Chapitre 48

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— Alors, qu'est-ce que tu veux me raconter de nouveau aujourd'hui ?

J'hésite longuement en regardant de temps en temps mon docteur en face de moi. Ce n'est pas que je n'ose pas me lancer. C'est juste que je ne sais pas comment tout lui expliquer. Je n'ai aucune idée des mots justes pour exprimer ce que j'ai sur le cœur. Je sais que Irène est prête à m'écouter mais si je ne parviens pas à être claire elle ne pourra pas vraiment m'aider. Je prends finalement une inspiration et me lance.

— Tout va mal.

Un air étonné s'empare de son visage et elle se penche en avant dans ma direction, signe qu'elle est prête à m'écouter. Je me rappelle des premiers temps où on avait ces séances de psychologie. C'était plus formel, elle ne se laissait pas beaucoup transmettre d'émotions. Je parlais, elle m'écoutait et m'aidait à dire ce que je ressentais. Elle me proposait des solutions à mes problèmes. Tout le travail normal d'un psychologue. Maintenant c'est devenu différent. Je ne sais pas si c'est Irène qui a évolué dans son métier ou si c'est parce que maintenant on se connait depuis plus longtemps. Tout est différent, plus chaleureux. Je ressens plus cette sensation de parler avec quelqu'un à mon écoute que de parler spécifiquement avec un professionnel censé m'aider. Je peux voir ses émotions, elle est plus expressive, elle arrive même à me faire rire.

— Tout ? Il n'y a rien de positif à tirer de cette semaine ?

Je réfléchis en vain. Je crois qu'il n'y a rien eu d'intéressant qui donne le sourire.

— Rien.

— Alors qu'est-ce qui va mal ?

— Je me sens seule. Je suis seule.

Je baisse la tête et sens les larmes me monter aux yeux. Jamais je n'ai été aussi honnête. En le disant à voix haute je prends conscience de la réalité des choses. Ça me frappe si fort que je sens mon cœur se serrer. Je me sens affreusement seule et c'est une sensation affreuse.

— Qu'est-ce qui te fait dire ?

Je me ferme les yeux et sens une larme tomber.

— Ça ne s'est pas arrangé avec Sandra. J'ai parlé de ma relation avec Alwin à ma mère et depuis on ne s'entend plus aussi bien. Elle estime que ce n'est pas quelqu'un de bien pour moi.

— Tu lui as expliqué ce que tu ressentais, comment tu voyais la situation ?

Je hoche la tête et cherche autour de moi la boite de mouchoir. Irène me la tend et j'en attrape un pour essuyer mes yeux.

— Oui. Ça s'est un peu arrangé depuis. Pas de grand chose. J'aimerais juste qu'elle me comprenne.

Inconsciemment je passe mes doigts sur la coupure sur ma joue. Elle ne me fait plus mal. Ma mère m'a soigné alors que je lui ai expliqué que c'était un éclat d'un verre que j'avais cassé qui avait tranché ma joue. On n'est pas si loin de la vérité.

— Avec le temps, tu ne penses pas qu'elle acceptera la situation ?

Je hausse les épaules. Sûrement que si. Ce serait mentir de dire que tout le reste de ma vie ma mère m'en voudra.

— Elle le fera mais jamais elle ne sera totalement d'accord. Pour l'instant elle est obligée "d'accepter" le situation.

Je forme des guillemets avec mes doigts. Elle ne l'accepte pas mais la subit. Je ne lui en laisse pas le choix. Je ne sais pas si ça fait de moi quelqu'un de mauvais ou pas. Peut-être que je devrais l'écouter, la rassurer. A la place je lui tiens tête, je considère que j'ai entièrement raison mais peut-être que ce n'est pas le cas.

— Et Alwin il pense quoi de la situation ?

Je baisse la tête. Je ne lui en ai pas parlé. Je ne veux pas qu'il culpabilise. On ne s'est pas vu depuis ce week-end. On n'a pas parlé de ce qu'il s'est passé. On ne s'est tout simplement pas adressé la parole. J'ai bien vu qu'il avait essayé de venir me voir, discrètement, au lycée. Mais je l'ai évité.

— On s'est disputés. Et il ne le sait pas pour ma mère et moi.

— Tu veux parler de ce qu'il s'est passé ?

Après quelques secondes de silence et un reniflement je lui explique la situation, je lui raconte ce qui est arrivé. Irène m'écoute attentivement, sans me couper.

— Je déteste le fait que ça donne en partie raison à ma mère.

— Tu penses qu'il a cherché à te faire du mal.

J'écarquille les yeux et secoue la tête. Non. Jamais je ne penserai à ça. Je sais qu'il ne l'a pas forcément fait exprès.

— Je ne pense pas. Mais il a des excès de violence et ça même lui le dit. Je ne voulais pas l'entendre. Sauf que maintenant que j'en ai été témoin, c'est différent.

— Vous faites encore connaissance. C'est là que les relations changent. Ce n'est pas facile. Mais c'est ça qui va vous montrer si vous êtes fait pour être ensemble.

J'observe ma psychologue. Sur son visage je ne vois plus ce médecin qu'elle est mais une mère, une confidente. Elle a rapproché sa chaise et s'est avancée vers moi.

— J'ai peur.

Les mots sont sortis tout seuls, sans que j'y pense.

— De lui ?

— De la situation. Je panique dès que je me dispute avec quelqu'un et c'est le cas avec les trois seules personnes dont je suis proche. Je ne sais pas comment m'en sortir.

— Je vois. C'est normal. Mais tu vas t'en sortir.

Je lui souris doucement.

— Tout l'équilibre que j'avais réussi à trouver s'est brisé en même temps. Il n'y a plus rien d'intact. Tout était plus simple avant.

— Avant quand ?

Je m'apprête à répondre mais ne trouve pas la réponse. Avant que Sandra découvre ma relation et que ma mère soit au courant ? Non, je devais me cacher et ce n'était pas simple. Avant que je rencontre Alwin ? Non plus. Tout n'était pas plus simple car je n'étais pas aussi épanouie et que mes souvenirs me poursuivaient sans arrêt. Bien plus que maintenant.

— Avant rien, je soupire.

— Tu ne penses pas que tu devrais essayer de reparler à Sandra ?

Elle me manque. J'ai envie de lui expliquer mes raisons. Mais elle ne voulait pas me parler ces derniers temps.

— J'ai peur qu'elle me rejette encore plus.

— Mais si tu n'essaies pas, rien ne changera. Tu as peur qu'elle te laisse mais peut-être que si tu essayais ça marcherait. Là ça vaudrait le coup. Qu'est-ce qu'il peut bien arriver de pire ?

— Rien.

Irène vient de prononcer les mots que j'ai sortis à Alwin pour le convaincre de contacter sa famille. Je prends conscience de la situation. J'attends désespérément que Sandra revienne vers moi mais c'est à moi d'aller vers elle. Maintenant que j'ai laissé le temps passer c'est à moi d'aller la voir. Je lui dois des explications. Je dois tout lui raconter. Je lui ai fait du mal et la seule manière de réparer ça c'est de faire un pas vers elle.

Cicatrices LunairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant