Carnet 3 : Partie 3

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C'est encore tremblante que j'écris ces mots. C'est un besoin irrépressible qui m'a guidée jusqu'ici. Le besoin d'exorciser l'atrocité qui m'est arrivée. Laoghaire m'a dit que l'écrire m'aiderait peut-être, que mettre des mots sur la chose pourrait peut-être la faire disparaître. Je ne suis pas convaincue mais que faire d'autre ?

Tout a commencé à la tombée de la nuit, quand un homme éméché a commencé à tourner autour de nos caravanes. Très vite, il a commencé à nous faire des avances, à moi et à Laoghaire. Heureusement, les hommes de la troupe l'ont très vite éloigné. Il a fini par nous laisser tranquille. Au moins en apparence...

Parce qu'il est revenu plus tard. Il est revenu, pour moi ou pour Laoghaire, pour obtenir ce qu'il n'avait pas pu avoir plus tôt. Et c'est sur moi que la malchance est tombée. Cette fois, personne ne se tenait au milieu de sa route, personne pour l'empêcher d'assouvir ses pulsions...

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Page arrachée

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Un sentiment est né au creux de moi. Un terrible instinct que j'ai peur de reconnaître. Terriblement peur. Je n'ose même pas m'en confier auprès de Laoghaire tant l'idée même que je puisse avoir raison me transie d'effroi. Et pourtant, pourtant...

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Je crois bien que le doute n'est plus possible. Je voudrais tellement croire que j'ai tort, mais il semble maintenant difficile de prétendre le contraire. Je sais que mon instinct ne me trompe pas, il ne m'a jamais trompée auparavant dans cette situation.

Non, je suis enceinte. C'est certain.

Et si cette nouvelle m'avait laissée en joie quand il s'était agi de Søren et Ellen, parce que ces bébés étaient nés dans une famille, dans un cocon empli d'amour, c'est différent aujourd'hui. Car ce bébé là...

Ce bébé là a été conçu dans l'horreur. Ce bébé là n'aurait même pas du exister. Il est né d'un acte effroyable auquel je voudrais ne plus jamais penser.

Que diable vais-je bien pouvoir faire ?

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Je me suis confiée à Laoghaire, parce que je ne voyais pas à qui le dire d'autre. Je lui ai dis que je cherchais un moyen de me débarrasser de ce qui grandissait en moi, parce que je n'avais rien à offrir à l'être qui naitrait, que je n'avais aucune vie digne de ce nom à lui offrir.

Laoghaire m'a dit que je ne devrais pas faire ça, que ce n'est pas bien, que cet enfant est le mien, peu importe la façon dont il a été conçue. Elle m'a dit qu'elle s'en occuperait avec moi, que la troupe l'adopterait, qu'il aurait une belle vie.

Ce que je ne peux pas lui dire, c'est qu'il m'est impossible de rester pour toujours à leurs côtés, que je devrais les quitter un jour, parce que je continue de ne pas vieillir et que même la troupe s'en effraierait, si elle s'en rendait compte.

Je ne sais donc pas quoi faire. Je ne sais pas qui appeler à l'aider. Je me sens seule, plus seule que jamais.

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L'enfant qui grandit en moi me terrifie. Pas vraiment pour ce qu'il représente, mais justement parce qu'en dépit de l'événement auquel il est associé, je sais que je l'aimerais, je sais qu'il ne pourra pas en être autrement. Peu importe l'effroyable homme que le père de cet enfant est, il est aussi mon enfant, et pour ça, je ne pourrais jamais le détester.

Si j'ai voulu m'en débarrasser, je n'ai trouvé personne qui aurait pu m'y aider. De toute façon, je ne pense pas que j'aurais pu aller au bout de la démarche. J'aurais reculé au tout dernier moment, j'en ai conscience.

Mon ventre s'arrondit et je prends chaque jour un peu plus peur. La troupe me soutient. Ils ne savent pas tous ce qu'il m'est arrivé. Personne ne pose vraiment de questions à quiconque. Je fais partie de la troupe alors, pour eux, si j'ai un enfant, il sera des nôtres, c'est aussi simple que ça.

J'ai fait envoyer une lettre à Søren et Ellen, récemment. Je ne leur ai rien raconté des horreurs qui me sont arrivées. Pourquoi leur imposer ça ? Je leur ai simplement fait savoir que j'allais bien, que je pensais à eux, que j'espérais qu'ils étaient heureux. Que leur dire de plus ? Je disparaitrais progressivement de leur vie, cela me parait inévitable. Et peut-être est-ce aussi bien pour eux...

Et puis, je n'ai aucun moyen d'être certaine que ma missive arrivera à sa destination, de toute façon. Qu'elle le fasse ou pas : je ne sais vraiment plus ce qui serait le mieux.

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Du temps a passé, inévitablement. En compagnie de la troupe, le temps passe plus vite que quand j'étais seule. Notamment parce que je suis bien occupée à leurs côtés. Ils sont devenus ma famille de substitution. Si un jour je vais devoir les quitter, pas par envie mais par nécessité, ils resteront toujours tous très chers à mon cœur.

Ils font preuve d'un soutien inébranlable à mon égard, s'enquérant de mon état, de ma santé, m'épargnant un maximum d'efforts. Tant d'attentions me feraient presque pleurer. Néanmoins, il faut dire que je suis particulièrement sensible ces derniers temps.

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L'enfant est finalement née. C'est un accouchement éprouvant que j'ai vécu, encore plus que mes premiers. Il faut dire qu'accoucher sur la route est bien moins agréable que d'accoucher dans une confortable maison.

S'agissant d'une petite fille, j'ai souhaité la prénommer Laoghaire, en hommage à ma précieuse amie. Pour pouvoir distinguer les deux Laoghaire, tout le monde a décidé d'appeler ma fille Petite Laoghaire, alors je me suis mise à faire pareil.

Si j'aime cette enfant, la sensation que j'éprouve à son égard est très particulière. Chaque fois que je le regarde, je pense à Søren et Ellen. Je me dis qu'en étant devenue mère à nouveau, je les abandonne un peu plus encore. Comme si je les avais remplacés, ce que je n'ai jamais voulu en premier lieu.

Je pleure donc beaucoup ces derniers temps. Tout le monde dit que c'est le contrecoup de l'accouchement, mais je sais bien qu'il en est tout autre. C'est mon passé qui me hante. Mon passé et mon présent qui se heurtent avec violence, me laissant abattue entre les deux...

   

***

   

J'ai posté avec un peu de retard ce nouveau chapitre, la faute aux révisions qui se font intensives en ce moment (on remercie les examens universitaires qui ont lieu en janvier). D'ailleurs, désolée de vous avoir présenté un chapitre si peu joyeux cette semaine (c'est que le passé d'Aina n'est pas toujours rose, on l'a constaté une nouvelle fois...), mais promis, le chapitre prochain sera moins déprimant !

D'ailleurs, comme le prochain chapitre sortira le week-end après Noël, je vous souhaite d'ores et déjà de passer de très belles fêtes. J'espère que vous les passerez en compagnie de gens que vous aimez, et que vous passerez un bon moment. Je crois qu'on en a tous besoin en cette période difficile !

Bref, je vous envoie plein d'ondes positives et je vous dis à très bientôt !

Aina [Embry Call]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant