Chapitre 46

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Ma mère ne m'adresse à peine la parole. Elle n'est pas souvent à la maison et nous nous évitons. C'est tout l'inverse de d'habitude. Nous ne mangeons pas ensemble. Nous faisons chacune notre vie de notre côté. J'ouvre le frigo et attrape les restes pour pouvoir les réchauffer et les manger. Je n'aime de moins en moins la situation. Sandra ne me parle plus. Maintenant c'est Maman. Je ne peux m'empêcher d'être en colère contre les deux.

J'entends des bruits de pas derrière moi. Je me retourne et regarde ma génitrice arriver dans la cuisine.

— Tu manges quoi ? Si ce sont les tomates farcies tu devrais ajouter un peu de sel. Je n'en ai pas mis assez.

— Tu me parles ?

Je regrette immédiatement mes paroles. C'est sorti tout seul de ma bouche. Je n'ai pas pu m'en empêcher. Mais c'est ce que je pense. Elle me pose une question banale. Comme si ces derniers jours elle n'avait pas restreint ses mots à mon intention à de simples "y'a une assiette de restes dans le frigo" ou bien "tu feras la vaisselle je n'ai pas le temps". Ça n'avait jamais été comme ça entre nous. On s'est toujours serré les coudes. On s'est toujours supportées. On a toujours dû survivre et s'entraider toutes les deux. Maintenant on a une relation tendue.

Je n'ai aucune idée de comment gérer ça. C'est quelque chose d'inconnu pour moi. Pour être honnête, jamais avant je ne m'étais disputée avec quelqu'un. Alors deux en peu de jours c'est déstabilisant pour moi. Je sais que tous les jours des filles qui ont mon âge se prennent la tête avec leur parent alors normalement ça devrait être gérable. Je ne dois pas être la seule fille à avoir caché une relation.

— Thémis... Ne me parle pas comme ça.

— C'est la première fois que tu m'adresses vraiment la parole. Je suis juste étonnée que tu veux bien me parler de nouveau.

Elle soupire et s'appuie sur le plan de travail à côté de moi.

— Ecoute, cette histoire avec ce garçon...

— Je m'en fiche de ce que tu penses, je suis désolée de te le dire comme ça mais c'est le cas.

Je ne veux pas paraître violente J'essaye de prendre un ton calme et posé.

— J'avais bien compris ça.

Silence.

J'ai besoin de tout lui dire de ce que je ressens.

— Tu aurais pu juste essayer de me comprendre mais non, tu ne l'as pas fait. Tu as juste nié tout en bloc. T'es restée bloquée sur ton image bien particulière que t'as de lui. Alors que je suis la mieux placée pour savoir ce qu'il avait.

— Il...

— Non, laisse moi terminer.

Je prends une inspiration avant de continuer ma tirade.

— Sandra ne me parle plus pour les mêmes raisons que toi. J'en ai marre qu'on me laisse comme ça parce que je sors avec un garçon que j'aime mais pas vous.

— Je suis désolée je ne savais pas pour Sandra.

— Je l'aime sincèrement. Je suis heureuse avec lui. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous me faites la tête pour ces raisons. Le fait que je sois plus heureuse et épanouie que jamais avec lui ne vous convainc pas un tout petit peu ? J'aurais juste aimé que vous soyez contentes pour moi car je le suis. Vous savez très bien ce que j'ai vécu alors pourquoi vous ne vous réjouissez pas du fait que j'ai trouvé quelqu'un qui me rende de nouveau heureuse après tout ce temps ? C'est ça le pire dans cette histoire, c'est ça que je ne comprends pas.

— On se fait du souci pour toi. Si Sandra pense aussi ça c'est que...

— Non ! Vous pensez absolument tous ça car vous ne connaissez que les rumeurs. Mais qu'est-ce qu'il a vécu ? Quelle a été sa vie ? Pourquoi a-t-il été en prison ? Quand quelqu'un sera capable de me donner la réponse exacte à ces trois questions alors peut-être que là je pourrais me poser des questions. En attendant, je suis la seule à le connaître personnellement. Je suis sûrement la mieux placée pour confirmer le fait qu'il n'est en rien comme mon géniteur.

Je récupère la nourriture dans le micro-ondes, attrape des couverts dans un tiroir et repars dans le salon pour manger.

— Thémis...

— Et les réponses aux questions : sa mère est morte, elle s'est jetée dans un ravin car elle était malade, elle souffrait d'un tas de maladies psychiatriques. Alwin s'est occupé de sa sœur quasiment seul avant que ça arrive car leur mère n'était jamais là. Une fois, elle a levé la main sur eux alors qu'ils étaient en train de se disputer. Il est allée en prison parce qu'il s'est battu avec son meilleur ami et qu'il a perdu le contrôle car il était à bout à cause de ce qu'il s'était passé.

Ma mère reste bouche bée. Je regarde le plat devant moi. Je n'en veux plus, maintenant. Je me lève.

— Tu peux manger mes tomates. Je n'ai plus faim.

Je pars dans ma chambre récupérer des affaires. Finalement je sors dehors, laissant ma mère seule.

Je viens de lui dire tout ce que j'avais sur le cœur. Je ne sais pas si j'ai empiré les choses ou pas. Mais étonnement malgré tout ce que j'ai pu dire, d'une manière plus ou moins sèche je me sens mieux que jamais. Je me sens libre. C'est bien la première fois que je me suis libérée de ma parole, que j'ai présenté tout ce que j'avais à dire. Le seul endroit où je le fais c'est chez ma psychologue. Sauf que ce n'est en rien la même chose.

Je laisse mes jambes me porter. Je ne sais pas où aller. Je pourrais aller voir Alwin mais je n'ai pas envie de l'embêter. Je ne peux pas me rendre chez Sandra pour des raisons évidentes. J'ai essayé de lui parler l'autre jour. Mais le résultat est toujours le même : elle ne veut pas me voir, elle part sans m'adresser la parole.

Je n'ai pas envie de rentrer chez moi et revoir ma mère, je ne veux pas être là alors qu'elle y est. Je n'ai pas tant le choix que ça. Je peux toujours demander à Alwin de m'accueillir. Je passe tout mon temps libre chez lui, il faudrait que je le laisse un peu tranquille. Je rentrerai plus tard voilà tout. En attendant je vais me balader jusqu'à ce que j'en ai assez marre pour retourner chez moi.

Je marche jusqu'à me rendre à la bibliothèque. Je vais trouver un livre et passer mon après-midi ici, ce sera parfait. Je fouille dans les rayons et déniche un exemplaire de Antigone et me mets dans le coin réservé à la lecture. Je jette un coup d'œil à mon portable avant. Peut-être par instinct, je n'en sais rien. Je fais bien car justement se trouve un message de ma mère.

[De Maman : J'entends ce que tu m'as dit, on en parlera plus tard. Tu peux rentrer à la maison quand tu veux. Je ne serai pas là jusqu'à demain matin.]

[A Maman : Ok.]

Je repose mon portable. Je ne veux pas parler de ça par message. J'aurais trop de choses à dire, trop de choses sur lesquelles m'étaler.

Tout ce dont j'aurais besoin maintenant est qu'on me comprenne. Je veux uniquement qu'on soit heureux pour moi car je le suis.

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant