Carnet 3 : Partie 2

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En m'imaginant une vie de vagabonde, je n'avais pas tort, car c'est bien ce que je suis devenue. J'ai cessé de m'installer, me contentant de voguer de villages en villages, ne me laissant aucun temps pour me lier à qui que ce soit, ni pour attirer l'attention.

Une idée fixe s'est implantée dans mon esprit : la peur que quelqu'un me cherche quelque part, quelqu'un qui me voudrait du mal, quelqu'un qui a pu assister à ma miraculeuse résurrection, quelqu'un qui se serait mis en quête de me retrouver pour me faire subir le sort qu'on réserve aux sorcières. Un sort terrible qui me fait frissonner d'effroi.

Parfois, je me demande : est-ce que je suis ? Une sorcière ? Après tout, personne ne peut vraiment savoir de quoi est capable une sorcière, à moins d'en être une soi même. Mais à part mon absence de vieillissement, je n'ai aucun des traits qu'on prête habituellement aux sorcières. Alors, est-ce ce que je suis ou suis-je encore tout autre chose ?

J'ai conscience d'être ridicule quand je m'imagine être recherchée. Personne ne serait suffisamment obstiné pour entamer une telle traque. Ça n'en vaudrait pas le coup. Pourtant, cette peur continue de me tenailler. En un sens, je pense que c'est ma propre peur que je projette : j'ai peur de ce que je suis, moi aussi. Ce n'est même pas tant ce que je suis que ce qui m'attend, en réalité. Car oui, qu'adviendra-t-il de moi si la situation perdure ?

xxx

J'ai rencontré des gens. J'en suis la première surprise. Je ne l'avais pas prémédité, j'avais même tout fait pour l'éviter.

C'est cette vieille femme aux longs cheveux gris qui a commencé la première à me fixer avec insistance. Son regard m'a immédiatement dérangé. Je ne vois que très rarement d'un bon œil les œillades insistantes, d'autant plus depuis que j'ai cette peur en moi qui ne me laisse jamais en paix.

Pourtant, elle a continué à me fixer, impunément. J'avais beau me détourner, je sentais son regard sur moi, comme brûlant. Au bout d'un très long moment, j'ai fini par me décider à m'éloigner. Je n'étais définitivement pas rassurée. C'est alors que j'ai perçu son propre mouvement : elle s'apprêtait à me suivre. Là, j'ai pris particulièrement peur.

Comme je devinais que m'enfuir en courant aurait été mal perçu, je me suis tournée vers elle et ai attendu qu'elle me rejoigne. Je savais qu'il était inutile de faire comme si je ne l'avais pas vue.

Elle m'a donc rejointe, d'abord sans dire un mot, et puis elle m'a sourie. « Vous serez parfaite » m'a-t-elle dit. « Parfaite pour quoi ? » ai-je répliqué. « Pour intégrer notre troupe » m'a-t-elle répondue, comme si c'était évident.

Je ne savais pas de quel type de troupe elle parlait, mais je lui ai immédiatement dit que je n'étais pas intéressée. Elle n'a rien voulu entendre. Elle m'a demandé de la suivre, m'a dit que ce ne serait pas long, et je ne sais pas ce qui m'a poussée à la suivre, mais je l'ai fait.

Elle m'a alors conduite jusqu'à sa troupe et j'ai découvert qu'il s'agissait d'une troupe itinérante, des gens du spectacle. La vieille dame m'a expliquée que je serais parfaite pour les rejoindre, que je jouerais très bien un rôle de diseuse de bonne aventure avec mes jolis cheveux blonds vénitiens, même s'ils auraient gagnés à être d'un roux plus vif.

J'ai trouvé l'ironie de la situation très glaçante. Dans cette troupe, mes cheveux étaient bien vus, plus encore, ils étaient les bienvenus. D'où je venais, ils conduisaient les autres à m'associer à une sorcière. Or, si j'ai été chassée de chez moi en premier lieu, c'est justement parce qu'on m'avait suspectée de sorcellerie.

Pourtant, la vieille femme n'en démordait pas et elle a fini par en appeler à d'autres membres de la troupe pour me convaincre. Et finalement, je me suis laissée faire. Qu'avais-je à perdre ?

Aina [Embry Call]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant