L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOC

17. Son Lord, inquiet, première partie

7 Février 1889

Ciel termina sa tasse d'une traite, du Thé noir Assam agrémenté de caramel, sans doute un conseil d'Agni. Il ne prit pas la peine de savourer le breuvage. Du thé restait du thé, aussi sophistiqué fut il. Il en buvait car c'était d'usage, une sorte de tradition mondaine, rien de plus.

«En arrivant, j'ai croisé votre nouvelle servante.

Lau était confortablement installé dans un fauteuil, Ran-Mao sur les genoux, et sirotait avec bien plus d'intérêt le précieux liquide. Le commerçant avait pris l'habitude de s'inviter au manoir sans réel motif. Ciel lui répondit avec une économie de mots typique.

-Oui, Héloïse... Je l'ai engagé ce matin.

-Elle est plutôt jolie.

-J'espère surtout qu'elle saura se rendre utile.»

La porte du bureau s'ouvrit. Ciel crut d'abord reconnaître la silhouette familière de son diable-de-majordome, mais il réalisa rapidement que ce n'était pas le cas. Bien que le costume fût quelque peu similaire, l'homme qui se tenait devant lui était tout autre. Un homme au visage ridé et aux cheveux blancs ; l'intendant du manoir ; l'éternel et bienveillant Tanaka.

Le vieil homme s'approcha du garçon et lui tendit un cahier.

«Voilà le relevé de compte annuel du manoir, comme vous me l'avez demandé.

- Merci.»

Ciel jeta un œil au document. L'écriture soignée de Sebastian recouvrait la plupart des feuilles. Il s'intéressa aux notes au bas des pages, des frais accessoires qui ne dépendaient pas de l'alimentation et des impôts.

« 28 janvier 1889 : commende d'un service de porcelaine, achat d'une nouvelle cuisinière à gaz », « 1er février 1889 : achat d'une nouvelle cuisinière à gaz », «4 février 1889 : achat de huit kilos de parpaings, de deux sacs d'enduit et d'une nouvelle cuisinière à gaz »

Le garçon resta consterné devant l'ampleur des dépenses annexes. Il avait conscience des maladresses de ses domestiques, mais il n'avait jamais imaginé que cela pouvait avoir un impact financier si considérable. Après tout, Sebastian avait peut-être raison ; une nouvelle servante serait certainement utile, à condition, bien sûr, qu'elle soit plus dégourdie que les trois autres.

«Votre majordome est absent ? questionna le mandarin, surpris de voir un autre serviteur apporter les papiers.

- Il est en bas. Je voulais juste vérifier deux trois choses par moi-même.»

Le garçon ferma le livret et marmonna pour lui plus que pour ses locuteurs.

« Je le trouve étrange aujourd'hui...

Le trafiquant d'opium se mit à sourire tout en caressant la joue de la demoiselle installée sur ses jambes.

-Finalement, votre majordome n'est pas si différent de vous et moi.

Le jeune comte le fixa, intéressé. Lau était de ces personnes qui semblaient tout savoir sur tout le monde. Son ton distant et mystérieux donnait à ses paroles un côté irréfutable.

-Qu'est-ce que tu veux dire ?

Le sourire taquin de Lau s'intensifia.

-C'est évident, non ? Il a succombé aux charmes de votre nouvelle domestique.

Ciel resta un instant choqué par cette idée qui ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Il reprit vite un air interdit, réalisant à quel point celle-ci était absurde.

- Impossible. Sebastian n'est pas comme ça.

Un échange de regards amusés eut lieu entre Lau et Tanaka, comme s'ils avaient dévoilé un secret évident.

Ciel dévisagea son intendant. Il n'y croyait pas lui aussi, tout de même ?

- Ce genre de choses est certainement difficile à comprendre pour un enfant, continua le trafiquant en serrant un peu plus Ran-Mao contre lui.»

Le garçon se désintéressa de cette discussion. Il n'aimait pas être prit pour un gamin.

Certes, Sebastian regardait souvent Héloïse et, certes, il avait l'air distant, mais ces deux-là ignoraient l'essentiel. Sebastian était un démon. Or un démon ne pouvait pas éprouver des sentiments aussi pathétiques.

Il y avait forcément un autre motif qui justifiait son comportement.

Quelque-chose de plus important.

Quelque-chose de suffisamment grave pour qu'il ne lui dise pas tout de suite la vérité.