre certaines de mes œuvres.

— Rien qui mérite que je t'embête avec mes histoires.

Il me sourit chaleureusement et secoue la tête.

— Si je te demande c'est certainement car ça ne me pose aucun problème d'écouter ce qui ne va pas.

— C'est juste que j'ai une amie qui n'est pas pareille que d'habitude.

— Hum, comment ?

— Joyeuse, pensive, plus souriante. J'aurais bien soupçonné un amour caché mais ça ne colle pas. Elle... Son père n'était pas exemplaire et elle est très très introvertie.

— Je ne sais pas trop quoi te dire. Peut-être qu'il y a un événement qui l'a rendue heureuse dans sa vie.

Je hausse les épaules. Je n'arrive pas à savoir et je ne peux pas m'empêcher de m'inquiéter pour elle. Je ne devrais pas car elle est heureuse mais je ne peux pas lutter contre mon instinct qui me crie que quelque chose cloche.

Je me reconcentre sur mon repas et porte une fourchette de pâtes à ma bouche. Effectivement elles sont gelées.

— Passe je vais te les faire réchauffer.

Je souris à Paul qui récupère mon assiette pour la déposer dans le micro-ondes. Il revient et s'installe en face de moi. Son sourire est craquant. Je suis consciente qu'il est plus vieux que moi de quelques années. Malgré tout, entre nous il y a eu ce genre de coup de foudre. Nous nous sommes immédiatement bien entendus, le courant passe plus que bien. C'est comme si on s'était toujours connus.

— T'es libre ce soir ? Ou une autre fois, quand tu peux ?

Mon cœur rate un battement et je le fixe, la parole coupée.

— Je...

Je déglutis, attrape ma bouteille d'eau et boit un coup avant de lui répondre.

— Oui je suis libre ce soir. Je suis même tout le temps dispo en ce moment.

— Bien sûr ! J'avais oublié que t'étais en vacances. Super. Donc est-ce que ça te dirait qu'on se fasse un truc ce soir ?

Je contiens l'euphorie qui envahit mon corps.

— Ça m'irait parfaitement. Qu'est-ce que tu veux...

— Il y a un film au cinéma que j'aimerais bien voir. Mais je ne veux pas y aller seul et qu'on me prenne pour un pauvre type.

Nous pouffons en même temps.

— Alors très bien, on ira voir ce film.

☾ ☾ ☾ ☾ ☾

Mon portable sonne affichant le numéro de Thémis alors que j'attends Paul devant le cinéma, emmitouflée dans mon manteau d'hiver. Je décroche à l'appel, une boule au ventre. Chaque fois j'ai peur dès que je reçois un appel d'elle le soir ou dès que ma mère reçoit un appel de celle de ma meilleure amie. Je me souviens très bien de cet appel glaçant qu'on avait reçu il y a deux ans. Le soir où le géniteur de Thémis avait encore plus dérapé.

— Sandra ? J'ai besoin d'aide.

Mon cœur s'accélère et je sens mes bras se liquéfier. J'essaye de contrôler mon souffle qui vient de légèrement s'accélérer sous la peur. Je ne pense même plus à Paul, la seule sensation qui me reste est de l'inquiétude.

— Est-ce que tout va bien ?

— Oui, oui tout va bien. T'es chez ton père ou ta mère ce soir ? J'ai juste besoin que tu lui dises qu'on est ensemble cette nuit. C'est au cas où ma mère appellerait pour une raison ou une autre.

Je fronce les sourcils. Qu'est-ce qu'elle me demande de faire ? Je sens qu'il y a quelque chose d'étrange ?

— Je suis chez mon père. Attends, c'est quoi l'embrouille ? Pourquoi tu me demandes ça ?

— Chez ton père. C'est encore mieux comme ça...

— Pourquoi, Thémis ?

— Je dois aller faire quelque chose.

— Quoi donc ?

Je l'entends soupirer. Je déteste cette situation. Je ne suis même plus sûre de la reconnaître. Elle me paraît un peu agitée mais pas négativement. Je ressens plus une sorte d'excitation, d'euphorie.

— Chez ma psy. J'ai besoin d'aller la voir, mais je ne veux pas que ma mère s'inquiète. Tu es chez ton père alors il n'y a pas besoin de prévenir ta mère alors car la mienne ne connais pas ton père.

— Tu dormiras où ?

— Chez elle.

Je ne crois pas un mot à ce qu'elle m'a dit. Ça me paraît bien trop étrange, trop tordu. Ce n'est pas cohérent.

— Thémis. Tu me mens. Dis moi la vérité. Qu'est ce que tu vas faire en pleine nuit en dehors de chez toi ?

Elle ne répond pas et je n'entends que sa respiration.

— Je n'ai aucune idée de ce qu'il se passe mais qu'est-ce que tu me caches ?

— Rien du tout. Fais moi confiance, j'ai juste besoin d'aller lui parler.

Je fouille dans les moindres recoins de mon cerveau pour essayer de comprendre ce qu'il se passe mais je n'arrive pas à réfléchir, tout va trop vite.

— Je veux savoir...

Je reste pensive, elle ne peut pas avoir rencontré... et si... L'idée qui vient de germer de mon esprit s'impose à moi. Non. Ce n'est pas possible. C'est tout sauf ça. Il faut vraiment que j'arrête de laisser mon imagination dériver à ce point. Thémis n'aurait pas fait ça, elle fait attention et jamais elle n'aurait été capable d'aller le voir. Encore moins lui, le nouveau.

Par contre, si elle avait croisé quelqu'un chez sa psy ? Cela expliquerait ce qu'elle m'a sorti comme excuse. Ce n'est qu'un demi-mensonge.

— Je te raconterai tout en personne. C'est juste les souvenirs. Ce soir c'est...

— Ok, ok. Je te crois. Je te couvre. De toute façon, aucun de mes parents ne savent que je dois passer la soirée avec Paul. Ils savent juste que je suis sortie.

— Merci beaucoup. Passe une excellente soirée avec ton Apollon.

Je ne peux pas m'empêcher de retenir un gloussement à cause de ses habituelles références à la mythologie. Enfin, je lui souhaite également une bonne soirée comme si de rien n'était et raccroche. Je sais très bien qu'elle a pondu un mensonge.

Je pense qu'elle est allée voir un garçon ou une fille qu'elle a croisé. Quelqu'un comme elle, qui a eu des problèmes et la comprend mieux que quiconque, quelqu'un avec qui elle est devenue amie ou peut être même plus. Si c'est le cas, je suis vraiment heureuse pour elle. J'aimerais juste qu'elle m'en parle. Pourquoi ne me ferait-elle pas confiance ?

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant