Chaque matin, je guette d'un œil inquiet mon reflet dans le miroir. Là où les autres femmes scrutent anxieusement la présence de rides sur leur joli minois, ou de cheveux blancs parmi leurs jolies chevelures, moi je cherche désespérément à repérer ces signes qui me prouveraient que je vieillis. Il n'en est cependant rien et je dois bien me rendre à l'évidence : quelque chose cloche chez moi et le phénomène ne parait pas prêt à disparaître. Suis-je vraiment une sorcière comme les gens du village me nommaient, aux îles Féroé ?
Alors que je devrais être âgée d'une quarantaine d'années, j'ai l'air d'avoir l'âge de Søren, qui n'a pourtant que dix sept ans. A nous voir tous les deux, on pourrait pratiquement se méprendre et se demander s'il n'est pas plus vieux que moi !
D'ailleurs, par bien des aspects, il parait prêt à construire sa vie, alors que je suis bien loin de telles préoccupations. J'ai déjà construit ma vie auparavant, jusqu'à ce qu'elle soit déconstruite et que tout vole en éclat.
J'ai perdu Jørgen. S'il avait encore été là, peut-être que tout aurait été différent. Je suis persuadée qu'il aurait tout fait pour nous protéger, moi et les enfants, en dépit du problème qui est le mien. Nous serions partis tous ensemble, comme une famille, et nous aurions trouvé une solution. Seule avec les enfants, j'ai l'impression d'être dépassée. Les enfants n'ont même plus besoin de moi. Je les vois commencer à voler de leurs propres ailes. Je ne suis plus qu'un arrière plan dans leur vie. Comment leur en vouloir ? Je ne suis pas vraiment ce qu'on pourrait appeler une mère normale.
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Ce qui devait arriver arriva. Alors même que je passe mon temps à penser au futur, à l'endroit où je fuirais quand il deviendra évident que je ne vieillis pas, Søren songe définitivement à rester ici. Il s'établit bien à la forgerie du village et tout le monde l'apprécie. Et puis, il y a cette fille... cette fille qu'il compte épouser.
Il me l'a avoué. J'ai bien vu comme ça lui a coûté de me le dire. Parce qu'il n'est pas stupide. Non, Søren n'est définitivement pas stupide. Il sait que je ne resterais pas ici pour toujours. Si nous n'en parlons jamais vraiment, il n'est pas sans connaître mon secret, qui est la raison même pour laquelle nous avons du fuir notre foyer au tout départ. Il constate lui aussi que je ne change pas, que ma peau reste aussi lisse malgré le temps qui passe, comme si les années n'avaient aucun effet sur moi. Ainsi, il sait ce que son mariage implique : que nous devrons nous quitter un jour. Il le sait et je le sais.
Pourtant, quand il m'a annoncé la nouvelle et que je me suis mise à pleurer, c'était autant de joie que de tristesse. La joie de voir mon enfant se marier, être heureux. La tristesse de savoir que je devrais le quitter, peut-être avant même de connaître mes petits enfants.
Søren m'a immédiatement prise dans ses bras, ne sachant pas vraiment comment interpréter ma réaction. En sentant ses bras musclés m'enlacer, je me suis mise à sangloter encore plus fort. Mon petit garçon est définitivement devenu grand, je ne m'étais pas encore rendu compte à quel point. Mon petit garçon est maintenant un homme.
Ellen nous a trouvé ainsi enlacés quand elle est rentrée. Son frère lui a appris la nouvelle et elle a été tellement heureuse pour lui. Les implications de ce mariage ont mis un peu plus longtemps à la frapper, mais quand elles l'ont fait, j'ai perçu combien ma petite fille s'est senti déchirée. Pourtant, à la fin, je crois que j'avais déjà conscience de ce qui se passerait.
Parce que j'ai bien remarqué le regard d'Ellen. J'ai bien remarqué qu'elle était follement amoureuse de ce garçon, celui du couple chez qui nous travaillons. Lui aussi est séduit.
Mes enfants m'échappent peu à peu, je le sais bien. La hantise de tout parent. Mon seul souhait en ce monde serait de pouvoir demeurer ici, vieillir, et observer mes enfants construire leur vie, fonder une famille. Je sais que c'est me bercer d'illusions que de penser ça, mais c'est plus fort que moi. Comment accepter l'inacceptable ?
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Il est arrivé quelque chose d'atroce. Quelque chose qui m'a poussé à fuir. J'écris ces mots depuis un bateau en direction de l'Irlande. J'ai du quitter mes enfants, sans pouvoir leur faire des adieux correct, et cela m'horrifie.
Je retiens sans arrêt mes larmes la journée, mais la nuit... la nuit je ne peux pas les empêcher de couler et je sens mon cœur se briser un peu plus à chaque instant. J'ignore même comment je parviens à me relever au matin. Je ne devrais pas être en vie et je le sais. Je devrais être morte, là-bas, au milieu de ce marché.
Tout s'est passé alors que je faisais des emplettes au marché du village. J'avais prévu de préparer un bon repas pour les enfants. Je souhaitais que nous passions un bon moment tous les trois, pour fêter les fiançailles de Søren. C'est au marché que la bataille a éclaté.
Des coups de feu ont retenti. J'ai aperçu quelques révolvers dans mon champ de vision. Tout le monde courait dans tous les sens, je ne savais pas où aller, et quand j'allais me décider, il était trop tard. Le coup de feu m'a transpercé la poitrine. La douleur m'a coupé le souffle. Je me suis écroulée au sol, et ça a été le noir total.
Tout aurait du se finir ainsi. Moi, au sol, dans une mare de sang. Sauf que ce n'est pas comme ça que l'histoire se termine, parce que je me suis réveillée alors que je n'aurais pas du le faire. Mes yeux se sont ouverts alors que mon corsage blanc était couvert de sang, seule et unique preuve de la balle qui m'avait transpercée la poitrine. En dehors du sang séché, ma peau n'en portait plus aucune trace, et ça, c'était parfaitement anormal.
Quand je me suis redressée, des gens ont accouru vers moi, stupéfiés de me voir en vie. Un médecin m'a ausculté, a contemplé avec ébahissement l'absence de plaie. Il a dit que c'était impossible, qu'il devait rêver. C'est là que les gens ont commencé à murmurer, j'ai perçu les mots « sorcières » et j'ai su qu'il fallait que je m'en aille, que je m'étais trahie, que tout allait très mal se terminer pour moi si je demeurais ici.
Avant que quiconque n'envisage de me suivre, je me suis enfuie dans les rues. Il y avait d'autres victimes de la fusillade qui avaient besoin qu'on s'occupe d'elle, alors personne n'a cherché à me poursuivre. Je suis directement allé à la forgerie où Søren était seul ce matin là.
En me voyant surgir ainsi, le corsage ensanglanté, il a compris que quelque chose de grave s'était passé. Je lui ai expliqué rapidement la catastrophe. Je lui ai dis qu'il fallait que je parte. Il n'a pas cherché à discuter. Il m'a dit qu'il s'occupait de tout, qu'il fallait que j'aille dire au revoir à Ellen, qu'il me trouverait une place sur un bateau vers l'étranger. Je l'ai écouté et je suis partie chercher Ellen.
Ellen a beaucoup pleuré. Moi aussi. Nos au revoir me paraissent flous maintenant, ils ont été si rapides, mais, si je me rappelle une chose, c'est bien nos larmes.
Tout s'est ensuite passé comme dans un rêve. J'ai emporté un minimum d'affaires avec moi, un peu d'argent et, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, je me suis retrouvée sur ce bateau, le visage et les cheveux à moitié recouverts par un foulard pour que personne ne puisse me reconnaitre
Là, j'ai vu mes enfants se serrer dans les bras sur le quai, pendant que je m'éloignais d'eux. Cette image là, elle m'a brisé le cœur. Elle me brise toujours le cœur. La dernière pensée que j'ai eu, alors qu'il était déjà trop tard pour leur adresser de dernières paroles, c'était de me demander si je reverrais jamais mes enfants. Le pire, c'était que j'étais incapable de répondre à cette question.
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Aina [Embry Call]
FanfictionAina arrive à Forks un peu par hasard et s'attend à trouver une bourgade totalement dénuée d'intérêt. Elle comprend son erreur en posant son regard sur les Cullen pour la première fois. De son côté, Edward ne tarde pas à comprendre qu'Aina n'est pas...