Carnet 2 : Partie 1

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Le départ vers l'Angleterre a été difficile, comme je m'y attendais. J'étais déchirée de devoir m'en aller, et les enfants aussi. Ils ont beaucoup pleuré et j'ai essayé de rester forte pour eux, n'y parvenant que très difficilement.

Pourtant, nous sommes bien arrivés sur nos nouvelles terres et la cousine de Mme Christiansen, Mme Marcy, est venue nous accueillir à l'arrivée de notre bateau. Elle s'est révélée très gentille et nous a appris qu'elle m'avait trouvée une place de femme de ménage dans la maison de l'une de ses voisines. Elle m'a assuré que c'était une bonne famille et qu'ils ne me poseraient aucun problème, et donc je me prépare à être moi-même irréprochable dans mon travail.

Quant au logement, nous habiterons une petite dépendance à côté de chez Mme Marcy. Elle ne me demandera aucun paiement mais préfère que je la rembourse en lui donnant un coup de main de temps en temps, que ce soit avec son ménage ou avec son jardin. J'en éprouve énormément de gratitude, car c'est mieux que tout ce que j'aurais pu souhaiter. Søren et Ellen auront même des compagnons de jeux en la personne des petits enfants de Mme Marcy.

J'espère que les enfants s'accommoderont vite de cette nouvelle vie. Je vois leurs regards tristes, bien qu'ils s'efforcent de donner le change en me souriant. Je prétends moi-même aller bien alors que ce n'est pas véritablement le cas. J'espère simplement que le temps pansera nos blessures et que nous pourrons être heureux ici, en dépit de la distance qui nous sépare désormais de M. et Mme Christiansen, et de Hanne et Karen.

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Si je m'accommode très bien de mon travail, Søren et Ellen peinent toujours à accepter l'idée que nous ne rentrerons pas chez nous. Ils passent la plupart du temps que je ne peux pas passer avec eux avec les enfants de Mme Marcy, tout en profitant de l'éducation que ceux-ci reçoivent.

En dépit de tout, je vois bien que les enfants ne sont pas aussi heureux qu'ils pourraient l'être. J'ai beau leur demander ce dont ils ont besoin pour pouvoir enfin tourner la page, eux même ne le savent pas. Tant qu'ils ne seront pas heureux, je sais que je ne le serais pas non plus.

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Trois ans après être arrivés dans le nord de l'Angleterre, j'ai pris la décision que les enfants et moi allons partir. Cet endroit ne nous convient pas et, en dépit de tous les avantages que nous avons ici, nous n'arrivons pas à être heureux. Mon cœur souhaite que nous puissions retourner aux îles Féroé, mais c'est impossible. Mme Christiansen m'en a dissuadé car c'est trop dangereux. J'ai donc décidé que nous partirions plus au sud, dans les Cornouailles.

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Dans les Cornouailles, personne ne nous connaît ni ne sait d'où nous venons. Je sais déjà qu'il sera plus aisé de nous fondre dans la masse. Søren a quinze ans, Ellen en a treize. Si je devrais en avoir une quarantaine, j'en semble vingt. Nous en avons beaucoup discuté avec les enfants et nous avons décidé qu'aux yeux de tous, je serais leur grande sœur.

Sur ce sujet, les enfants font preuve d'une incroyable maturité. Ils savent comme cette étrangeté peut être dangereuse pour nous, alors aucun d'entre eux n'ira admettre la vérité à quiconque. Si nous ne comprenons pas le phénomène, nous avons appris à vivre avec. Plus le temps passe, plus je commence à comprendre les implications de mon absence de vieillissement, mais je m'efforce de les occulter parce que ça m'effraie. Qu'adviendra-t-il quand mes enfants auront l'air plus vieux que moi ? Et si je ne vieillis toujours pas ? Et si je ne meurs jamais ?

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J'ai pu trouver une place d'aide-cuisinière dans la demeure d'un gentilhomme respectable et de sa femme. Le gentilhomme s'est prit d'affection pour nous trois et il a donc également offert du travail à Ellen qui s'occupe du ménage.

Quant à Søren, il a trouvé du travail dans la forgerie du village. Le forgeron, voyant du potentiel en lui, a décidé de lui enseigner le métier. C'est un homme seul qui n'a guère de descendance et je crois bien qu'il voit en Søren un possible successeur. Søren en est très heureux et je n'ose pas lui dire que nous ne resterons peut-être pas là pour toujours.

Pourtant, une voix ne cesse de murmurer dans mon oreille, me rappelant que mes enfants grandissent et qu'ils n'auront peut-être plus envie de me suivre, un jour. Peut-être auront-ils envie de se poser, de se construire une vie et, dans ce cas, je devrais un jour les quitter. Cette idée m'est insupportable mais, la possibilité existante, je ne peux pas l'ôter complètement de mon esprit.

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Søren est tombé amoureux. S'il me l'a caché pendant un moment, j'ai bien vite compris ce qu'il se passait. Je ne savais simplement pas qui était l'heureuse élue.

C'est une jeune fille du village qui a seize ans, comme lui. Elle est très jolie avec ses cheveux noirs ondulés, je comprends ce que Søren lui trouve. Pourtant, cette amourette m'effraie. Parce que c'est un lien qui rattache Søren aux Cornouailles. Si je n'ai pas encore prévu de m'en aller d'ici, étant arrivés là depuis à peine une année, je me dis que c'est une raison pour Søren de vouloir rester ici.

Comment lui en vouloir ? Je semble condamnée à une vie de vagabonde, sous peine d'être accusée de sorcellerie. Pourquoi mes enfants devraient être condamnés à la même sentence, eux aussi ? Ce serait injuste d'exiger ça d'eux, et pourtant... Je ne veux pas les quitter, jamais.

J'observe donc d'un œil inquiet les sentiments de mon fils pour cette jeune fille. Il y a également le fils du couple chez qui nous travaillons avec Ellen qui m'inquiète, et notamment les vues qu'il semble avoir sur mon Ellen, elle qui grandit de plus en plus chaque jour. Ce sont encore des sentiments innocents, tous les deux étant encore jeunes, mais s'ils s'épanouissaient en quelque chose de plus sérieux ? Alors mes deux enfants auraient une attache ici, et je ne veux une nouvelle fois pas penser aux implications. Je ne le puis...

Aina [Embry Call]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant