Aina [Embry Call]

Carnet 3 : Partie 4

Petite Laoghaire rythme la vie de la troupe depuis sa naissance. Tout le monde est aux petits soins avec elle. Tout le monde l'aime profondément. Je sais que parmi ces gens, elle a une famille aimante, et ça me déleste d'un poids. Même si je l'aime très profondément moi aussi, je ne suis toujours pas certaine d'avoir suffisamment d'amour dans mon cœur pour pouvoir la contenter.

Je culpabilise toujours beaucoup à ce sujet, mais je n'y peux rien. J'ai subi trop d'épreuves en si peu de temps. J'ai parfois l'impression d'être brisée, et j'ignore si je parviendrais à recoller les morceaux. J'essaie, en tout cas.

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Page arrachée

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Je ne réalise toujours pas ce qui a bien su se passer. L'image de ma fille, inanimée, hante mon esprit. Quand je ferme les yeux, je la vois. Et quand je les ouvre, l'illusion ne se dissipe pas. Comment trouver la paix ainsi ?

Ce qui est arrivé à mon enfant est incompréhensible. Je sais que ça peut parfois arriver, qu'un enfant apparemment en bonne santé quitte le monde sans raison apparente. Mais que ça me soit arrivé à moi... Cela me semble intolérable.

Les émotions qui me traversent depuis ce jour funeste, je peine à les maitriser. Je suis comme absente du monde, en décalage, et personne ne m'en blâme. On ne me fait plus participer aux spectacles pour le moment. Je ne serais de toute façon pas en état pour jouer mon rôle.

Comme toujours, tout le monde prend soin de moi. Je ne sais pas si j'ai fais quoi que ce soit pour mériter leur soutien à tous, mais je leur en suis infiniment reconnaissante.

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Plus les jours passent, plus je me dis que la perte de mon enfant est une punition divine à mon encontre. Je n'ai longtemps pas voulu de cet enfant, j'ai même essayé de me débarrasser d'elle quand j'ai appris son existence pour la première fois. Mais comment aurais-je pu l'aimer dès le départ, dans les conditions où elle en est venue à exister ?

J'essaie de me convaincre que c'était une réaction saine à avoir, que mes sentiments mitigés à son égard étaient justifiés. Mais au fond de moi, j'ai besoin d'une explication à la disparition de ce minuscule bébé auquel j'aurais certainement pu offrir plus d'amour avec le temps. Elle semblait en si bonne santé, avant qu'elle ne s'endorme pour ne plus jamais se réveiller. Alors ne pourrait-ce pas être une punition ? Mais n'est-elle pas profondément injuste cette punition ?

Oui, j'ai parfois pu penser que tout serait plus simple sans ce bébé dans ma vie, moi qui, à la fin, suis condamnée à errer seule pendant que les autres continuent inévitablement leur vie, à vieillir. Parce que je suis condamnée, n'est-ce pas ? Même si je persiste à espérer que ma situation change un jour, j'y crois de moins en moins.

En tout cas, j'ai besoin de comprendre pourquoi ma petite fille m'a été retirée si violemment, si tôt, tout en sachant que ce qui est arrivé ne sera jamais expliqué. Et si c'était de ma faute, à cause de la monstruosité que je semble être, ou à cause des pensées impures que j'ai pu avoir, je ne m'en remettrais certainement pas.

Je sais qu'il faut maintenant que je passe à autre chose, que je reconstruise mes barrières pour ne plus rien laisser m'atteindre. Je ne veux plus jamais que quoi que ce soit m'atteigne. Je ne suis pas certaine que je pourrais le supporter. Quel autre choix ai-je donc ?

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Je dois partir. Je dois retrouver une vie de solitude.

Ce désir ne me quitte plus. Cette solitude, j'en ai besoin, et ce qui est arrivé me l'a d'autant plus fait réaliser. S'il faut que je m'en aille un jour, alors je sens qu'il faut que je le fasse maintenant. Maintenant ou jamais.

J'ai besoin de tourner la page, de m'en aller loin d'ici. Toujours plus loin.

Laoghaire ne veut pas me laisser partir seule. Elle dit qu'elle viendra avec moi, mais je ne veux pas qu'elle le fasse.

Ce qui m'attend, ce n'est pas une vie pour Laoghaire. Je suis condamnée à la solitude à cause de ce que je suis, mais pas elle. Elle est heureuse avec la troupe et elle doit continuer à l'être.

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Personne ne voulait me laisser m'en aller, mais je m'en suis quand même tenue à ma résolution. Pas seule comme je l'avais préalablement escompté, néanmoins. Cela m'a au départ irritée, car ce n'était pas du tout ce que j'avais désiré en déclarant m'en aller.

James a décidé de m'accompagner. James était acrobate dans la troupe, mais James ne tient jamais vraiment en place nulle part et, pour des raisons différentes des miennes, il avait besoin d'ailleurs.

Si je me suis un peu opposée à ce qu'il m'accompagne, tout le monde a immédiatement approuvé sa décision et je n'ai bientôt plus pu qu'en faire autant. Personne n'était vraiment rassuré de me voir prendre la route seule, notamment parce que je suis une femme et que le monde n'est pas sans danger pour une femme, d'autant plus si elle est seule. Là-dessus, je n'ai pas pu les contredire. Ne le savais-je pas mieux que quiconque ?

Même si je désirais retrouver ma solitude, la présence de James à mes côtés ne me déplait pas. Il arrive toujours à me faire rire, avec ses singeries. Mais James sait aussi respecter mon silence quand j'en ai besoin.

Bien souvent, nous marchons sans mot dire, l'un à côté de l'autre. Parfois, j'ai tellement confiance en James que j'ai envie de lui confier mon secret, mais je me retiens toujours de le faire. Et s'il prenait peur ? S'il me prenait pour un monstre ?

Je ne suis pas certaine que je pourrais un jour m'ouvrir sur ma particularité à quiconque. Un jour, ma route devra de toute façon se séparer de celle de James. C'est ainsi que va la vie. La mienne, en tout cas.

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James et moi avons décidé de quitter l'Écosse. Nous allons prendre un bateau en direction de la France. Nous ignorons ce que nous trouverons là-bas, mais nos envies d'ailleurs nous attirent dans cette direction.

Je pense que cela me fera du bien de changer d'air, de changer de terres. C'est ce dont j'ai besoin pour tourner la page.

Et pourtant, mes pensées se tournent toujours vers Søren et Ellen. Comme j'aimerais avoir l'opportunité de retourner les voir... Mais c'est encore trop tôt, encore trop dangereux, ou du moins je le pense. Comment être certaine de quoi que ce soit ?

J'aimerais bien pouvoir parler d'eux à James, mais les mentionner reviendrait à tout lui raconter, et ça, je ne le peux pas.

Je sais que j'ai tort de m'être attachée ainsi à James, si rapidement en plus, parce qu'un jour, je vais inévitablement le perdre. C'est pourquoi je désirais être seule, parce que je ne voulais me reposer sur personne. Il est pourtant trop tard pour reculer.

Maintenant, j'ai juste peur du temps qu'il me reste en sa compagnie. Pendant combien de temps encore connaitrons-nous ce sentiment de paix ?