11. Les Conseils d'un Faucheur, deuxième partie

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7 Février 1889

Dans les cuisines, Sebastian avait pris le relais de Bardroy pour orchestrer le festin du jeune maître. En habituel veston noir par-dessus sa chemise immaculée, il avait retroussé ses manches pour cuisiner. Ses mains, expertes, manœuvraient les ingrédients avec une adresse exceptionnelle, mais son esprit, lui, vagabondait ailleurs.

Jade ne pouvait pas être ici. En tant que démon, ce mystère aurait simplement dû attiser sa curiosité, mais voir revenir son ancienne maîtresse lui déplaisait. Son retour semblait raviver en lui quelque chose qui avait disparu avec l'âme de la jeune femme.

Il entendit la porte de la cuisine s'ouvrir, mais il n'y accorda que peu d'attention. Alors qu'il se penchait sur la marmite pour vérifier la cuisson du potage, il ressentit une présence à ses côtés. Héloïse, curieuse, observait par-dessus son épaule. Cette proximité éveilla en lui une sensation inhabituelle, un frisson subtil dans le tumulte de ses pensées.

« La soupe du comte est-elle bientôt prête, monsieur Crow ? » murmura-t-elle.

Le démon laissa soudainement sa tâche de côté et pivota vers la jeune femme. Elle recula alors qu'il s'avançait, son dos se heurtant au mur. D'une main, Sebastian effleura la tapisserie, rapprochant leurs visages à quelques centimètres à peine. Ses yeux bordeaux brillaient d'une lueur menaçante.

« Je suis Sebastian Michaelis, diable de majordome du comte Phantomhive. Prendre soin de son âme est ma priorité. Je n'ai pas le temps de jouer avec vous, mademoiselle. Répondez-moi sans détours ! »

Son regard inquisiteur sondait la jeune femme. Ses iris gris ne laissaient aucun doute quant à son identité. Il se souvenait mieux de ses yeux que du reste de son apparence.

« Qui êtes-vous ? Vous ne pouvez pas être Jade Blodweell, je l'ai moi-même dévorée. »

L'intimité oppressante entre eux ne fit qu'accentuer la tension électrique. Une lueur d'amusement dans les yeux, Héloïse approcha ses lèvres de l'oreille gauche du démon.

- Je vous l'ai déjà dit, vous savez... Je suis Héloïse, Hé-lo-ï-se, susurra-t-elle.

Le démon ne répondit rien, il venait de trouver une meilleure réponse.

Ses mots pouvaient être des mensonges, mais son odeur, elle, ne trompait pas. Il comprit enfin.

May Linn fit son entrée dans la pièce.

« Le couvert est mis, le maître attend d'être servi. Vous devriez... Kyaaa ! »

Le visage de la rouquine prit feu en un instant. Jamais elle n'avait vu le séduisant Sebastian aussi près de quelqu'un.

« Je devrais peut-être vous laisser. Je... »

Le majordome se détourna subitement d'Héloïse, comme s'il avait été pris en faute. D'un mouvement rapide, il versa le contenu de la marmite dans une assiette creuse.

« J'emmène tout de suite l'entrée au jeune maître. Apportez un pichet, May Linn ! »

*

Ciel se trouvait dans le salon, son expression empreinte de lassitude alors qu'il plongeait sa cuillère dans son bol de soupe fumante.

« Nous n'avons toujours pas de message de Sa Majesté, la Reine Victoria ? demanda-t-il, sa voix dénotant une pointe d'agacement.

Le majordome répondit d'un ton calme mais avec une réserve évidente.

-Non, il n'y en a pas. C'est d'ailleurs une bonne chose car votre planning est très chargé. Vous avez rendez-vous avec un commerçant à neuf heures demain matin.

Ciel porta la cuillère à ses lèvres, mais dès que la soupe chaude toucha sa bouche, une brûlure inattendue le fit sursauter, et il la reposa violemment dans le bol.

- C'est beaucoup trop chaud ! » s'écria-t-il, sa voix chargée de frustration alors qu'il essuyait rapidement sa bouche brûlée. « Tu aurais pu la laisser refroidir avant de me l'apporter !

L'employé s'inclina humblement, comprenant que la colère du jeune lord était palpable.

- Toutes mes excuses, my lord, je ne voulais pas vous faire attendre trop longtemps. »

La voix aiguë de May Linn se fit soudain entendre, s'adressant visiblement à la nouvelle domestique.

« Il va falloir que tu me donnes des explications. Je veux tout savoir depuis le début ! »

Les deux femmes de chambre traversèrent la pièce, Héloïse tenant un balai, et May Linn portant une pile de linge impressionnante.

Sebastian observa leur passage. Le regard perspicace de Ciel, quant à lui, était fixé sur son majordome-démoniaque.

*

Ses yeux verts parcouraient le vaste hall, où les murs d'un bleu monotone s'étendaient à perte de vue, dépourvus de la moindre nuance écarlate qui aurait pu briser la monotonie ambiante.

Grell se balançait nonchalamment sur sa chaise, son exubérance naturelle étouffée par la morosité de son environnement. Le temps s'étirait, interminable, comme si les aiguilles de l'horloge avaient décidé de ralentir leur course. La seule source de fascination dans cette pièce désertique semblait être la colossal faux qui ornait la statue derrière elle. Cette magnifique arme avait captivé son regard pendant près d'un quart d'heure, mais à présent, l'ennui l'envahissait inexorablement. Rien ne constituait une punition plus cruelle pour la flamboyante faucheuse que de devoir surveiller cette bibliothèque insipide.

Soudain, un homme aux cheveux courts fit son entrée, portant une chaise d'une main et un livre massif d'un violet profond de l'autre. Il s'installa à une distance prudente de sa collègue, plongeant immédiatement dans la lecture de son ouvrage. Grell, trop absorbée par son propre ennui pour remarquer immédiatement sa présence, finit par le distinguer après un moment. Elle se leva prestement de sa chaise, son énergie retrouvée par cette visite inattendue.

«Will, mon Will, tu es venue me tenir compagnie !

- Non, je suis venu pour vous surveiller. Je dois prendre le relais d'ici deux heures. Je vais m'assurer que vous ne quittiez pas votre poste plus tôt que prévu.

- Oh, mais ne soit pas si distant, viens t'asseoir par ici !»

Face au refus obstiné de son collègue de se déplacer, elle attrapa sa propre chaise et la plaça à côté de lui. L'homme, perdu dans sa lecture, ne réagit pas. Intriguée, Grell se pencha pour scruter le livre en question, un énorme pavé à la couverture violette.

«C'est une lanterne cinématique ?»

William ne lui répondit pas. Grell, curieuse, poursuivit sa quête en scrutant le titre sur la tranche du volume.

« Un prénom féminin ? » commenta-t-elle, laissant transparaître son scepticisme. « Que peut-il donc y avoir d'intéressant dans la vie d'une humaine ? »

Elle arracha le livre des mains de William, surpris par son poids imposant. Elle l'ouvrit vers la fin, découvrant un chapitre en cours d'écriture. Ses yeux verts scannèrent rapidement les phrases fraîchement inscrites.

« Ah, elle est en train de passer le balai. » Elle leva un sourcil. « Tu vois, c'est ce que je disais ! Quelle vie inutile... Pourquoi ce livre est si gros ? »

Grell tenta d'explorer le volume au milieu, mais se heurta à une succession de pages blanches.

« Cette lanterne a un problème de conception, on dirait.

William récupéra le livre d'un geste ferme, imposant son autorité d'une manière caractéristique.

-Votre place est derrière le bureau de l'entrée, Grell Sutcliff. Vous devez être concentré pour veiller à ce qu'aucun intrus ne puisse mettre les pieds ici. Je vous conseille de faire correctement votre travail si vous ne souhaitez pas faire des heures supplémentaires.»

La Faucheuse passa une main dans sa crinière flamboyante, exprimant son mécontentement par un soupir théâtral. À contrecœur, elle regagna sa chaise et reprit sa place devant la statue de pierre.

L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant