De ce que je vois Alwin vit vraiment seul, je balaie des yeux ce qui se présente devant moi. Nous pénétrons dans la cuisine-salon-salle-à-manger. C'est petit mais ne le paraît pas, ainsi aménagé de façon chaleureuse. J'aperçois une porte légèrement ouverte, un grand lit se trouve dans cette pièce. Sa chambre. J'aurais imaginé une décoration plus basique, moins élaborée mais tout est lumineux, du blanc et du bois. Mais la pièce parait presque impersonnelle, il n'y a aucune décoration, aucune photo.
D'un geste, Alwin m'invite à m'asseoir sur le canapé exiguë. On reste en silence, il fait les cent pas en se passant la main plusieurs fois sur le visage et dans ses cheveux. J'ai presque envie de le faire à sa place, perdre ma main dans ses mèches. Il est affolé, agité et semble plus que jamais perdu.
- Je suis trop nerveux. Dès que quelque chose m'énerve j'ai envie de tout frapper, surtout la personne en face de moi. J'ai fait de la prison.
Je ne pipe mot assise dans ce sofa, il est en train de s'ouvrir à moi, de son plein gré. J'essaye même de ne pas respirer afin de ne faire aucun bruit.
- J'aurais dû faire bien plus longtemps que ce que j'ai fait. Mais je suis sorti des barreaux pour avoir une bonne conduite. J'ai pété un câble, bien trop fort. Ce que tu as vu n'était rien. Le gars que j'allais frapper était un sale pourri gâté. Il était en train de se plaindre comme quoi sa mère ne voulait pas qu'il déménage à dix huit ans et lui payer un logement. Je l'ai repris, il n'a pas à se plaindre de ça, il s'est déjà fait nourrir, blanchir, loger pendant presque deux décennies. S'il voulait prendre son indépendance alors il n'avait qu'à le faire complètement.
Il s'arrête de marcher et lève la tête vers moi. D'un hochement de tête je l'invite à continuer. J'ai envie de me lever et de briser la distance entre nous mais j'ai peur que ça le stoppe, qu'il se referme immédiatement.
- Il m'a répondu que ma mère m'avait sûrement abandonné au vu de la réputation de "fou dangereux" que j'ai. J'ai eu envie de le massacrer au fur à mesure qu'on se lançait des insultes.
- Il ne mérite pas que tu lui portes de l'attention.
- Sauf que le problème c'est que c'est pas rien ce qu'il a dit. Ma mère... ma mère... elle est... morte.
Je retiens une grimace d'étonnement. Je sens tout de même très bien ma bouche que tordre en un O parfait. Mais avant que je dise quelque chose je remarque qu'il a plus à me dire, ceci n'est qu'une des nombreuses casseroles qu'il traîne. Je sens qu'il y a bien pire. Son visage accueille une expression blessée comme je ne l'ai jamais vu.
- C'est... c'est... moi. Moi qui... Je l'ai tuée...
Oh Zeus. Je me prends une énorme claque. Je ne peux pas croire les mots qu'il prononce. C'était forcément un accident. N'est ce pas ? Soudain, je le vois sous un autre angle et j'ai l'impression de devenir une proie. Je me retiens de m'enfoncer dans le canapé. Je revois mon père prêt à tuer ma mère.
- C'était un jour, cela faisait quelques semaines que je ne m'entendais plus avec ma mère. Je ne savais pas ce qu'elle faisait mais ma petite sœur, Martha, était délaissée. Mon père s'acharnait au travail pour pouvoir nous nourrir. On ne le voyait presque plus, il faisait toujours plus d'heures supplémentaires. Et ma mère... Ma mère était je ne sais où, jamais là mais ce n'était pas pour travailler.
Son soupir résonne dans la pièce tandis qu'il se passe les mains sur son visage. Ses membres supérieurs tremblent, je n'arrive pas à savoir si c'est de l'anxiété, de la peur ou bien de la colère.
- On habitait en campagne, nos parents devaient nous emmener en voiture. Du moins à la base c'était ma mère qui s'en chargeait. Martha a commencé à être oubliée à son collège. Sans qu'elle ne le demande tous ses plans tombaient petit à petit à l'eau car ma mère ne l'emmenait plus à la piscine pour ses cours de natation. Elle était douée, elle faisait de la compétition, sauf que ça a dû s'arrêter à cause de ma mère.
Je l'observe, mon cerveau se pose des milliers de questions, il est en train de réfléchir bien trop vite. J'essaye d'assimiler toutes les informations qu'il me confie.
- Je me suis mis à m'occuper d'elle quand personne ne le faisait, ainsi que tout le reste. Je faisais à manger, allait faire les courses, m'occupais de plein de trucs que ma mère était censée faire. Ou bien mon père s'il n'avait pas à travailler comme un dingue. Je devais élever ma sœur, m'occuper de toute la maison.
Il prend une grande inspiration, ses pas résonnent sur le parquet. Je sens sa peine au fond de lui et je regrette presque la peur que j'ai ressenti quelques secondes avant.
- Un jour j'en ai eu marre. Nos vies étaient en train de partir en l'air. Elle commençait à être plus brusque, violente. Alors j'ai crié et hurlé bien plus fort que d'habitude. J'ai menacé ma mère de s'occuper de nous ou sinon j'irais la dénoncer aux services sociaux. Je le pensais réellement, plus rien n'allait. Mais ma mère a été encore plus violente, verbalement, elle m'a traité de tous les noms, j'étais un incapable d'après elle. Et ma colère a encore augmenté, j'ai redoublé d'effort pour lui faire prendre conscience de ce qui n'allait pas. En vain. Elle a commencé à lever la main sur moi.
Un frisson me transperce en entendant cela. Nous avons un tout petit bout de notre vie en commun. Alwin continu, légèrement plus calme qu'avant.
- Heureusement pour moi j'étais plus grand, plus fort qu'elle. Je n'ai pas eu à faire de grands efforts pour l'empêcher de me bloquer. Martha m'a soutenu, a confirmé tout ce que je disais. Ma mère est rentrée dans une espèce de transe qui était effrayante.
Mon cœur bat trop vite. Son histoire me chamboule, c'est bien trop touchant. Mais j'essaye de garder mon souffle, de rester concentrée sur la garçon devant moi et pas mes propres souvenirs, de ma propre expérience qui reviennent et refont surface trop violemment. En observant Alwin, je vois ses yeux briller à cause des larmes qui s'accumulent aux coins. Je chasse une larme qui coule le long de ma joue, le voir ainsi c'est douloureux, entendre son histoire aussi.
- Je n'arrivais pas à comprendre ce qu'il se passait. Mais la personne devant moi n'était plus ma mère. J'ai reçu un coup dans le nez en essayant de séparer Martha et ma mère car je sentais que cela allait bientôt dégénérer. Alors elle s'est arrêtée et a commencé à dire qu'on était les pires enfants du monde, qu'on n'en avait rien à faire d'elle, on ne l'aimait pas. Avec ma sœur on a rétorqué, on a dit tout ce qu'on pensait d'elle sur la manière dont elle se comportait.
J'entends un reniflement et rapidement il passe sa main sur ma joue, élevant une larme qui s'échappe de son œil. La voix tremblante il termine son histoire.
- Quelques jours plus tard, elle a été retrouvée au fond d'un ravin dans sa voiture. Un inconnu l'a trouvé, il a appelé les pompiers qui l'ont prise en charge. Son état était plus que instable.
Je n'ai plus les mots face à sa situation. Comment c'est possible ? Comment il a pu vivre quelque chose d'aussi affreux ?
- Plusieurs heures après, les médecins ont prononcé sa mort. On a appris par la suite qu'elle avait fait exprès de foncer dans ce gouffre. Et également qu'elle avait des maladies psychiatriques. Elle s'est jeté dans ce ravin à cause de nous car elle se sentait délaissée, seule. Parce que j'en suis arrivé à l'harceler chaque jour quant au fait qu'elle faisait n'importe quoi elle s'est enlevé la vie. C'est à cause de moi tout ça, Thémis.
Je le fixe bouche bée. Je me lève, j'hésite à m'approcher de lui. J'ai peur de le troubler, de me faire rejeter. Je le fais tout de même.
- Tu ne l'as pas tuée.
On échange un regard et j'espère le mien rassurant face à la détresse dans ses yeux remplis de larmes.
- Je suis si désolée, je complète.
Un unique soupir de désespoir passe ses lèvres.
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Cicatrices Lunaires
RomanceRomance ********* Etant très introvertie, Thémis, se réfugie dans sa passion pour la mythologie et ses livres. Elle ne parle qu'avec une toute petite poignée de gens : Sandra sa meilleure amie, sa mère, son professeur de Grec et Irène sa psychothéra...