Carnet 4 : Partie 3

870 65 9
                                    

En retrouvant les lieux que j'avais quittés si précipitamment auparavant, le village où j'avais partagé mes derniers instants avec mes enfants, tout un flot de souvenirs m'a frappé. Des souvenirs pourtant flous, parce que tout s'était passé si vite à l'époque. Encore aujourd'hui, j'ai du mal à réaliser que tout cela s'est bien produit.

Pour mon retour en ces terres hostiles, j'ai caché mes cheveux sous un foulard coloré. Ils sont ceux qui me rendent d'autant plus reconnaissables. Depuis la dernière fois, il a du s'écouler environ une quinzaine d'années. Si certains m'ont peut-être déjà oubliée, je dois pourtant m'efforcer de demeurer prudente.

Avec tout ce temps qui a passé, j'estime que Søren sera maintenant âgé d'un peu plus de 30 ans, tandis qu'Ellen devrait être très proche aussi de cette nouvelle dizaine. Mes enfants que j'ai eu l'opportunité de voir doucement atteindre l'adolescence, puis toucher du doigt l'âge adulte en ce qui concerne Søren. Mes enfants que je continuerais à jamais à considérer comme des enfants, mais qui sont pourtant devenus grands, et je n'étais pas là pour y assister. Cela continue de me briser le cœur, mais en arpentant les terres que mes enfants ont peut-être continué à arpenter après mon départ, je me sens un peu plus proche d'eux que je ne l'ai été depuis longtemps.

Je ne sais pas encore si je vais les retrouver. Je ne sais plus depuis tant de temps de quoi est faite leur existence et où elle se déroule. Je me suis toujours dit qu'ils avaient du rester ici, parce que c'est là qu'ils avaient l'air de sentir chez eux à l'époque. Mais qu'en sais-je ? Voilà tant de temps que je n'ai plus eu de leurs nouvelles. Et s'ils avaient migrés vers d'autres terres ? Et si un drame était survenu ?

Il m'aurait été impossible de le savoir. Mais j'ai espoir que mon instinct de mère soit le bon : mes enfants sont là, tous proches, et j'aurai bientôt l'occasion de les revoir. Je veux y croire.

Et pourtant, cette perspective m'effraie de plus en plus. Resurgir dans leurs vies après tant de temps, n'est-ce pas égoïste ? Je ne sais même pas ce que je pourrais leur dire. Et s'ils prenaient peur en me voyant apparaître au coin d'une rue, telle un fantôme ? Ne serai-ce pas plus altruiste de ma part de les laisser poursuivre leur vie dans l'ignorance de mon sort ? Que préféreraient-ils ? Comment seulement le deviner ?

Impossible, encore une fois. Je vais donc devoir prendre une décision et en assumer les conséquences. Dans tous les cas, je veux au moins savoir si mes enfants vont bien, s'ils sont heureux. Au moins ça.

xxx

Après maintes réflexions, m'est venue la certitude que ne pas me manifester auprès de Søren et Ellen, s'ils vivent toujours dans la région, serait la meilleure chose que je puisse faire pour eux. C'était une décision déchirante, la pire que je puisse faire en tant que mère : me refuser l'opportunité de prendre mes enfants dans mes bras après un temps infini passé loin d'eux. Pourtant, cette décision a été remise en cause par les circonstances. Je suppose que j'en suis heureuse, dans le fond, au moins par égoïsme.

James et moi arpentions les rues du village, nous fondant dans la masse. Je m'efforçais de garder les yeux baissés pour n'attirer l'attention de personne, tout en jetant quelques coups d'œil par ci par là. Tout ça, c'était jusqu'à ce que je croise le regard de mon portrait craché dans la foule.

Les mêmes cheveux blonds vénitiens que les miens et un visage pâle parsemés de quelques tâches de rousseurs un peu plus éparses. La surprise qui est alors apparue dans les yeux de la fille était un miroir à la mienne.

Ellen. L'évidence m'est tout de suite apparue. C'était ma fille qui se trouvait là, à quelques mètres de moi.

Ma propre réaction m'a surprise. J'ai pris peur. Une peur violente qui a compressé ma poitrine, libérant une décharge d'énergie insensée me poussant à fuir. Sur le moment, je n'ai pas été en mesure de combattre cet instinct absolument stupide me poussant à m'éloigner de ma fille que j'étais précisément venue voir. Oui mais je n'avais pas prévu qu'elle me voit, et c'est cela qui m'a fait paniquer.

Aina [Embry Call]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant