43. Interlude

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11 août 1849

Ils se trouvaient tous deux installés sur un banc de métal blanc à l'ombre d'un laurier. À leurs pieds, s'étendait une pelouse verdoyante parsemée de fleurs claires.

Le faucheur, que ses semblables appelaient sous le sobriquet énigmatique de n°136649 était assis au côté d'une comtesse. Il avait dompté ses cheveux gris, presque argentés, les liant en un long catogan. Deux mèches rebelles, insoumises, se détachaient, encadrant  la petite paire de lunettes posée sur le bout de son nez.

La femme qui partageait ce banc était d'une beauté peu commune. La première chose qui captivait l'observateur était sa cascade de cheveux d'un bleu indigo.  Son visage, d'une pâleur diaphane, semblait sculpté dans l'ivoire le plus pur. Ses yeux étaient légèrement en amande, des traits qu'elle avait pris de sa mère russe.

Elle tourna la page de l'ouvrage qu'elle lisait attentivement. Une bague majestueuse, ornée d'une gemme d'un bleu abyssal, ornait l'un de ses doigts. Ce bijou précieux était un héritage de son récent mariage avec le comte Phantomhive.

Elle se mit soudain à lire à voix haute. Son accent russe déformait délicieusement les mots, écorchant des syllabes, transformant des voyelles.

«'Après la mort, il n'y a rien, et la mort elle-même n'est rien.' Qu'en pensez-vous ?

Le faucheur ne répondit pas tout de suite, le regard perdu dans les nuages qui fuyaient dans le bleu azur du ciel.

—C'est une question difficile. La mort est avant tout la fin de l'âme. N'y a-t-il vraiment plus rien après cette fin ?

—Oh, ce que vous dites est intéressant. Selon vous, une âme aurait une fin ? Je n'ai jamais encore pensé les choses ainsi. Pour moi, l'âme, si elle existe, est quelque chose d'immuable, quelque chose qui résiste, qui continue d'exister alors que le corps, lui, disparaît."

—Ne peut-elle pas continuer d'exister tout en ayant une fin ?

Claudia se pinça les lèvres, cherchant au mieux à interpréter cette phrase qu'elle ne parvenait pas tout à fait à comprendre. Elle lui lança un regard intense, lui la regardait du coin de l'œil.

—Je vous trouve différent de tous ces gens qui m'entourent. Je n'ai jamais rencontré de serviteur tel que vous. Il y a quelque chose dans votre regard, dans vos paroles qui vous donnent l'air si sage, comme si vous aviez déjà tout vue, tout vécu. Et pourtant, vous semblez encore jeune. Quel âge avez-vous ? Trente, trente-cinq ans ?»

Un sourire énigmatique naquit sur les lèvres du faucheur, amusé par cette proposition. Il garda le silence.

—Pardonnez moi, ma question est peut-être trop intrusive, se reprit la comtesse avant de baisser de nouveau les yeux vers son livre.»

Le silence qui s'ensuivit, fut bientôt interrompu par l'arrivée d'une femme de chambre.

« Wendy Swan vous demande, Monsieur. »

Le faucheur se leva et s'inclina légèrement en direction de la comtesse qui demeurait assise, l'informant de son obligation de partir. Il traversa le jardin avec une élégance particulière, un sourire subtil persistant aux lèvres. Il aimait la présence de cette comtesse Phantomhive. Leurs conversations suscitaient toujours l'arrivée de nouvelles questions passionnantes. C'est vrai ça. Y avait-il quelque chose après le « The End » d'une lanterne cinématographique ?

*

15 octobre 1886

Caym se tenait près du lit à baldaquin, ajustant élégance  sa ceinture de cuir. Sa chemise blanche immaculée tombait avec grâce sur ses épaules sculptées tandis qu'il en remontait soigneusement les boutons.

Allongée sous les draps de soie, Jade se redressa, dévoilant son buste partiellement libéré du corset. Ses cheveux d'un noir de jais étaient en désordre, et son visage portait encore la trace de leur étreinte passionnée.

«Reste, je t'en prie.»

Il se rallongea à ses côtés, sur le dos, le regard tourné vers le plafond.

«Et si tu dormais avec moi ce soir ?

—Les démons ne peuvent pas dormir, my lady.

—C'est vrai ? Je connais si peu de choses de toi. Racontes moi ! A quoi ressemble la vie d'un homme-corbeau ?

Ses yeux d'un rouge flamboyant lui lancèrent un regard en coin et il esquissa un léger sourire.

—Vous ne voulez pas véritablement me connaître.

Jade bascula sur le dos à son tours.

—Tu as surement raison, je ne veux pas savoir.»

Ils se turent. Ils avaient maintenant tous deux le yeux rivés sur les poutres sculptées du plafond. D'une voix douce, elle entonna subitement une chanson.

«Tom, he was a piper's son,
He learned to play when he was young,
And all the tune that he could play
Was, Over the hill...»

Sa manière désinvolte et sincère de partager cette comptine le surpris. Le timbre de sa voix n'était pas parfait, quelques fausses notes émaillant la mélodie. Il observa son profil, ses lèvres écarlates bougeant doucement, laissant entrevoir une rangée de dents nacrées. Ses cheveux d'obsidienne, arrangées en boucles, ondoyaient le long de ses épaules dénudées.

«And they always stopped to hear him play
Over the hills and far away.»

Quand elle eut terminé, elle se tourna vers lui, un sourire radieux aux lèvres.

«C'est une chanson que j'ai apprise dans mon orphelinat. Il y a longtemps que je ne l'avais pas chanté.»

Caym, tout en continuant d'observer Jade avec une expression impassible, médita sur sa nature singulière. Elle incarnait la candeur d'une adolescente plus que la maturité d'une femme bien qu'elle ait un peu plus de vingt ans. La naïveté éclairait son regard, comme si la rudesse de la vie, qui ne l'avait pourtant pas épargnée jusque-là, n'avait pas réussi à ternir son âme.

Dans le passé, il avait souvent perçu l'ingénuité comme un défaut, une faille dans l'âme humaine. Il se rendait désormais compte que son jugement avait été hâtif. Il n'avait jamais rencontré une femme d'une telle innocence, et pourtant il percevait en elle une senteur exquise.

L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant