12. Un Démon Masqué, première partie

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19 septembre 1886

Jodie était assise devant la table de la cuisine, captivée par le majordome qui s'affairait à cuisiner. Elle feignait de lire un journal, mais ses yeux fatigués se dérobaient des lignes manuscrites. Ils étaient bien plus intéressés par les traits magnifiques du jeune homme. Il avait ôté sa veste noire et ne portait plus que son élégante chemise blanche. Une tenue qui selon elle, mettait bien plus en valeur ses épaules larges.

Ah, comment faisait-elle, cette Mme Blodweell, pour rester fidèle à son mari alors qu'elle était accompagnée d'une telle merveille ?

L'amour, peut-être.

Jodie soupira. Si seulement elle avait eu vingt ans de moins, elle se serait déjà jetée sur lui pour le dévorer.

«Les dernières nouvelles sont-elles intéressantes, Mme Beeton ?

La belle voix du majordome la tira de sa rêverie. Mince, que pouvait-elle dire, elle n'avait encore rien lu. Il fallait improviser quelque chose.

-Vous savez, depuis le rejet de la loi de Gladstone il y a deux mois, nos relations avec l'Irlande ne font que se détériorer. Tout ça pourrait bien se finir en guerre. J'espère que notre armée se tient prête.

La servante se félicita intérieurement pour sa réponse, avec une réplique pareille ; il n'y verrait que du feu.

-Une guerre ? C'est peut-être un peu exagéré, vous ne croyez pas ?

-Il n'en faut pas beaucoup pour qu'un pays s'enflamme vous savez.

-Vous avez raison. Les humains sont des créatures facilement susceptibles, sourit le majordome en sortant un plat d'une des étagères.

-Très bien dit. Vous parlez comme un sage, jeune homme.

Caym continua sa préparation, mais une idée lui vint soudain.

-Pensez-vous que l'armée aurait besoin de nouvelles recrues ?

-Certainement mais..., ne me dite pas que vous voulez vous engager ?

-Non, mon devoir est de rester au service de la comtesse. C'était une simple question.»

La vieille femme passa une main sur sa tresse blanche, soulagée. Loin d'elle l'envie de lui mettre une idée pareille en tête.

24 septembre 1886

Que pouvait-elle faire dans cette situation délicate ? Des rumeurs concernant la disparition de Geoffrey se propageaient. La soi-disant lune de miel avait duré trop longtemps et, une visite de l'une de ses connaissances, une semaine auparavant, avait éveillé des doutes. Il fallait qu'elle trouve un moyen de justifier sa disparition avant que ce ne soit Mme Peltie qui vienne frapper à la porte.

Caym avait eu une idée brillante, comme toujours. «Pourquoi ne pas prétendre qu'il a rejoint l'armée ?» Jade consentit à suivre cette suggestion. Sous la sage direction du majordome, elle avait convié certains amis de son mari à une fête au manoir, au cours de laquelle elle ferait un discours annonçant la nouvelle. Le plan était presque parfait... Cependant, Caym ne connaissait pas suffisamment Geoffrey. Jamais il n'aurait pris une décision aussi drastique, personne ne croirait à cette histoire.

Un soupir de frustration s'échappa alors que la domestique ajustait son corsage.

«Voilà, ça devrait tenir maintenant.

-Merci, Jodie.

-Je reste à votre service, mademoiselle. Avez-vous besoin d'autre chose ?

-Non, vous pouvez disposer.»

La vieille femme de chambre quitta la salle de bains, laissant Jade tresser ses cheveux d'obsidienne encore humides. Soudain, elle entendit la voix de la domestique résonner dans le couloir.

«Oh, vous êtes déjà là. Bienvenue au manoir, Vicomte Blodwell.»

La comtesse se précipita vers la porte et jeta un coup d'œil furtif dans l'entrebâillement. Ce qu'elle découvrit la figea. Face à Jodie se dessinait la haute silhouette d'un homme châtain : Geoffrey.

Non, Geoffrey était mort. Cette vision défiait toute logique. Elle ne déchiffra pas le reste des paroles qu'il échangeait avec la ménagère. Ces mots n'importaient guère. Elle le vit s'approcher de la porte derrière laquelle elle était dissimulée. Elle recula paniquée.

«Caym ! Viens m'aider !»

Son pentacle brilla. L'homme rentra dans la pièce. Il lui faisait maintenant face. Son nez légèrement pointu, ses yeux noisette ; ce visage était sans aucun doute celui de son défunt mari. Elle voulut crier mais aucun son ne s'échappa de ses lèvres.

« Vous m'avez demandé, my lady ?

-Cette voix,... Caym ?»

Un sourire se dessina sur le visage du vicomte, un sourire qui ne lui appartenait pas ; le beau sourire de Monsieur Crow.

« Tu... Comment c'est possible ? Ce visage...

-J'ai pris la liberté de revêtir ce costume. J'ai pensé que les invités trouveraient plus crédible l'annonce venant de Geoffrey lui-même. Je crois vous avoir déjà suggéré cette idée, mais je doute que vous m'ayez prise au sérieux.

En effet, Caym avait déjà évoqué cette possibilité, mais elle n'aurait jamais imaginé qu'il puisse ressembler à son mari à ce point.

Le masque masquait parfaitement les traits du majordome. Sa peau pâle avait gagné en teinte, son nez arborait une nouvelle courbure, et ses yeux avaient adopté une nuance différente.

-Tu es toujours aussi impressionnant, Caym.

- Voyons, je ne suis qu'un diable-de-majordome.»

Ils s'échangèrent un sourire complice. Maintenant, elle n'avait plus besoin de s'inquiéter. Tout le monde croirait au départ de Geoffrey.

L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant