10. Les Conseils d'un Faucheur, première partie

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6 Juillet 1886

Caym arriva devant la porte d'une maison branlante, le verrou avait visiblement été forcé. Alors qu'il s'apprêtait à avancer pour entrer, le battant s'ouvrit brusquement. Il se retrouva nez à nez avec un homme aux yeux verts, revêtu d'un costume et de lunettes noires. Celui-ci tenait fermement une espèce de coupe-branche métallique. Le démon comprit instantanément de quoi il s'agissait. Son regard pourpre s'assombrit, révélant une lueur agressive, telle celle d'un loup interrompu pendant son repas. Il n'allait certainement pas permettre que quelqu'un lui arrache sa proie.

L'inconnu prit la parole d'une voix glaçante.

«Je n'ai guère l'habitude de me présenter devant des vermines comme vous, mais les circonstances l'exigent. Je suis William T. Spears, superviseur de l'Organisation des Faucheurs.

-Caym Naberus Crow, diable-de-majordome de la comtesse Blodweell.»

Aucun des deux hommes n'accompagna sa présentation du salut habituel.

Le regard de Caym balaya la pièce, s'arrêtant sur une femme en robe bleue étendue sur le sol. D'un geste brusque, il bouscula le faucheur et s'agenouilla près d'elle, la tournant vers lui. Son visage était d'une pâleur inquiétante.

«Vous êtes chanceux, son heure n'est pas encore venue, annonça William d'un ton détaché.

Le démon posa sa main gantée sur les lèvres de la lady, sentant avec soulagement son souffle tiède à travers le tissu.

-Je crois que vous avez eu les yeux plus gros que le ventre. Si je peux vous donner un conseil, vous devriez abandonner cette âme tant qu'il est encore temps.

Caym se tourna vers le faucheur, quelque peu vexé qu'on puisse critiquer son choix d'âme. Discerner le fruit le plus savoureux du panier était l'une des compétences essentielles pour être un excellent majordome, après tout.

-Comment un faucheur peut-il juger de la saveur d'une âme ? Je croyais que vous trouviez notre nourriture répugnante.

-C'est vrai. Et, il n'y a pas seulement votre nourriture qui me répugne mais aussi la manière dont vous profitez des faiblesses humaines.

-Exploiter les faiblesses de la proie est un art commun à tous les prédateurs.

Le faucheur poussa un soupir presque méprisant.

-Faites comme bon vous semble. Je vous aurai prévenu. Après tout, je ne vais pas m'inquiéter pour un démon.»

D'un geste mécanique, il releva ses lunettes à l'aide de sa pince et apposa une croix sur la fiche de la nouvelle victime, une certaine Hilda Meslin.

7 Juillet 1886

«Caym !»

Jade se redressa brusquement, réalisant qu'elle était allongée dans le lit de la maison de campagne de Geoffrey. Tout lui semblait encore confus, comme si elle émergeait d'un rêve troublant. Pourtant, les souvenirs étaient bien réels, elle pouvait se remémorer clairement l'église et la confrontation avec Hilda.

«Vous m'avez appelé, maîtresse ?»

Le majordome se trouvait sur le seuil de la porte derrière un chariot de métal. Un souffle de soulagement s'échappa des lèvres de Jade, suivi d'un murmure ténu.

«J'ai cru qu'il t'avait tué...

Caym s'approcha de la demoiselle.

-Parfois, j'ai l'impression que vous oubliez ce que je suis vraiment.

Un léger sourire étira les lèvres de Jade.

-Un corbeau déguisé en majordome. Je le sais...

Il prit l'une des tasses sur le plateau.

-Vous prendrez du lait chaud ?

- Non, ce matin, je préférerais du thé.

Le majordome qui s'était déjà préparé à toutes les éventualités sortit la théière contenant l'eau bouillante.

-Nous ne sommes pas le matin, my lady. Il est déjà trois heures de l'après-midi. Vous avez bien dormi."

Jade jeta un coup d'œil vers la fenêtre, les rideaux fermés peinaient à dissimuler la lumière du soleil. Elle vint s'asseoir sur le bord du lit. Elle ne portait plus la robe bleue de la veille mais une chemise de nuit blanche.

-J'ai apporté du thé jaune venu de Chine, cela vous convient ?

-Oui, c'est parfait !

Jade observa avec admiration son majordome verser élégamment le liquide doré dans la tasse.

-Caym ? »

Il leva les yeux vers elle.

« Hilda m'a tout raconté sur l'incendie. On raconte que Laureen s'est transformé en 'une chose maléfique' qui a tué le prêtre.

- Une chose maléfique ?

- Selon Hilda, c'était une sorte de démon. Elle pensait que tu étais venue pour la venger.»

Il tendit la tasse à la demoiselle.

«Et si... j'étais un démon moi aussi ? demanda-t-elle timidement.

Le majordome lui répondit en souriant.

-Ne dites pas de pareilles bêtises, my lady. Si vous étiez l'une de mes semblables, je l'aurais su. Les démons sont différents des êtres-humains sur bien des points, à commencer par l'aura qu'ils dégagent.

- Mais cela pourrait expliquer la mort de Geoffrey et celle de mes...

Jade n'acheva pas sa phrase ; Caym venait de se pencher vers elle. Sa tête reposait maintenant dans le creux de son cou, ses mèches sombres frôlant sa peau. Elle sentit son cœur s'emballer, une douce chaleur envahit ses joues, les teintant d'un rose subtil.

-Je ne sens la présence d'aucun démon, seulement celle d'une délicieuse âme humaine.

Caym finit par se redresser, un sourire amusé aux lèvres. La comtesse ne savait pas où poser son regard, légèrement étourdie par cette proximité soudaine et les sensations qui en découlaient.

-Je suis pourtant sûre que la mort de ce prêtre est liée à celle de mes parents.

-Nous pouvons enquêter sur un autre membre de votre famille si vous le souhaitez.

Elle prit une gorgée de thé.

-Je ne sais pas, murmura-t-elle, un brin hésitante. J'ai peur de ce qu'on pourrait découvrir.»

L' Âme Maudite (Terminée) SebastianxOCOù les histoires vivent. Découvrez maintenant