Aina [Embry Call]

Carnet 1 : Partie 2

Ce matin, alors que j'aidais Mme Christiansen à éplucher des légumes, je me suis malencontreusement coupée. C'était la première fois que ça m'arrivait, aussi loin que je m'en rappelle, et voir le sang rouge vif couler de ma plaie m'a un instant fascinée. Mme Christiansen était dehors à ce moment là et elle n'en a donc rien vu. J'ai enveloppé mon doigt blessé dans un chiffon pour absorber le sang puis je suis allée dehors pour le tremper dans l'eau.

Mme Christiansen a eu l'air inquiète quand elle a vu ma main ainsi enveloppée dans un chiffon taché de sang. Elle m'a délicatement fait enlever le chiffon pour observer la plaie et, là, nous avons toutes les deux été surprises.

Il n'y avait plus rien. Rien de plus que du sang séché et plus aucune trace d'une plaie. Mme Christiansen comme moi n'avons pas su expliquer le phénomène mais nous l'avons rapidement ôté de notre esprit. Je ne m'en suis rappelée que ce soir, au moment où j'écris ces lignes.

Je suppose que je suis de très bonne constitution. J'ai déjà remarqué que je ne tombais jamais malade. Alors même que je partage le lit de Hanne et Karen, je ne suis jamais tombée malade quand elles-mêmes l'étaient. Je ne peux pas m'en plaindre, je suis sûrement très chanceuse. Pourvu que ça dure !

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Jørgen et moi allons avoir notre propre maison, lui et M. Christiansen me l'ont appris aujourd'hui. Ils ont racheté la vieille bicoque d'un vieillard du village. Elle est très modeste et nécessite des réparations, mais je l'aime déjà. J'ai sauté dans les bras de M. Christiansen quand il m'a annoncé que c'était son cadeau pour nous et notre nouvelle vie. Je crois que je serais éternellement reconnaissante pour ce merveilleux cadeau.

Hanne et Karen me supplient déjà de leur permettre de venir nous rendre visite. Je leur ai expliqué que la maison n'était vraiment pas loin et qu'elles pourraient venir nous voir dès qu'elles les souhaiteraient, à partir du moment où leurs parents les y autorisaient. Je leur ai d'ailleurs rappelé que Jørgen et moi n'étions pas encore mariés, même si les mois passent très vite.

Maintenant que je suis sur le point de construire ma propre vie aux côtés de Jørgen, j'ai moins de mal à éviter de penser à mon passé. Je sais bien qu'il n'a plus lieu d'être maintenant. J'ai accepté l'idée de ne jamais savoir d'où je viens vraiment et qui m'a donné la vie. C'est dommage, triste même, mais je ne peux rien y faire.

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Un bateau de pêcheurs s'est échoué il y a quelques nuits de cela. Mme Christiansen, les filles et moi avons eu très peur quand quelqu'un est venu nous avertir ce matin là. Fort heureusement, il ne s'agissait pas du bateau de M. Christiansen. La nouvelle n'en est pas moins triste, car quelques hommes ont péri dans le drame, mais je suis tellement heureuse de ne pas avoir perdu M. Christiansen et Jørgen. Je ne sais pas ce que nous aurions fait s'ils avaient été les victimes.

Ce genre de drame arrive mais c'est la première fois que l'un d'entre eux se déroule depuis que je suis là. Une ambiance étrange régnait sur le village après ça. L'atmosphère était particulièrement pesante et je n'étais pas à l'aise. Des femmes ont perdu leurs maris et des enfants leur père. Je ne peux qu'imaginer ce qu'ils ressentent...

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Les jours défilent et se ressemblent, mais je sais que tout va bientôt changer. Bientôt, je serais une femme mariée. J'ai du mal à me faire à cette idée. Devenir la maitresse de maison ne me fait pas peur : je suis déjà habituée à aider Mme Christiansen à gérer la maison. Ce qui m'effraie, c'est tous les aspects de ma future relation avec Jørgen. Il y a encore tant de choses desquelles je ne sais rien.

Il nous arrive à Jørgen et moi de nous embrasser quand nous sommes seuls, mais guère plus. Je vois bien que lui-même n'est pas encore très à l'aise avec l'idée d'une proximité physique. Nous sommes aussi peu expérimentés l'un que l'autre. Cela me rassure un peu parce que Jørgen n'a aucunes attentes particulières.

Néanmoins, au cours des derniers mois, j'ai vu son regard évoluer. Ses yeux s'attardent plus sur moi qu'ils ne le faisaient auparavant. Sur mon corps, notamment. Je me demande bien à quoi il pense dans ces moments là. Regrette-t-il de m'avoir choisie pour devenir son épouse ? Sa demande a peut-être été un peu précipitée, à l'époque. Peut-être a-t-il repéré une fille au village qui soit plus à son goût. Je n'ose pas lui poser la question car j'ai peur qu'il la prenne mal. Pour ma part, je veux toujours l'épouser et je maintiens que c'est la meilleure chose qui pouvait m'arriver. J'aime Jørgen.

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J'ai finalement osé poser la question qui me brûlait les lèvres à Jørgen. Il m'a assurée que je me trompais et ça m'a fait du bien. Nous étions sur la plage quand j'ai enfin osé parler. Il a paru vraiment étonné que je puisse penser qu'il avait des regrets. C'était en fait tout le contraire et il se trouvait très chanceux parce que j'étais une fille magnifique. Un tel compliment m'a fait très plaisir parce qu'il est rare que Jørgen ose m'en faire. Même s'il parait sûr de lui la plupart du temps, il est un peu timide dans le fond.

Quand nous nous sommes embrassés après ça, ça ne ressemblait à aucun de nos autres baisers. Il m'a embrassé avec une telle passion que j'ai cru un instant que je ne parviendrais pas à récupérer mon souffle. C'était cependant agréable. Je sens que Jørgen et moi avons passé une étape. Nous sommes vraiment prêts à nous marier maintenant.

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Le dernier mois a été très intensif. Entre les derniers travaux pour rendre notre maison habitable et les préparations du mariage, nous n'avons pas eu une minute à nous. Nous y sommes cependant enfin. La maison est prête, le mariage aussi. Plus le moment approche, plus j'ai peur. Je n'ai pas peur parce que je ne veux pas me marier, non, c'est même tout le contraire. C'est le changement qui me fait peur, mais je sais que c'est stupide de ma part. Je sais que tout va bien se passer...

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Jørgen et moi sommes maintenant mari et femme. Cela me parait très étrange d'être officiellement une Christiansen mais j'aime cette idée. J'aime notre nouvelle maison et le foyer que nous ne manquerons pas d'y construire. Notre première nuit y a été particulière.

Ni moi ni Jørgen ne savions vraiment comment nous y prendre et nous étions très gênés. Comme nous avions un peu bu lors de la fête, ça a néanmoins rendu les choses plus faciles. De notre nuit de noce, je retiendrais la douceur et la prévenance de Jørgen. J'avais raison à son sujet, jamais il ne me fera le moindre mal. Je trouve que je suis la plus chanceuse des femmes. Quand je lui dis ça, il me réplique qu'il est le plus chanceux des hommes, alors nous nous chamaillons pour savoir qui a raison, mais jamais sérieusement.

Hanne et Karen viennent tout le temps me rendre visite quand Jørgen et M. Christiansen sont partis en mer. J'aime beaucoup les accueillir dans ce que je peux maintenant appeler ma maison. Je me dis que c'est surtout parce que c'est le premier mois que j'y passe et qu'un jour leurs visites se feront moins fréquentes. Un jour, Hanne et Karen se marieront elles aussi. Quant à moi, je finirais par avoir mes propres enfants.

Mme Christiansen pense d'ailleurs que je suis déjà enceinte. Elle dit que les signes ne trompent pas mais je ne sais pas quoi en penser. Je ne me sens pas encore différente. Je suppose qu'il faut un peu de temps. J'ai du mal à m'imaginer avec des enfants mais j'imagine que l'instinct maternel me viendra naturellement. Je l'espère en tout cas, parce que c'est l'une de mes plus grosses sources d'angoisses depuis que je sais que j'attends peut-être un enfant. Je n'ai encore rien dis à Jørgen. Je veux être certaine avant de le lui annoncer. Je pense qu'il sera très heureux de le savoir.