Chapitre 11

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- Vous le savez tous, un bon nombre de dieux on plusieurs femmes, de toute espèce, humaine ou divine. On a même des personnages qui sont zoophiles !

Tout le monde rigole. Voilà ce que j'adore dans ces cours. Monsieur Leroux arrive à nous captiver en sachant parfaitement compter des histoires et narrer son cours. Il met même une touche d'humour, fait des blagues et arrive à créer quelque chose de captivant. Je m'estime chanceuse de l'avoir en tant que professeur de spécialité et d'option. Apparemment la nouvelle professeure est bien plus platonique. Ses cours étaient intéressants mais bien plus scolaires tandis que cette année il y a cette magie que possède notre prof en plus.

- Enfin, ils étaient de vrais tombeurs.

J'ai le sourire. Je suis détendue du précédent cours que l'on a eu. Notre professeur d'anglais était furieux à cause d'une classe de seconde qui l'a énervé et tout est retombé sur nous, pendant toute l'heure l'ambiance était tendue et me mettait vraiment mal à l'aise.

- Comme vous monsieur !

Les rires reprennent de plus belle. La personne qui a dit ça vient de créer un fou rire général qui touche même le prof qui a sa tête entre ses mains et ses coudes posés sur le bureau. Il rit sans pouvoir s'arrêter. Une fois le calme très légèrement revenu il reprends son sérieux tout en gardant un grand sourire.

- Vous êtes irrattrapables.

Il regarde sa main gauche et la lève en l'air en haussant les épaules.

- C'est adorable et pourtant je ne suis pas marié.

- Vous êtes jeune et vous dépassez Apollon, vous allez vite trouver quelqu'un.

Je pouffe comme mes camarades. Entendre quelqu'un comparer notre professeur à Apollon est plutôt amusant, il est censé n'être dépassé par personne

- J'ai quarante-huit ans alors non je ne le pense pas. Je n'ai pas non plus de lyre d'or ou d'arc d'argent. J'ai déjà été marié et une fois ça suffit parfaitement. Rien que pour la belle-famille ne vous mettez pas en couple, conseil d'ami.

- Vous avez divorcé ?

Il sourit puis secoue la tête avant de s'appuyer sur le tableau blanc derrière lui.

- Allez, c'est parti on va parler de ma vie, je vous connais vous allez tout vouloir savoir. On était pareil à votre âge.

Il soupire et balaie la classe du regard.

- Je suis veuf depuis longtemps.

Un silence complet se fait. L'ambiance devient tout de suite plus lourde. Puis d'un coup le rire du prof retentit.

- C'est quoi ces têtes ? Vous avez posé la question et bien je réponds, il faut assumer quand on s'engage sur un terrain glissant. Et je suis grand, ça fait également un peu plus de quinze ans que j'ai perdu ma femme alors ne vous inquiétez pas pour moi.

- Vous n'êtes pas triste ?

Il secoue la tête avec un petit sourire mélancolique.

- Pourquoi je serais triste alors que j'ai passé les meilleures années de ma vie avec elle ? Vous savez tout n'est pas tout noir ni tout blanc. Bien sûr que j'aimerais la revoir mais ça ne sert à rien de se concentrer sur le passé car je ne pourrais rien changer. Je suis triste dans le sens où je voudrais bien 'lavoir toujours avec moi, à mes côtés. Mais le temps est passé et les cicatrices s'estompent.

Des sifflements commencent à fuser dans la classe. Je ris en voyant la tête désespérée mais amusée de notre professeur. Mon oreille intercepte des bribes d'exclamations dans les airs "quel grand romantique !", "un vrai philosophe" et d'autres dans le même genre, me décrochant un sourire.

Je souris en pensant à ce que monsieur Leroux vient de dire. C'est vrai que c'est philosophique, mais je trouve que ces paroles sont très belles. J'aimerais tellement pouvoir positiver autant que lui, ce serait génial.

- Vous êtes un grand sage !

- T'as vu j'ai même la barbe qui va avec, ironise-t-il en passant sa main sur son menton dépourvu de pilosité, il ne me manque que la cane !

Nouveau rire dans la salle. Je souris de toutes mes dents et balaie la pièce du regard. Mes yeux accrochent à ceux d'Alwin pendant quelques secondes - son visage est décoré de la même expression joyeuse que moi - puis continuent leur chemin. Tout le monde est en train de rire ou de sourire. Je me sens bien à cet instant.

J'oublie tout et je ne suis que dans l'instant présent. Ce professeur est vraiment le meilleur que l'on puisse trouver. Je ne me répéterai jamais assez. Il a cette magie qui fait qu'il est hypnotisant, il captive et personne ne se déconcentre. Chaque élève assistant à ses cours boivent ses paroles.

- C'est impossible de rester sérieux avec ces phénomènes que vous êtes, rigole-t-il.

- Vous aviez le choix d'éviter le sujet !

Monsieur Leroux soupire de désespoir mais en gardant son air amusé.

- Tu viens juste de prouver ce que je disais. J'assume que je ne suis pas forcement mieux, mais dans votre classe vous êtes des pros pour changer de sujet et toujours plaisanter.

Il finit par se retourner vers l'horloge qui est accrochée sur le mur. En effet il ne reste que cinq minutes de cours.

- Bon, on fait quoi ? On continue le cours ou on discute encore pendant cinq minutes ?

Il fronce les sourcils et regarde ses feuilles éparpillées sur son bureau.

- Je ne sais même plus de quoi je parlais avec ces bêtises. On parlait des dieux mais je ne sais plus comment on a réussi à dévier sur ce sujet.

Dans une moue de réflexion il parcourt ses cours puis finit par les refermer.

- Vous savez quoi ? On continuera ça au prochain cours. Il ne reste plus beaucoup de temps et je pense que vous êtes bien trop déconcentrés pour réussir à vous remettre à travailler.

Le professeur range ses affaires dans son sac comme tout le monde le fait puis il s'appuie au bureau pour nous regarder.

- Vous avez vu qu'il y a les réunions parents profs qui ont ouvert ? Si vous parents le veulent ils peuvent prendre rendez-vous en ligne.

- Vous êtes là à la réunion ?, demande une élève dans la salle.

- Oui, c'est pour ça que je vous en parle. Ça sera mardi soir. Franchement je trouve ça à la limite du ridicule en terminale. Vous êtes presque adultes et on vous propose toujours des réunions pour que vos parents et vos profs puissent discuter ensemble de vos résultats comme on le fait pour des collégiens.

C'est vrai que je n'avais jamais vu ces réunions de ce point de vue. Quand on pense au fait que nous avons bientôt dix-huit ans - sauf pour les quelques-uns nés en fin d'année - c'est assez bizarre. Je sais déjà que ma mère va vouloir prendre rendez-vous avec monsieur Leroux mais aussi avec ma professeure de philosophie et celles de physique-chimie et SVT. L'année dernière elle a déjà fait ça.

Depuis qu'il n'y a plus mon géniteur elle veut toujours rencontrer mes professeurs de spécialités pour vois comment je m'intègre et comment je me comporte. Elle veut voir également mes professeures d'enseignements scientifiques pour parler avec elles de mes lacunes qui sont persistantes. Pour ma part j'en ai un peu honte. Je sais déjà ce qu'il va se dire et cela ne pourra pas changer grand-chose. Je suis dans des sables mouvants avec ces matières, plus le temps passe et plus je m'enfonce. Il me faudrait un miracle.

J'ai déjà peur de voir ma mère revenir après la réunion. Ce ne sera pas que glorieux. J'espère qu'elle verra monsieur Leroux ou madame Grenier - ma professeure de philosophie et professeure principale - en dernier pour calmer le jeu. Même si cette dernière n'est pas aussi sympathique et chaleureuse que mon prof de grec, je sais qu'elle dira du bien de moi sauf peut-être au niveau de l'intégration.

Passons, rien ne sert de se prendre la tête avec tout ça, je ne contrôle pas la situation et c'est déjà trop tard pour rattraper quoi que ce soit alors autant attendre sans me prendre la tête. Et puis je sais très bien que jamais ma mère ne me disputerait et crierait, elle voudra au pire des cas avoir une discussion sérieuse avec moi. 

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant